Des entreprises en soins palliatifs ?

Pour éviter que la crise du Covid-19 ne se double d’un effondrement économique, le gouvernement français a débloqué des milliards d’euros pour les entreprises. Une aide d’urgence qui pourrait s’avérer toxique à long terme.

«Fermer une entreprise du jour au lendemain, ce n’est pas une décision facile à prendre. Mais avec le virus, les salariés avaient peur» Lionel Padey est employé depuis 37 ans sur le site de l’entreprise Ewellix, au nord de Chambéry. Lors du premier confinement, au printemps 2020, ce site de production de pièces mécaniques a été contraint de mettre ses 270 employés au chômage partiel ou en télétravail. Sur l’année, il enregistre une baisse de 10% de son chiffre d’affaires.

Lionel Padey, employé sur le site d’Ewellix depuis 37 ans, explique comment l’entreprise a pu limiter la casse.

Au niveau national, l’Insee table, pour 2020, sur un recul d’environ 9% du produit intérieur brut et la destruction de près d’un million d’emplois à cause de la pandémie. Le taux de chômage, actuellement de 9%, pourrait exploser dans les mois à venir. Une étude d’Euler Hermès prévoit au moins 64 000 faillites en 2021.
Pour Gilles Raveaud, professeur d’économie à l’Université Paris VIII Saint-Denis, «la violence du choc est sans précédent depuis 1945». Une crise inédite qui a poussé les États européens à prendre des mesures exceptionnelles pour éviter l’effondrement.

Des milliards comme bouée de sauvetage

La France ne fait pas exception. Pour faire face au spectre d’un chômage de masse, elle a injecté en urgence des sommes astronomiques milliards d’euros dans son économie. Le dispositif de chômage partiel a coûté à lui seul près de 22 milliards d’euros. «Financièrement, heureusement qu’il y a des aides, sinon on serait tous morts», résume Jean-Marc Déglise-Favre, restaurateur à Chambéry.
Au pied du château des ducs de Savoie se tient l’un de ses deux établissements, Le Grand Joseph. Chaises sur les tables, la salle habituellement comble est plongée dans le noir. Du jour au lendemain, les 20 employés se sont retrouvés sur le carreau, et malgré l’arrêt de l’activité, il fallait bien payer les fournisseurs. La mise en place du Fonds de solidarité pour les secteurs les plus touchés l’a aidé, «dieu merci», à payer ses charges.

Co-gérente d'un magasin dans ca boutique
Légende : Cassandre Renaux, co-gérante du restaurant Le Grand Joseph, accueille désormais les Chambériens dans la toute nouvelle boutique traiteur. Un moyen de garder le lien avec les clients et de préparer l’avenir. © Léa Giraudeau

Pour reconstituer un peu de trésorerie, Jean-Marc Déglise-Favre a aussi bénéficié d'un Prêt garanti par l’État (PGE), un emprunt auprès des banques dont l’État se porte garant. «On arrive à survivre», résume le restaurateur.

Jean-Marc Déglise-Favre et Cassandre Renaux, gérants du restaurant Le Grand Joseph, ont décidé de lancer une boutique traiteur.

Ces différentes aides publiques ont offert aux entreprises un filet de sécurité pour éviter les faillites immédiates. Elles ont aussi suscité une situation paradoxale : malgré une mise à l’arrêt quasi totale de l’économie, on compte 40% de faillites en moins en 2020 par rapport à 2019.

Commerces
Industries manufacturières
Activités spécialisées, scientifiques et techniques
Activités financières et assurances
Construction
Hebergement et restauration
Transport
Services d'administration et de soutien
Information et communication
Santé
Autres

Sources : ETALAB. Répartition effectuée à partir des 125 milliards déjà effectivement distribués au 27 novembre 2020

Gare aux zombies

Sources : INSEE. Recoupement des données Banque de France et greffiers des tribunaux de commerce de France pour l’estimation du T4 2020. Selon Euler Hermes, 64000 faillites devraient avoir lieu en 2021.

