Ces derniers mois ont été l’occasion, pour certains, de passer plus de temps à jouer aux jeux vidéo. Un moyen de tuer l’ennui et de passer des moments conviviaux, à la maison.
“Grâce au jeu, j’ai pu m’évader, trouver des choses positives, gérer et construire une île avec mes enfants.” Émilie vit seule à Brumath avec Valentin, 17 ans, Anastasia et Stanislas, jumeaux âgés de 7 ans. Avant d’être confinée, l’assistante maternelle jouait peu aux jeux vidéo. Mais, depuis qu’elle est en chômage technique, sa Nintendo Switch, console hybride mi-portable mi-salon, offerte à Noël pour toute la famille, sert vraiment. Émilie a même commandé sur internet une variante plus petite et uniquement portable, la Nintendo Switch Lite, pour pouvoir s’amuser à deux endroits différents. “On a augmenté le temps de jeu de toute la famille”, reconnaît-elle.
Le jeu vidéo comme antidépresseur
Sans jardin ni espace extérieur, la cour de récréation était virtuelle. “J’aimais bien le fait de pouvoir parler avec mes amis et cousins à travers le jeu”, raconte Stanislas. “Et puis, à part mes devoirs, je n’avais rien d’autre à faire.” Pour Émilie, la console a littéralement joué le rôle “d'antidépresseur”. C’est surtout auprès d’Animal Crossing qu’elle a trouvé du réconfort avec New Horizons, le dernier opus de la franchise, sorti fort à propos le 23 mars (13 millions d’exemplaires ont été écoulés en six semaines à l’échelle du globe). Depuis le premier épisode, lancé en 2001, cette simulation de vie propose d’emménager dans un village peuplé d’animaux colorés, aux personnalités enjouées. “Dans un premier temps, cela m’a permis d’avoir une échéance, un objectif dans un avenir que je trouvais incertain”, analyse Émilie. Le déconfinement n’a rien changé : pour l’instant, pas de travail, pas d’école. Le nouveau rituel familial est parti pour durer. “Maintenant, je regarde plus souvent l’actualité du jeu vidéo et les promotions pour de nouveaux moments à partager avec mes enfants”, confie la maman.
Renforcer les liens
À Schiltigheim, chez les El Bachrioui, tout le monde a toujours joué. Karim, le père, est un passionné de World of Warcraft, une série multijoueur en ligne dans un univers médiéval fantastique. Ancien gamer de haut niveau, il a longtemps enchaîné les compétitions et a même figuré dans le classement des meilleurs “démonistes” au monde (une des douze catégories de personnages). Cette passion, il l’a transmise à sa compagne, Laëtitia, et à Élies, son fils de 8 ans qui, d’ores et déjà, rêve d’intégrer une école d’e-sport. Pendant le confinement, tous deux l’ont rejoint sur Azeroth, le monde dans lequel se déroule la plupart des titres de la série World of Warcraft. “Cela nous permet de passer de bons moments ensemble, de se détendre”, souligne Laëtitia.
Jouer avec son fils, c’est aussi l’occasion pour elle de lui inculquer certaines notions : “De temps en temps la mission de la journée sera de faire un donjon, afin de lui apprendre le travail d’équipe car chacun a sa place et on ne peut pas faire n’importe quoi. C’est un peu comme une équipe de foot, chacun a son rôle à jouer.”
Laëtitia est auxiliaire de vie et son confinement s’est fait à la maison. C’est elle qui garde Élies car Karim, pompier professionnel, a continué à travailler. Pendant ces deux mois, le temps de jeu mère-fils est passé de deux à cinq heures par jour : “Cela nous a permis de nous évader durant ces longues journées sans pouvoir sortir. On avait des choses à se raconter et puis on avait le sentiment que les journées passaient plus vite.”
Depuis le déconfinement, Laëtitia, en chômage partiel, ne travaille que le matin. Son garçon ne retrouvera pas le chemin de l’école avant septembre. “On peut continuer nos sessions gaming les après-midi”, glisse la mère de famille. “Mais on joue quand même un peu moins, on profite du soleil.”
