L'automobile mise sur l'électrique

Les États membres entendent accélérer la conversion de l’industrie automobile à la voiture électrique pour tenter de sauver une filière très fragilisée par la crise sanitaire.

Philippe Dugardin, concessionnaire automobile dans le nord de la France, est encore groggy. 2020 restera pour lui, comme pour l’ensemble des distributeurs, une année noire. Entre mars et mai, l’ensemble de ses 21 concessions sont totalement à l’arrêt. Et l’amorce d’une reprise entre mai et juillet n’a pas empêché un fort recul de son chiffre d’affaires annuel qu’il estime à près de 15%.

« On peut évidemment parler de crise. On a des ventes de voitures qui baissent de 20% au niveau mondial, de 26% en Europe », résume Nicolas Meilhan, économiste et conseiller scientifique à France Stratégie. D’après les chiffres de l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), à peine plus de 10 millions de voitures neuves devraient être écoulées dans l’Union européenne (UE) en 2020, soit 5 millions de moins qu’en 2019.

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La pandémie a frappé de plein fouet toute la chaîne de l’industrie automobile qui pèse 7% du PIB européen et représente 14,6 millions d’emplois. Les entreprises de décolletage, qui produisent de petites pièces métalliques pour les moteurs et les boîtes de vitesse, ont particulièrement souffert. Elles anticipent une baisse de chiffre d’affaires de 20 à 40% sur l’année. Déjà fragilisées par la fin annoncée de la motorisation diesel, les 400 PME et les 10 000 emplois de cette industrie ont pâti de la fermeture des usines des constructeurs automobiles et craignent pour l’avenir.

L’innovation comme nerf de la guerre

Pour relever une industrie déjà en difficulté avant la crise sanitaire, l’Union européenne et les États membres ont réagi à coup de milliards d’euros. « Il faut éviter une casse industrielle et sociale », alerte la Direction générale des entreprises (DGE). En France, 8 milliards d’euros d’investissements ont été annoncés par Emmanuel Macron le 26 mai, dont 5 rien que pour Renault. En Allemagne, où l’industrie automobile représente 5% du PIB, l’État fédéral a annoncé un plan d’aides de 5 milliards d’euros pour relancer le secteur. L’accent est mis sur l’innovation pour produire des véhicules « propres » à propulsion électrique ou hydrogène.

L’Union européenne souhaite désormais être à la pointe sur ces nouvelles motorisations. L’enjeu est double. Il s’agit de maintenir la compétitivité tout en respectant les objectifs environnementaux. Dans son « Green Deal » présenté en 2019, l’UE s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050.

Les constructeurs ont déjà fourni des efforts pour s’adapter aux mutations à venir. Ils ont annoncé des investissements massifs et le lancement de gammes de véhicules hybrides et électriques. Mais pour cela, ils ont besoin de batteries. Or l’Union européenne ne produit à l’heure actuelle que 1 % de la demande mondiale. « Les constructeurs s’appuient surtout sur des fournisseurs asiatiques, localisés en Chine ou en Corée du Sud pour les véhicules commercialisés en Europe », explique Carole Mathieu, spécialiste des politiques européennes de l’énergie à l’Institut français des relations internationales (Ifri). La crise sanitaire a montré que l’Europe est encore trop dépendante.

La gigafactory de Northvolt
La gigafactory de Northvolt en Suède doit produire ses premières batteries électriques en 2021. © DR Northvolt AB

Les projets européens d’envergure comme Northvolt en Suède, futur fournisseur de Volkswagen ou ACC, co-entreprise créée par PSA et Saft, filiale de Total, visent à lui rendre une souveraineté. Ils sont toutefois isolés. « Il y a peu de fabricants en France mais on y travaille. Notre objectif est de créer une chaîne de valeur de la batterie », affirme pour sa part la DGE. Mais sécuriser les approvisionnements à travers le financement de nouveaux acteurs et la création d’infrastructures adéquates demande du temps. « Il y a un risque de décalage entre les cibles officielles de ventes de véhicules électriques et la capacité de l’Europe à développer en face une offre qui soit suffisante, estime Carole Mathieu. Il faut pousser les constructeurs pour qu’ils s’engagent plus directement, parce que c’est la seule condition pour voir émerger des projets. Et en même temps il ne faut pas les contraindre excessivement sur des solutions qui n’ont pas encore fait leurs preuves. » Le temps politique n’est pas forcément celui des industriels.

S’adapter pour survivre

Négocier le virage de l'électrique représente un défi pour l'industrie automobile européenne. « Il y a beaucoup moins de pièces mécaniques dans une voiture électrique que dans une voiture thermique », assure Christophe Cau, chargé de mission au Syndicat national du décolletage. Les sous-traitants vont donc devoir s’adapter pour relancer l’activité et maintenir les emplois. « L’objectif est que les sous-traitants puissent se diversifier pour attraper de nouveaux marchés ou reconvertir leur chaîne de production », explique la DGE. Certains lorgnent sur de nouveaux secteurs, à l’instar de l’aéronautique.

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Ils devront acquérir de nouvelles compétences et de nouveaux savoir-faire pour ne pas dépendre uniquement du passage à l’électrique. Une manière de ne pas être pris en tenaille par les différentes injonctions des constructeurs et des pouvoirs publics. « Il faut à la fois assurer la rentabilité des véhicules actuels, c’est-à-dire les véhicules thermiques, assurer celle de l’électrique, et aussi celle de très long terme avec de nouveaux business model comme les véhicules autonomes, connectés et partagés », résume Samuel Klebaner, maître de conférences en économie à l’Université Sorbonne Paris Nord. Le temps est compté pour répondre au triple impératif social, technologique et environnemental d’une industrie en plein bouleversement.