Le risque des entreprises vautours

Alors que beaucoup d'entreprises sont exsangues, d’autres, principalement des grands groupes en bonne santé économique, sont accusés de chercher à profiter de la situation pour détourner les aides. Sur les 24 entreprises du CAC 40 qui ont profité du chômage partiel, 14 ont versé des dividendes à leurs actionnaires, contrevenant ainsi aux recommandations du gouvernement. Les entreprises comme Vivendi et Teleperformance les ont même augmentés par rapport à 2019.
L’Observatoire des multinationales, mis en place par l’association Alter-médias, considère que certaines entreprises ont également profité de la situation pour déclencher des plans sociaux, les accusant d’être des «corona-profiteurs du CAC 40». L’association vise particulièrement Schneider Electric, qui a annoncé une restructuration avec des suppressions de postes. 350 emplois sont menacés.
Des contrôles, à la fois en amont par la Banque publique d’investissement (BPI), ou en aval par l’inspection générale du travail, ont pourtant été mis en place pour éviter les abus et détournements des aides. L’entreprise chambérienne Ewellix a d’ailleurs mis plusieurs mois à se voir accorder un PGE. Son propriétaire, le fonds d’investissement Triton Partners est basé à Jersey, une île britannique à la fiscalité particulièrement avantageuse. Pour obtenir l’emprunt, Ewellix a dû s’engager à geler certaines transactions avec sa maison mère. «Les banques voulaient être sûres que le PGE ne serve pas à rembourser des dettes à Triton, explique Benjamin Côte, directeur financier et des ressources humaines du site savoyard. Elles ne voulaient pas voir fuir les capitaux à l’étranger.»
Même si la situation économique reste délicate, l'entreprise chambérienne entend désormais se tourner vers l’avenir et relancer des investissements, «décalés» à cause de la situation actuelle. «On compte sur les nouveaux dispositifs du plan de relance qui, contrairement au PGE, concernent spécifiquement les futurs investissements», conclut Benjamin Côte.

« Il vaut mieux aider trop que pas assez »

Thyphanie Degois est députée LREM de la première circonscription de Savoie et membre de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Elle explique la nécessité d’adapter les aides aux entreprises au fil de la crise.

Comment sauver les entreprises ?

En plus du Fonds de solidarité, prévu pour les entreprises des secteurs subissant des fermetures administratives, et le report de charges, les entreprises ont pu bénéficier du prêt garanti par l’Etat (PGE). Son but est d'éviter la faillite aux entreprises dont la trésorerie est fortement menacée à cause de l'épidémie de Covid-19.
D’après les chiffres qu’on a à notre disposition, un quart des entreprises auront des problèmes de trésorerie l’année prochaine. On travaille donc maintenant sur la possibilité de transformer les PGE en fonds propres pour les entreprises.

N’y a-t-il pas de risques de dépendance à trop aider les entreprises ?

Pour moi, il faut accepter qu’on va distribuer de l’argent à quelques entreprises zombies pour aider le plus grand nombre. Il vaut mieux aider trop que pas assez. Après, on a des critères d’attribution des aides qui sont de plus en plus précis. Le challenge est d’éviter les angles morts et éviter des injustices. À l’heure actuelle, le Fonds de solidarité exclut les entreprises familiales qui sont détenues par une holding qui compte plus de 250 employés. Alors que l’entreprise en elle-même compte généralement moins de 20 personnes ! C’est injuste. Il faut donc aider la filiale plutôt que la maison mère.
Aujourd’hui, ce qu’on prend en compte c’est l’entreprise, la personne morale, mais beaucoup ont plusieurs sites. Par exemple, dans ma circonscription, il y a une entreprise de vente de vêtements dont dépendent cinq boutiques. L’entreprise ne touche qu’une fois l’aide. Alors que ceux qui créent une entreprise par boutique la touche cinq fois.

Hormis les aides publiques, quelles sont les autres solutions ?

Avec la crise, les ménages ont constitué l’épargne. Le but est de rediriger celle-ci vers les entreprises françaises. Certaines régions commencent à créer des Fonds d’investissements régionaux. Cela permet aux particuliers d’investir dans des entreprises sous forme d’actions obligatoires, sans pour autant entrer au capital. Ainsi, cela évite aux entrepreneurs de voir leur participation dans leur propre entreprise dissolue. Ce qui était généralement un frein à la participation des ménages à l’investissement.