“On n’avait plus le même rythme”
Aujourd’hui, Johnny est raisonnable. Quand ce garagiste savernois rentre du travail, il fait seulement une partie sur The Crew, un jeu de course automobile. Beaucoup moins que durant le confinement, période durant laquelle il était au chômage technique. Pour l’occasion, il avait dépoussiéré sa Playstation 4. “On n’avait plus le même rythme”, se plaint Jennifer, sa compagne. “Il passait tout son temps sur les jeux vidéo.”
“Parfois je me levais à 7h du matin et il était encore en train de jouer, il faisait des nuits blanches”, remarque-t-elle. “Ça prend quand même de l’énergie de passer autant de temps devant les écrans.” Avec un tel rythme, Johnny a délaissé d’autres activités. “On prévoyait de profiter du confinement pour vider l’appartement, faire le tri”, poursuit Jennifer. “On n’a pas fait comme prévu.”
Lucas Lassalle
Antoine Cazabonne
Milan Hung est psychologue clinicien de l’enfant et de l’adolescent à Lyon, spécialisé dans les jeux vidéo. Il analyse les effets de leur pratique dans le contexte actuel de crise sanitaire.
Milan Hung est psychologue clinicien spécialisé dans les problématiques du jeu vidéo et des outils numériques. © Milan Hung
L’Organisation mondiale de la santé a lancé le 25 mars dernier une campagne promouvant le jeu vidéo comme moyen de faire respecter le confinement. Est-ce une bonne chose ?
“Je ne peux que recommander la pratique du jeu vidéo. Le confinement a été une réponse à une crise sanitaire mondiale dans un climat assez anxiogène. Beaucoup d’entre nous avons perdu le contrôle sur notre avenir et sur notre quotidien. Nous ne pouvions plus aller au travail, nous déplacer librement, voir notre famille, nos amis… Tout ce qui fait habituellement le quotidien était largement entravé. Dans ce contexte, heureusement que le jeu vidéo était là. Quand on joue, que ce soit aux jeux vidéo, aux jeux de société ou autres, on récupère ce contrôle que l’on a perdu. C’est le moment de s’autoriser à s’inventer des histoires qui contrastent avec une réalité bien sombre, où tout est incertain.”
Qu’est-ce que le jeu vidéo peut apporter au sein du cercle familial ?
“Le fait de jouer en famille, je pense aux jeux vidéo mais pas seulement, une fois de plus, c’est d’abord créateur de souvenirs. On renforce ainsi les liens, on partage nos idées et nos pensées avec l’autre. Quand on joue à plusieurs, on communique et ça ne passe pas forcément par les mots, ça passe aussi par ce que l’on fait dans le jeu. Et chacune de ces actions est un reflet de notre personne et de notre manière d’appréhender le monde.”
À quel moment peut-on considérer qu’une pratique du jeu vidéo est excessive ?
“On peut parler de difficultés quand on perd le contrôle. La fréquence n’est pas un facteur permettant de déterminer si une pratique est excessive. On peut jouer aux jeux vidéo de manière très régulière tout en étant responsable. Là où on peut se poser des questions, c’est lorsqu’une personne commence à délaisser de manière très intense et systématique d’autres aspects de sa vie. Cela peut concerner les cours pour les plus jeunes ou la vie professionnelle pour les adultes. On peut aussi se désinvestir de sa vie sociale et dans certains cas plus extrêmes délaisser ses besoins vitaux, comme se nourrir ou dormir.”
Propos recueillis par Lucas Lassalle
et Antoine Cazabonne
Trois Bas-Rhinois, Jonathan, Thomas et Vincent se sont lancé un objectif depuis le début du confinement : reproduire leur environnement à l’échelle réelle dans le jeu Minecraft.
