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Avec la crise sanitaire, 37% des Français ont cuisiné plus de plats maison, selon Santé publique France. Certains Bas-Rhinois aussi ont découvert ou redécouvert le plaisir de faire à manger.

Marie-Noëlle Reboul n’avait jamais vraiment préparé de sauce jusque là. Elle mangeait ses carottes cuites à l’eau, avec une pincée de sel. Depuis le début du confinement, elle s’est lancé un défi : jamais le même plat deux fois. Au menu, cake salé aux lentilles, fondue de poireaux aux Saint-Jacques, gratin de chou rouge, gelée de betteraves… “Certains ont été très réussis, d’autres beaucoup moins parce que trop secs, trop cuits, trop mijotés… Mais c’est pas grave.” Non seulement a-t-elle relevé le challenge, mais elle a surtout pris goût à la cuisine, son véritable grand exploit. Gestionnaire des achats dans l’automobile à Strasbourg, en chômage partiel depuis la mi-mars, Marie-Noëlle ne trouvait jamais le temps avec son métier pour cuisiner. La trentenaire pensait d’ailleurs que “passer des heures sur un plat alors qu’il y avait un risque de le rater, ça ne valait pas le coup”. “J’ai suivi des recettes sur un livre que mes parents m’avaient offert il y a longtemps et qui ne m’avait jamais vraiment servi. Je me suis aussi renseignée sur internet pour trouver des conseils. Mais au bout du compte j’en n'ai fait qu’à ma tête. J’ai fait les choses à ma sauce”, sourit-elle.

Anne-Véronique Auzet, elle, a toujours su qu’elle était douée : “De nature, je cuisine bien, facilement.” Ce dont avait besoin cette professeure de géographie à l’université de Strasbourg, c’était le temps. “J’ai essayé un dahl et un gratin de lentilles corail. Je n’en avais jamais utilisé autrement que pour faire de la soupe”, raconte-t-elle. Avec la quantité de ces petites légumineuses orange qu’elle a récupérée du reste des colis pour les jeunes réfugiés du centre Bernanos, pour qui elle cuisine souvent, elle a cherché à varier, sortir de sa zone de confort. Mais aussi, impressionner : “Pendant le confinement, nous avons créé un groupe Whatsapp famille spécifique à la cuisine. Quand on teste une nouvelle recette, on la partage. Comme nous sommes une famille nombreuse, le groupe, c'est une bonne vingtaine de cuisinières et cuisiniers.” Sa plus belle révélation reste le chou romanesco. Le goût fin et la belle couleur verte de ce chou-fleur originaire d’Italie ont été parfaits pour une quiche. 

Cuisiner pour être dans sa bulle

“La cuisine, ça a un peu des allures de méditation pour moi, ça me détend, c’est assez agréable.” Marie-Isabelle Brunie, étudiante à l’Insa, est revenue chez ses parents, à Schiltigheim, depuis la fermeture sanitaire du campus lyonnais. La maison qui l’a vue grandir change de sa colocation à Lyon. Ici, elle a toutes les casseroles et les poêles pour elle : “J’aime surtout faire à manger seule pour justement souffler un peu, m’isoler et être dans ma bulle. Sauf qu’en coloc c’est pas forcément possible, on se retrouve plusieurs à vouloir mettre la main à la pâte.”

Très vite, elle a fait de cette pièce de la maison parentale son univers pour oublier les querelles de famille. Elle se lâche dans les expérimentations, entre fajitas confectionnées de la pâte à la garniture, tempuras de légumes et raviolis aux champignons.

Préparer à manger permet à Mathilde Parmentier et sa fille Valentine de voyager malgré la fermeture des frontières. Cette maman de 37 ans a essayé de transmettre cette passion à sa fille. “On aime beaucoup les saveurs d’Asie : on a fait des bò bún, des ramens, des gyozas… C’est la première fois qu’on a cuisiné tous ces plats asiatiques, ceux qu’on avait goûtés et aimés au fil de nos voyages.

Tarte printanière au chou romanesco, radis et petits pois. © Mélanie Berbach

Bò bún, salade vietnamienne, de la petite Valentine. 

