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Avoir un mode de vie urbain mais à la campagne. Depuis des années, les néoruraux incarnent ce phénomène mais la crise semble avoir accéléré cette volonté de changer de vie.

"Je me suis rendu compte que je pouvais être en Alsace, dans mon village et faire du télétravail. Je n’ai plus envie d’habiter en ville et je vais tout faire pour déménager à la campagne." Ces deux derniers mois ont été révélateurs pour Anaïs Jonger, jeune diplômée en architecture et design. Cette Bas-Rhinoise originaire de Bischoffsheim a partagé son confinement entre Paris, où elle s’était installée pour ses études, et son village natal. L’expérience a permis à celle qui aujourd'hui travaille comme indépendante, de prendre du recul sur son quotidien parisien : “Ce qui me manque terriblement, c’est un carré d’herbe, et je ne parle même pas de la forêt qu’on a ici, des balades qu’on peut faire, du grand air, quoi !”

Des envies de maison

Le cas d’Anaïs Jonger est loin d’être anecdotique. Les mesures d’isolement liées à l’épidémie de Covid-19 semblent avoir accentué l’intérêt des citadins pour la campagne. Le site seloger.com indique le 16 avril que dans ses pages d'annonces immobilières, les recherches de maison ont "explosé" depuis le début du confinement. Son enquête précise que les candidats au déménagement se tournent principalement vers les petites et moyennes villes situées à proximité des métropoles.

Dans le Bas-Rhin, la ville de Hoenheim, à 15 minutes en voiture du centre de Strasbourg, est l’exemple type de cette tendance observée sur tout le territoire. Les recherches dans cette commune de 11 000 habitants ont augmenté de 54% en mai 2020 par rapport à mai 2019. La plate-forme avance une explication : à Hoenheim, le m² coûte 2200 euros, soit presque deux fois moins que dans la capitale alsacienne.

Si le phénomène ne se confirme pas dans l’ensemble des agences immobilières du département, certains professionnels du secteur, à l’image de Nadine Ohrel, directrice de l’agence Century 21 à Erstein, remarquent déjà une tendance allant dans ce sens : “On a beaucoup de demandes d'achat de maison avec jardin comme on s'y attendait. C’est la conséquence du confinement.”

Un sentiment de sécurité

Pour Frédéric Cagnato, représentant de l’Association nationale nouvelles ruralités, qui travaille à la mise en valeur des espaces ruraux : "Cette épidémie résulte de l’hypermondialisation et de l’hyperconnectivité de notre société. Les espaces de faible densité offrent une sécurité."

Valérie Hendrich fait partie de ceux qui veulent se détacher de ce système. Cette artiste plasticienne se définit comme une “vraie citadine”. Après avoir partagé sa vie entre Strasbourg, Metz et même Rome, elle a passé son confinement à Éguelshardt, une commune proche de la frontière mosellane, dans les Vosges du Nord. C’est là qu’elle a remis en question “tout le côté consumériste de la société”.

Elle évoque avec amertume “les foules de gens qui se sont précipités dans les supermarchés pour faire des réserves” au début de la crise sanitaire. “J’ai réalisé à quel point on était dépendant. Je veux désormais vivre dans un endroit où je serai plus autonome”, explique-t-elle. Après s’être initiée à la permaculture, la plasticienne souhaite désormais s’établir dans un “éco-lieu”* et parle de rejoindre des habitats participatifs à proximité de Strasbourg.

Deux ruralités qui s’opposent

Toutes les campagnes ne se valent pas aux yeux des néoruraux. Dans le Bas-Rhin, c’est traditionnellement dans la plaine d’Alsace que s’installent les déçus de la ville, notamment dans le Piémont des Vosges, entre Strasbourg et Sélestat.

Jacques Cornec, représentant bas-rhinois de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) cite Bourgheim, le village dont il est maire, en exemple. Cette commune, près d’Obernai, compte aujourd’hui 700 âmes, contre seulement 400 dans les années 1980. Pour lui l'explication est simple : “Ici les gens peuvent venir se réfugier à la campagne mais les transports en commun sont toujours accessibles.”

En revanche, les campagnes alsaciennes les plus isolées n’attirent pas, à en croire Jean-Yves Pineau, directeur du collectif des Localos qui accompagne depuis le début des années 2000 des projets en milieu rural dans toute la France. “Ces campagnes sont marquées par une recrudescence de la xénophobie et du repli sur soi”, expose-t-il, décrivant des territoires peu dynamiques “qui subissent une reconversion industrielle et agricole”.

Jacques Cornec observe lui aussi une certaine rudesse chez “les gens du cru” qui “se méfient du reste de l’Hexagone”, d’où le désintérêt des néoruraux pour ces régions.

Un phénomène ancien

Cette envie de vert pour les citadins n’est pas née avec la crise sanitaire. “L’épidémie parachève un phénomène diffus de retour à la campagne qu’on observe depuis vingt ans”, analyse Frédéric Cagnato. Selon l’Insee, en France, entre 1999 et 2014, la population des campagnes a augmenté plus vite que la population urbaine (+19% contre +11%).

Pour Jean-Yves Pineau, ce retour à la campagne est à recontextualiser dans une tendance bien plus ancienne : “Les premiers mouvements de retour à la campagne apparaissent dans les années 70, influencés par les hippies." Ils voulaient eux aussi s’évader des villes pour fuir la société de consommation qu’elles incarnent.

Eiman Cazé
Enzo Dubesset

 

*Eco-lieu : lieu qui est le fruit d’une initiative portée par des individus ou des collectivités qui souhaitent repenser leur rapport à l’habitat, à l’urbanisme et expérimente d’autres projets de société plus durables.

 

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