13 mars 2019
Comment limiter la pression financière des supermarchés sur les agriculteurs ? Le Parlement européen a adopté, mardi 12 mars, une directive contre 16 pratiques commerciales déloyales dans la chaîne d’approvisionnement agro-alimentaire.
Si un kilo de cerises est négocié par une coopérative à 4,10 € au lieu de 4 €, les 10 centimes gagnés arriveront-ils automatiquement dans la poche des agriculteurs ? A cette question, Christophe Haas, exploitant et trésorier des jeunes agriculteurs du Bas-Rhin, répond sans hésiter : « S’il y a des retards de paiement du distributeur, le négociant peut utiliser cette différence pour lisser les coûts. » C’est pour mettre fin à ce type de procédés que le Parlement européen a adopté, mardi 12 mars, à une très large majorité (589 voix pour, 72 contre, 9 abstentions), une directive de lutte contre les pratiques commerciales déloyales dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Une adoption qui intervient après dix ans de débat et deux résolutions du Parlement européen. En décembre 2018, la Commission européenne, le Parlement et les ministres européens de l’agriculture sont enfin parvenus à un accord pour harmoniser les législations en vigueur dans les différents pays. « Nous avions besoin d’un acte européen, d’un socle minimal d’interdictions des pratiques commerciales déloyales », considère l'eurodéputé Paolo de Castro (S&D, sociaux démocrates). C’est désormais chose faite.
« Protéger 100% des agriculteurs européens »
Dans le viseur du Parlement : seize pratiques déloyales dans le secteur agricole, rassemblées dans une liste noire. Dès que les nouvelles règles européennes entreront en application, les supermarchés auront, par exemple, l’obligation de payer les producteurs dans un délai maximal de 30 jours après la livraison de produits périssables. D’autres procédés ne seront autorisés qu’en cas d’accord entre les parties, comme le fait de retourner au fournisseur des marchandises invendues sans les payer. « Les distributeurs ne se gênent pas pour renvoyer les produits qui ne rentrent pas dans la norme, explique Christophe Haas. Tout le monde le sait mais personne ne dénonce, par peur de représailles. Beaucoup craignent que l’on arrête de leur passer commande. » Pour dénoncer ces abus, les agriculteurs pourront désormais déposer anonymement plainte auprès d’une autorité, rendue obligatoire dans chaque pays par la directive et chargée de sanctionner les distributeurs contrevenants.
Ces mesures sont destinées à aider les plus petites entreprises du secteur à se défendre, ces dernières n’ayant pas l’influence des multinationales comme Coca-Cola ou Nestlé pour peser face aux distributeurs. C’est la raison pour laquelle la nouvelle directive concerne exclusivement les entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 350 millions d’euros par an, qui représentent 97 % des acteurs de ce secteur. « Nous voulons défendre 100 % des agriculteurs européens », a rappelé dans l’hémicycle le 11 mars Phil Hogan, le commissaire européen à l’agriculture et au développement rural. Paolo de Castro a quant à lui salué « une Europe qui est là pour protéger les plus faibles ». Comme lui, beaucoup d’élus ont d’ailleurs évoqué un rapport de force déséquilibré entre agriculteurs et distributeurs européens. De fait, sur le continent, plus de 230 000 magasins sont détenus par seulement six groupes.
L'eurodéputé italien Paolo De Castro (S&D, sociaux démocrates) est le rapporteur de cette directive contre les pratiques commerciales déloyales. © Jérôme Flury
La directive obligera les distributeurs à régler leurs invendus aux fournisseurs. © Maxime Glorieux
Les distributeurs, de leur côté, regrettent que les eurodéputés se soient livrés à une critique sans nuance de leurs pratiques. Neil McMillan, le directeur des affaires publiques d’EuroCommerce, qui défend les intérêts de la grande distribution à Bruxelles, insiste ainsi sur le rôle joué par les supermarchés dans la gestion de l’équilibre entre l’offre et la demande. « Aujourd’hui, le marché est de plus en plus libre, nous ne pouvons pas stopper la compétition sur les produits de première nécessité », considère-t-il.
Contre Goliath, l’UE prend le parti de David
Dans l’hémicycle, les eurodéputés de tous bords ont trouvé un terrain d’entente pour mieux protéger les agriculteurs nationaux face aux pressions des multinationales et des distributeurs. Certains aimeraient désormais aller plus loin. Pour eux, la prochaine étape après la transposition de la présente directive d’ici deux ans devrait être l’introduction de plus de transparence dans la filière agro-alimentaire. L'idée serait de clarifier davantage les relations entretenues par les chaînes de supermarchés, non seulement avec les agriculteurs, mais aussi avec leurs clients. « J’aimerais que lorsque l’on va acheter des légumes ou de la viande, l’étiquette mentionne le gain du producteur sur le prix de vente, propose ainsi l’eurodéputé irlandais Matt Carthy (GUE/NGL, gauche antilibérale). De nombreux consommateurs européens seraient écoeurés s’ils étaient conscients des marges que les détaillants font sur ces produits. »
Maxime Glorieux et Thémïs Laporte