Du 6 au 8 février, les journées mondiales sans téléphone portable invitent le public à se déconnecter. À Strasbourg comme ailleurs, le défi s’annonce difficile.
Assis sur un siège, devant la médiathèque André-Malraux de Strasbourg lundi 6 février, un jeune homme est absorbé par son téléphone. Une main dans la poche, l’autre sur son téléphone, Romain, 26 ans, parcourt son fil d’actualité sur Facebook. «Je sais que j’y passe trop de temps», avoue-t-il. Comme la plupart des Français, Romain utilise d’abord son téléphone pour les réseaux sociaux : nous consultons en moyenne notre téléphone 221 fois par jour selon une étude britannique. Soit plus de 1 500 fois par semaine. «C’est souvent la dernière chose que je fais avant de dormir», avoue Romain.
Romain a une relation fusionnel avec son téléphone. Il ne se déplace jamais sans lui. «Je stresse quand je ne l’ai pas à côté de moi. Il y a toute ma vie de dedans.» Réveil, agenda, compte en banque, liste de chose à faire, son smartphone accompagne son quotidien. «C’est mon petit assistant. Il m’aide à tout faire : manger, me déplacer, m’informer», confie Romain. Participer aux journées sans téléphone, Romain n’y pense même pas : «Honnêtement, je crois que même une demi-journée ce serait dur.»
La quinzaine de personnes assises autour de lui ne sont pas en reste. Toutes sont au téléphone, sauf deux femmes qui lisent un livre chacune de leur côté.
Un peu plus loin, place d’Austerlitz à Strasbourg, une dizaine de personnes sont attablées à la terrasse d’un café. Deux femmes d’une quarantaine d’années discutent autour d’un café, leurs téléphones à portée de main. Un homme passe distraitement un appel tout en écrivant dans son calepin. Un quinquagénaire, assis à côté de lui, a abandonné son journal pour sortir son smartphone de sa poche. Voilà dix minutes qu’il fait glisser mécaniquement son pouce sur l’écran. Derrière ses lunettes de soleil, impossible de savoir s’il lit vraiment.
Fossé générationnel
Le froid n’arrête pas les accros au téléphone. Les passants traversent la place leur portable à l’oreille. Un livreur joue à l’équilibriste : ses colis sous un bras, et sa main de libre qui pianote un SMS. Deux étudiantes, hypnotisées par leurs smartphones, marchent ensemble sans échanger un mot.
«C’est vraiment fou.» Assis à une table non loin de là, Vincent, 64 ans, prend un café avec sa femme, Margot. Tous deux ont également remarqué l’omniprésence des téléphones sur la place. «Maintenant, les gens ne regardent même plus où ils marchent et vous rentrent dedans», s’agace-t-il.
Le couple de sexagénaires n’utilise ses téléphones que pour le strict minimum : «Des coups de fil ou des messages pour dire à nos proches qu’on arrive, ou donner des nouvelles». Une fois chez eux, le téléphone portable est complètement oublié : «Plus besoin, on a le fixe». Des usages et des habitudes très différents d’une génération à l’autre. «Ma petite-fille n’a qu’un an et demi et veut déjà utiliser le téléphone de sa mère. Ils commencent de plus en plus tôt», soupire Vincent.
Le compagnon des transports en commun
À midi, le tram est bondé. La rame est pourtant étrangement silencieuse : les regards évitent de se croiser grâce aux téléphones, et les écouteurs dispensent d’engager toute discussion. Seule la voix d’un homme s’élève : il est en pleine conversation téléphonique. «Non, mais là, le prêt, il me le faut maintenant, s’énerve-t-il. Je m’en fiche, tu te débrouilles.» Le téléphone, nouveau déversoire de l’intime.
Comme tous les mercredis midi, le tram est rempli de collégiens qui sortent de cours. Parmi eux, deux jeunes filles de 13 ans qui se partagent chacune une oreillette de leurs écouteurs. «On écoute toujours la musique ensemble quand on prend en tram. C’est notre truc», explique Aaliyah. Elles utilisent toujours le téléphone d’Amélie, car il a un accès à Internet. Aaliyah pense pouvoir s’en passer sans difficulté : «Je ne l’ai pas toujours avec moi. Mes parents me le prennent à partir de 18 heures». Difficile de passer une journée sans téléphone, mais une soirée pourquoi pas… mais seulement contrainte et forcée.
Phœbé Humbertjean