La France relance, les territoires s'impatientent
Pour aider l’économie à se relever, le gouvernement français a annoncé un vaste plan de relance. Présenté comme un programme s’appuyant sur les territoires, sa mise en place trahit de vieux réflexes centralisateurs qui, à en croire les élus locaux, mettent à mal l’efficacité de la reprise.
Dans une vaste salle de réunion de la préfecture de Saint-Étienne, le sous-préfet Loïc Armand s’enthousiasme : «Nous avons déjà huit entreprises lauréates !» Ces entreprises toucheront bientôt 5,6 millions d’euros de France Relance, le plan d’aide de 100 milliards d’euros co-financé par l’État et l’Union européenne pour pallier la baisse d’activité engendrée par le Covid-19.
Pour l’instant, les appels à projets publiés concernent surtout les filières de l’automobile et de l’aéronautique. Une situation qui profite aux départements industriels comme la Loire où le secteur secondaire concentre, selon l’Insee, 18% des emplois contre 12% au niveau national. Parmi les huit lauréats du département, on recense deux entreprises dans l’automobile, Tivoly et Automotive Components, et une dans l’aéronautique, Loire Études. Trois gros employeurs qui vont pouvoir investir dans de nouvelles unités de production.
Des attentes très diverses
Mais tous les territoires n’ont pas bénéficié dans les mêmes proportions des premiers appels à projet. En Dordogne, département plus rural où les entreprises automobiles et aéronautiques sont rares, seule une société est lauréate : l’équipementier Delmon Group qui travaille pour les deux secteurs. «Ici, c’est surtout le tourisme et l’événementiel qui a connu une très mauvaise année», explique Martin Lesage, secrétaire général de la préfecture de Périgueux. Les PME et TPE qui composent l’essentiel du tissu économique périgourdin attendent avec impatience janvier 2021 et le lancement des premiers appels à projets relatifs au «tourisme durable». Conscients de cette diversité des attentes, les associations d’élus plaident, depuis le printemps dernier, pour une relance décentralisée.Face à ces attentes, le gouvernement et son Premier ministre, Jean Castex, ont amendé le plan initial qui présentait presque essentiellement des appels à projets nationaux. Une nouvelle orientation qui s’incarne dans la signature, le 28 septembre 2020, d’un accord entre l'État et les régions, qui permettra de co-piloter la relance au sein des Contrats de plan État-région (CPER) créés par la loi de décentralisation de 1982. Une collaboration bien accueillie par les élus. Au niveau infra-régional, le dialogue se fera par le biais des nouveaux Contrats de relance et de transition écologique (CRTE), annoncés le 23 octobre. Ce nouvel instrument a vocation à remplacer les nombreux contrats préexistants dans l’ensemble des territoires, d’ici le 30 juin 2021. En outre, l’État s’est engagé, à travers l’affectation de 30 «sous-préfets à la relance», à mieux accompagner localement la mise en place du plan.
La plus grande victoire des collectivités, à en croire Floriane Boulay, la déléguée générale adjointe de l’Association des collectivités de France (ADCF), reste l’obtention d’une «importante enveloppe territorialisée de 16 milliards d’euros». Néanmoins, peu de choses sont encore connues concernant cette aide, si ce n’est qu’elle sera entre les mains des préfets de région et qu’elle financera la rénovation thermique des bâtiments publics et les mobilités du quotidien de demain. La récente main tendue de l’État aux collectivités, notamment sur les CRTE, pousse Floriane Boulay à affirmer qu’un «pas de géant a été franchi sur cette question».
Signaux contradictoires
Pour autant, les conditions de mise en œuvre du plan de relance trahissent des velléités jacobines persistantes du gouvernement, au grand dam des élus locaux. Déçus par les signaux envoyés depuis Paris, selon eux en totale contradiction avec les discours sur la cohésion territoriale, certains vont jusqu’à douter de la sincérité de l’État.Antoine Homé, cadre de l’Association des maires de France (AMF), rappelle ainsi la suppression par l’État de «10 milliards d’euros d’impôts de production à destination des collectivités territoriales». Une décision qui a du mal à passer auprès des élus qui jugent les compensations promises insuffisantes et qui aiment à rappeler qu’en 2015, 70% des investissements civils publics étaient le fruit des collectivités locales. Antoine Homé, qui est aussi maire socialiste de la ville de Wittenheim, au nord de Mulhouse, s’insurge : «Le gouvernement nous enjoint de participer au plan de relance mais encore faut-il qu’on en ait les moyens !»Sur le terrain, la capacité des acteurs économiques à bénéficier des aides dépend aussi du territoire dans lequel ils évoluent. «Le risque à éviter c’est que les grands départements urbains remportent l’ensemble des appels à projets», résume Martin Lesage. Pour éviter d’être «laissée de côté», la Dordogne — comme d’autres territoires ruraux — a notamment reçu le renfort d’un stagiaire de l’ENA en fin d’études qui aide à l’aménagement du plan de relance. Si le secrétaire général se dit «bien content de l’avoir», ces mesures sont bien trop faibles pour Floriane Boulay : «Il n’est pas suffisant qu’un technicien vienne en one-shot pour un projet. Il faut un système globalisant dans lequel les collectivités ont les moyens de recruter du personnel spécialement dédié à ces questions d’aménagement.»
Verticalité à risque
Cette territorialisation imparfaite pourrait entraver l’efficacité même de France Relance. Dominique Dhumeaux, premier vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), dénonce un fonctionnement «vertical et arbitraire» de Bercy : «On a été auditionnés, mais ils ne font pas confiance aux collectivités.» L’élu sarthois pointe la mise en place trop longue du plan : «Les comités de pilotage ne seront opérationnels qu’en janvier donc la liste des projets s’établira fin juin 2021. C’est trop tard. En attendant, les communes ne savent pas exactement combien elles vont toucher du plan de relance et ne peuvent donc pas démarrer leurs projets.»
Du côté des régions, les espoirs d’une plus grande collaboration semblent être déjà de l’histoire ancienne. «À la fin septembre, on pensait encore que l’État allait faire preuve de transparence et nous associer un peu. Maintenant, on a l’impression que la messe est dite», glisse un représentant d’une association de collectivités locales souhaitant conserver l’anonymat. À en croire ce fin connaisseur du dossier, cette opacité entrave le travail que mènent les conseils régionaux sur la future politique de cohésion (2021 – 2027), financée par le Fonds européen de développement régional (Feder) et le Fonds social européen (FSE). «Depuis le 3 septembre, on essaye d’y voir plus clair. Sans concertation, il y a de très sérieux risques de recoupement, voire de doublons, entre les 40 milliards de la Facilité pour la reprise et la résilience (NDLR : le premier volet du plan de relance européen) et les fonds dont on a la charge, ce qui est totalement interdit.» (Voir encadré ci-dessous)
De la vigilance mais pas d’inquiétudes
Du côté de la majorité présidentielle, on cherche à apaiser les craintes. Catherine Kamowski, députée LREM de l’Isère etco-autrice d’un rapport parlementairesur la territorialisation de France Relance se dit consciente de la « vigilance » à avoir sur cette question technique des fonds européens. Elle tient à rassurer : «La collaboration entre les préfets de région et les présidents de région au sein des comités de pilotage est justement pensée pour éviter de tels doublons.»