© Mathilde Parmentier

Partager ses recettes sur les réseaux

Jusqu’ici, Valentine, 9 ans, regardait Top Chef et refusait de faire autre chose que des cakes au yaourt. Aujourd’hui, elle est capable de concocter tout un repas, seule, comme une cheffe, notamment quand sa mère est occupée. “Récemment, elle a arrangé un apéro toute seule avec des mauricettes qu’elle a décongelées et grillées. Elle a fait des petits toasts avec de l’avocat, des tomates cerises, des radis, des restes de baba ghanoush... Elle a joliment accommodé ce qu’on avait dans le frigo”, se réjouit sa maman, qui garde trace écrite, photos et vidéos, de tout ce que cuisine Valentine. “J’ai l’impression qu’elle l’a vécu comme une grande, elle me disait ‘on va faire cette recette-là parce qu’on va pouvoir prendre de jolies photos à publier sur Instagram’ et elle me demandait ensuite le nombre de cœurs et de vues qu’elle avait eus.” Ses petits délices ont provoqué un tel engouement que Mathilde songe à lui créer son propre compte sur le réseau social. La petite star s’est même essayée aux lives Facebook. “Beaucoup de ses copines se sont connectées, certaines faisaient même la recette avec elle, en même temps”, raconte fièrement la maman. 

Vegbach sur Instagram, Mélanie Berbach de son vrai nom, montre à ses followers toutes les couleurs d’un régime vegan. Porridges aux nuances automnales ou pierogi aux fraises qui lui rappelle son voyage en Pologne, boisson végétale en guise de lait de vache ou aquafaba pour remplacer les blancs d’œufs, cette étudiante à l’IEP de Strasbourg s’est trouvée dans l’obligation de cuisiner depuis qu’elle a adopté un régime vegan.

Enfermée chez ses parents, elle a trouvé le temps de partager son savoir-faire sur son compte. Elle essaie de publier une recette quotidienne : “Je ne vais peut-être pas pouvoir le faire tous les jours [après la fin du confinement] parce que j’aurais moins le temps. Mais, je vais continuer d’alimenter mon compte Instagram. Je ne vais pas le lâcher.”

Manal Fkihi
Marie Vancaeckenbergh

 

L'appétit grandit pour le circuit court

 

La crise sanitaire a poussé certains consommateurs du Bas-Rhin à se tourner vers les circuits courts. L’occasion pour les petits producteurs et maraîchers de gagner une nouvelle clientèle. 

Les très grandes surfaces sont boudées par les Français depuis le confinement. Selon la société d’étude Kantar, les hypermarchés ont perdu 3,1 millions de clients entre le 23 mars et le 19 avril. Fabienne Tritschler, 59 ans, fait partie de ceux qui les ont désertés : “Avec le Covid-19 j’ai voulu éviter (l’hypermarché) parce que c’est un endroit à risque.” Pour trouver de quoi cuisiner, elle s’est fréquemment rendue à la ferme la plus proche de chez elle, à Dingsheim : “C’est vrai qu’on n’y trouve pas tout et que certains produits sont un peu plus chers, mais ce sont des petits inconvénients que j’ai acceptés. Pour moi, la santé c’est la priorité.”

Drives et livraisons de paniers ont permis aux producteurs et maraîchers de séduire de nouveaux clients. © Sharonang / Pixabay

Comme elle, Véronique Reibel, intérimaire, a délaissé les caddies pour les paniers. En cause : les denrées en rupture dans les grandes surfaces. “Je galérais à trouver des œufs et de la farine alors que chez les maraîchers et les primeurs de Mutzig, je n’ai jamais eu de problèmes. J’ai toujours trouvé de tout, même du fromage et du saucisson”, se réjouit la quadragénaire. Une belle découverte pour cette habituée des supermarchés : “Avant, pour être honnête, je m’en foutais un peu. J’achetais tout ce dont j’avais besoin dans un seul magasin et ça m’allait comme ça.” Aujourd’hui, elle continue de consommer local : “C’est plus chaleureux, tout le monde discute avec tout le monde alors qu’en grande surface chacun fait ses courses de son côté.” 

Fabienne Tritschler est elle aussi devenue adepte du circuit court. “Depuis que le confinement est terminé, je ne suis pas retournée au supermarché”, note-t-elle, “je me suis rendu compte que les petits commerces étaient très pratiques, que je perdais moins de temps à faire mes courses là-bas plutôt que dans une grande surface.”

Un chiffre d'affaires doublé

De leur côté, les producteurs et maraîchers du Bas-Rhin se réjouissent. “Malgré la perte de certains clients, partis se confiner ailleurs, nous avons doublé notre chiffre d’affaires pour le mois d’avril 2020, par rapport à celui de 2019”, affirme Mathieu Fritz, producteur de fruits et légumes à Obenheim. Pour Jean-Pierre Andrès, maraîcher à Strasbourg, plusieurs facteurs expliquent la venue de ces nouveaux clients : “On a eu ceux qui recherchaient des légumes frais mais qui ne pouvaient plus aller au marché, ceux qui ne voulaient pas faire la queue devant les grandes surfaces, ceux qui nous ont découverts en essayant de faire leurs courses le plus près de chez eux.” Tous deux espèrent désormais que leurs commerces ne resteront pas des plans B.

Marie Vancaeckenbergh

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