En pleine crise sanitaire, l'apprentissage de la musique a dû être repensé, au moyen d'outils technologiques qui ont permis d'innover. Dans le Bas-Rhin, ces pratiques alternatives ont séduit certains professeurs, qui entendent les pérenniser.
“Dès la fin de la première semaine de confinement, j'ai commencé à donner mes cours à distance, par Skype ou par Messenger.” Coincé entre quatre murs, Manuel Bleger, professeur de guitare indépendant à Grendelbruch, s'est adapté aux circonstances de la quarantaine pour poursuivre ses enseignements, à l’initiative de ses élèves. “Des parents m'ont dit que la prof de piano donnait des cours et m'ont demandé de faire pareil !” Lui qui n'avait jamais envisagé cette pratique se dit satisfait par cette expérience nouvelle, qu’il compte prolonger. Bien qu’il ait repris le travail en présentiel depuis le 11 mai, Manuel Bleger continue de dispenser ses cours à distance aux plus de 65 ans. Surtout, il envisage d'avoir des élèves exclusivement en visioconférence. “Un de mes anciens guitaristes, qui habite maintenant à Bordeaux, m'a recontacté. Je vais recommencer à lui donner des leçons.”
Au total, 16 musiciens ont participé à la reprise de Donnez-moi des Frangines. © Nathan Bocard
Une alternative viable donc, mais pas pour tous les niveaux, selon le professeur : “Les élèves qui débutent c’est trop compliqué. Il faut être à côté d’eux, leur montrer sur les cases.” Pour d’autres, ce n'est pas l'expérience qui constitue un obstacle, estime Anouck, professeure de violoncelle à Strasbourg. “Mes élèves les plus âgés n’ont pas confiance devant la caméra, ils ont parfois peur de se filmer”, indique-t-elle. À 28 ans, elle enseigne au Centre musical de la Krutenau et à l’École de musique Saint-Thomas à la Petite France. Avec le confinement, elle aussi s’est mise aux cours à distance, mais avec l’avantage de l’expérience. Plus jeune, elle avait déjà suivi des leçons de violoncelle en visioconférence lorsqu’elle étudiait aux États-Unis. La jeune femme a donc pu faire face aux problèmes techniques inhérents à ce format. “Skype et Zoom sont basés sur la voix humaine, donc on ne peut pas entendre certains sons graves ou aigus.” À cette contrainte s’ajoute le décalage sonore entre les participants, qui élimine la possibilité de jouer à l’unisson.
Anouck a donc dû poser son instrument et apprendre à “tout faire passer par la voix. Il faut être encore plus dans l’observation”, assure-t-elle. Mais cela ne suffit pas à pallier tous les problèmes des réunions virtuelles. La professeure a donc mis en place un nouvel exercice, également à distance : l’échange d’enregistrements. Ses élèves lui envoient une vidéo de leurs performances, qu’elle commente en retour pour donner des pistes de travail. “Ce que je trouve génial dans ce système, c’est qu’ils doivent plus s’écouter eux-mêmes donc ils prennent seuls conscience de certains problèmes.” Convaincue par l’importance de cet aspect, elle souhaite poursuivre cette méthode d’apprentissage lorsque les écoles de musique rouvriront : “C’est quelque chose qui peut être intéressant, il ne faut pas le diaboliser. L'enseignement musical doit majoritairement et impérativement se faire en direct, mais certains outils peuvent être utiles.”
La continuité comme mot d’ordre
“L’objectif, c’est que les élèves puissent travailler.” La continuité de l’apprentissage musical reste l’enjeu principal de ces nouvelles méthodes, selon Mélanie Decq, professeure de trombone à l’école de musique de Sélestat. À la tête de l’Ensemble de musique actuelle de l’école, elle a été contrainte d’adapter ses méthodes de travail pour faire vivre son groupe de 18 élèves. Mélanie Decq leur a donc soumis l’idée de réaliser un clip collectif mais chacun depuis chez soi. Quinze d’entre eux ont répondu à l’appel. “On n’a pas pu faire le concert de fin d’année qui était prévu pour le mois de juin, donc le clip, c’était une façon d’avoir un objectif”, explique-t-elle.
Choristes, flûtistes, pianistes, batteurs, trombonistes, trompettiste et ukuléliste se sont donc enregistrés individuellement. Les pistes ont ensuite été synchronisées au montage par Mélanie Decq. Pour ce projet, c'est le titre Donnez-moi des Frangines qui a été retenu par la professeure. “C’était sympa d’en faire un clip pour montrer qu’on peut travailler malgré le confinement", sourit-elle. Mis en ligne le 10 avril sur YouTube, le clip compte près de 4000 vues à ce jour.