Jonathan, alias "DJ00", 20 ans, est en train de reproduire Souffelweyersheim, sa ville natale, dans le jeu vidéo Minecraft. “On construit là où on connaît”, explique l’étudiant en administration publique à Strasbourg. Il admet qu’il n’est normalement pas un gamer. Pourtant, à l’aide de cubes de différentes couleurs et textures, à la manière d’un jeu de construction, il a reproduit le croisement de la rue des Rossignols et de la route de Brumath ainsi que le pont voisin qui enjambe l’autoroute A4. Il se sert de l’application Google Street View comme modèle pour les bâtiments qu’il construits.
“C’était aussi l’occasion de retourner sur Minecraft, par nostalgie probablement”, témoigne Thomas, alias "eyermann.png", 21 ans. L’étudiant en informatique a choisi pour sa part de reproduire le Gœrsdorf de son enfance, un petit village à l’extrême nord de l’Alsace. “Je me suis dit : ‘Tiens, c’est marrant, je vais aller voir à quoi ressemble mon village sur Minecraft'. J’ai trouvé ça plus intéressant de reproduire une petite commune que personne ne connaissait plutôt que de faire Strasbourg.” En tout, "eyermann.png" a recréé une trentaine de bâtiments, du croisement de la rue du Tir et de la rue du Moulin jusqu’à l’école-mairie avec sa cour de récréation. Il a même respecté la couleur des façades des maisons.
Même s’il est natif de Reichstett, Vincent, alias "MacCraft", 19 ans, s’est, lui, lancé dans la reproduction de la célèbre place de la République de Strasbourg, surtout son Palais du Rhin et ses jardins, allant même jusqu’à reproduire la spirale Warburg. Attaché à ce patrimoine, l’étudiant en sciences politiques a l’ambition de faire entrer à sa façon Strasbourg sur la scène mondiale : “Dans ce projet on partage tout, chaque pays a ses traditions, ses façons de construire, c’est une magnifique manière de voyager.”
Thomas, tout comme Vincent et Jonathan, estime y avoir passé deux heures par jour environ. “Mais depuis que j’ai repris le travail et les cours, je n’ai plus tellement de temps à y consacrer. Malgré tout, je ne compte pas renoncer au projet et dès que je le pourrais, je finirais ce que j’ai commencé.” De son côté, "DJ00" s’est attaqué, avec d’autres joueurs français, à la construction de la cathédrale de Strasbourg. Il leur faudra encore du temps pour reproduire le travail d’"Achencraft" et ses amis qui, eux aussi, s’attachent depuis 2015 à reproduire la capitale alsacienne dans Minecraft, cathédrale comprise.
Un projet mondial
Les trois Bas-Rhinois ont, en fait, répondu à l’appel du youtubeur américain "Pippen FTS". Dans une vidéo, publiée le 21 mars et déjà vue près de dix millions de fois, il invite les joueurs du monde entier à rejoindre son projet BuildTheEarth. Le défi consiste à reproduire la Terre telle qu’elle est aujourd’hui, à l’échelle réelle, chaque cube du jeu représentant un mètre carré. Pour coordonner cette gigantesque entreprise, il a créé un serveur de discussion sur l’application Discord, très prisée des joueurs de jeux vidéo.
Selon les organisateurs, plus de 200 000 membres se sont inscrits mais ils ne sont que 4000 à pouvoir participer réellement au projet. Pour cela, il faut être nommé constructeur officiel. “C’est très carré, lâche Jonathan, c’est toute une procédure : il faut d’abord construire deux bâtiments en guise d’exemple, puis compléter une fiche avec les coordonnées de construction. Une fois que les Américains valident, c’est au tour des administrateurs français de donner leur feu vert et tu peux enfin entrer.” Une démarche qui vise surtout à protéger le serveur de personnes malveillantes, dans un jeu où chaque cube est destructible. La réussite de BuildTheEarth s’explique aussi par le succès mondial de Minecraft : ses développeurs, Mojang Studios, ont récemment annoncé que 126 millions de personnes y avaient joué au mois d’avril.
Guillaume Carlin