“On ne savait pas combien de temps ça allait durer, il fallait trouver une solution et ça a fait une bonne surprise aux élèves”, indique la tromboniste. “J’étais un peu démotivée pendant le confinement donc j’étais contente d’avoir un projet comme ça”, confie Tess, 17 ans, dont la soeur Nelly, 13 ans, a également participé à la vidéo en tant que chanteuse. "Je n’ai pas vraiment eu de difficultés. C’est une partition assez facile, et on a fait comme quand on est à l’école : on écoute la chanson originale et on joue par-dessus. Du coup c’est assez simple pour se caler. Je me suis entraînée jusqu’à ce que je ne fasse plus de fautes au moment de l’enregistrer.” Mais ça, c’était une tout autre affaire. “Quand on a commencé à se filmer, on rigolait tout le temps”, se rappelle Tess. Il aura donc fallu plusieurs tentatives aux deux soeurs avant d’avoir la prise parfaite.
Nathan Bocard
Lucas Jacque
Est-il vraiment si facile de monter un projet comme celui de l’école de musique de Sélestat ? Les témoignages de Mélanie et ses élèves ne font pas état de difficultés particulières, mais nous avons voulu le vérifier par nous-mêmes. Cinq étudiants du Cuej se sont donc portés volontaires pour enregistrer, chacun chez soi et avec les moyens du bord, une reprise de Stand By Me de Ben E. King. Chaque musicien n’ayant fait qu’une prise, les contraintes de synchronisation et de qualité du son se sont avérées fortes. Tous ont néanmoins pris plaisir à réaliser cette vidéo et espèrent que leurs lecteurs en auront autant à écouter leur “testé pour vous”. Avec Lola Breton au chant, Lucas Jacque au piano, Leïna Magne au violon, Nathan Bocard à la guitare, et l'incontournable Héloïse Décarre aux rythmiques.
Un univers virtuel dans lequel donner ses concerts en ligne, c‘est ce que le groupe de techno strasbourgeois Crash Server a mis au point pendant le confinement. Le duo entend désormais faire de ces prestations à distance un rendez-vous mensuel.
“On peut discuter au bar si vous préférez", propose Sébastien Adam, musicien du groupe de techno strasbourgeois Crash Server. Nous ne sommes pas invités à prendre un verre dans une enseigne ordinaire, mais dans un bar univers virtuel, créé de toutes pièces pendant le confinement. Comme dans un jeu vidéo multijoueurs, les internautes peuvent s’y retrouver, discuter et assister aux concerts de live coding du groupe. Lui et Sébastien Van der Kwast, l’autre membre du duo, se servent du codage comme instrument de musique : en tapant des lignes de programmation associées à des notes et accords de musique, le groupe produit différents sons qui constituent un morceau. “En une heure d’apprentissage, tu peux déjà écrire une musique. Mais pour faire un set en live, il te faut au moins trois mois de pratique”, confie Sébastien Adam, qui a appris en 2018 auprès de son acolyte, formateur en motion design.
Une communauté active pendant le confinement
Les premières lignes de code de leur univers virtuel ont été écrites début avril, pendant le confinement. L’inauguration a eu lieu le 16 du mois lors d’un concert à distance retransmis à la fois dans cet univers et sur Youtube. Le duo se produit déjà une fois par an en streaming à l’occasion du festival TopLap, un rendez-vous incontournable de la communauté des live codeurs. Le groupe a surtout profité de cette configuration inédite pour multiplier les lives. Ses méthodes de travail, virtuelles, ont en effet été peu affectées par la quarantaine : “On a l’avantage de pouvoir travailler par écrans interposés, on peut jouer ensemble la même partition. On a pu faire cinq concerts en deux mois pendant le confinement, c’est beaucoup”, détaille Sébastien Adam, technicien de maintenance de profession. La multiplication de ces concerts a permis au groupe d’élargir son audience, notamment au cours d’une prestation pour un festival international qui devait se tenir à Prague mi-mai. “Les organisateurs ont dû le transformer en virtuel et le diffuser sur Youtube. Lors de notre passage, il y avait 140 personnes en live. Pour nous c’est pas si mal, c’était pas un gros festival non plus, si on les a dans une salle de concert, c’est déjà bien”, se réjouit Sébastien.
Dans le bar du hub, les visiteurs peuvent commander un verre virtuel tout en regardant le concert. © Lucas Jacque
Dans le cimetière, une pierre tombale recense tous les concerts passés du duo. © Lucas Jacque
Bien que le duo espère retourner au plus vite sur scène dans des bars bien réels de Strasbourg comme la Kulture ou la Perestroïka, il n’entend pas abandonner cette pratique des lives à distance dans son univers virtuel. Crash Server compte ainsi se produire une fois par mois dans le hub. Ce dernier ne pouvant accueillir pour l’instant qu’une vingtaine de personnes en simultané, seuls les fans les plus assidus seront conviés aux premiers rendez-vous.
Nathan Bocard
Lucas Jacque