Erasmus de bric et de broc
Les derniers mois ont remis en cause l’essence même d’Erasmus. Entre départs annulés, programmes au rabais et destinations impossibles, les universités et écoles de Bordeaux ont organisé leurs mobilités internationales, tant bien que mal.
Une expérience souvent inoubliable, des cours à l’étranger, une ambiance unique, des soirées, des rencontres et des voyages. Ce sont les promesses faites aux 340 000 étudiants européens via le programme Erasmus+ créé en 1987. Mais depuis février 2020, celui-ci a été fortement perturbé par la crise sanitaire. Cours à distance, fermetures des restaurants, des bars, des boîtes de nuit, les frontières qui se rétablissent peu à peu, le confinement... Rêvant d’ailleurs, les étudiants n’auraient jamais imaginé se retrouver enfermés dans une chambre loin de chez eux, ou devoir rentrer chez leurs parents.
Un Erasmus revisité
En France, une fois le choc de la première vague passé, les établissements universitaires ont cherché à trouver de nouvelles modalités d'échanges étudiants adaptées à la situation sanitaire. Pour la rentrée de septembre 2020, ils ont dû s’organiser chacun de leur côté, faute de directives et de coordination ministérielle. À Bordeaux par exemple, les situations divergent fortement d’un cas à l’autre.
Certains ont tout simplement renoncé à accueillir des étudiants Erasmus, au moins pour le premier semestre de l’année scolaire. C’est le cas de l’Institut des sciences de la vigne et du vin de Bordeaux (ISVV). « Dans ces conditions, on leur rend service malheureusement, soutient Pierre-Louis Teissedre, responsable des relations internationales à l’ISVV. S'ils doivent venir pour s’imprégner de la vie bordelaise, de la culture locale, visiter et qu’ils restent confinés dans leur chambre de quelques mètres carrés, ils pourraient mal vivre cette situation. »
D’autres ont choisi de maintenir les échanges, mais en les réduisant. À l’Université de Bordeaux, un tiers de la mobilité a pu être conservé. « L’administration a décidé d'interdire les mobilités hors Europe fin mai 2020 », explique Déborah Didio, cheffe du service formations et mobilités internationales de l’université girondine. Pour les mobilités obligatoires, des modules en ligne ont été mis en place pour vivre l'internationalisation virtuellement. C’est par exemple le cas pour le Master international conjoint en science agronomique et biomédical avec l'université de Tsukuba au Japon et l'université nationale de Taiwan.
À Sciences Po Bordeaux, moins d’un tiers des étudiants étrangers suivent les cours de ce premier semestre. Des cours en présentiel leur sont proposés trois fois par semaine pour des classes de français langue étrangère. Le reste des enseignements se fait à distance comme pour l’effectif permanent. La bibliothèque de l’IEP est accessible et les étudiants étrangers sont les plus nombreux à en profiter.
Les étudiants français, pour qui la deuxième année d’étude est consacrée à l’international, ont eux, pu partir à l’étranger. « Tous étaient très heureux de pouvoir partir et quand même profiter d’une année de mobilité », se félicite Ludovic Renard, directeur des relations internationales à Sciences Po Bordeaux. Il a été confronté à la pression des étudiants et de leurs parents pour partir à l’étranger. « Ils avaient peur de ne pas pouvoir partir car ils savent que c’est valorisant sur un CV », raconte-t-il. Mais comme pour l’Université de Bordeaux, ils n’ont pas pu aller au-delà de l’Europe. Ceux qui souhaitent maintenir leur voyage hors du vieux continent ont dû décaler leurs mobilités.
Sur le campus bordelais, des associations se mobilisent pour accompagner les étudiants étrangers venus malgré tout sur le campus bordelais. L’Erasmus student network (ESN) Bordeaux a continué à organiser des événements mais en plus petits comités comme des visites de la ville, de la dune du Pyla. Ils ont dû renoncer à leurs soirées dans les bars. Des événements en ligne ont été aménagés pour maintenir le lien social. Mais « en réalité les étudiants internationaux ne sont pas très intéressés car on a constaté qu’ils continuaient à se voir avec les personnes rencontrées avant le confinement », explique Océane Nicolay, secrétaire à l’ESN Bordeaux.
Des étudiants ont pu se retrouver dans des situations financières compliquées même si les bourses sont maintenues. À Sciences Po, « le fonds de solidarité de l’institution a permis d’avoir une marge de manœuvre pour les étudiants en détresse », affirme Ludovic Renard. Des fonds d’aides d’urgence et de soutien exceptionnel aux étudiants en situation de précarité ont également été mis en place par l’Université de Bordeaux. Les étudiants étrangers en ont été les premiers bénéficiaires. Le programme Erasmus et les régions ont continué de financer les mobilités lorsque les étudiants étaient à l’étranger mais l’Agence Erasmus France insiste : « Il ne peut pas y avoir de financement s’il n’y a pas de mobilité physique. Il faut partir deux mois au minimum. »
La mobilité hybride : une solution temporaire
Lancées en juin 2020, les mobilités hybrides recommandées et financées à hauteur de 100 millions d’euros par Erasmus, ont été accélérées avec la crise sanitaire. Ces dernières associent des activités virtuelles en lien avec la mobilité, comme l’apprentissage à distance organisé par l’établissement d’accueil, couplé avec une mobilité physique à l’étranger possible dès que la situation sanitaire le permettra. Un Erasmus repensé avec des cours en visioconférence qui confrontent les étudiants à une culture pédagogique différente.
Pour Déborah Didio, les mobilités hybrides permettent d’avoir un aperçu de ce que peuvent être des cours à l’étranger. « Mais ça ne remplacera jamais la mobilité physique, ajoute la responsable des mobilités internationales de l’Université de Bordeaux. Les étudiants ne choisissent pas de faire un Erasmus seulement pour les cours. C’est une petite partie de leur motivation. Ils veulent aussi pouvoir voyager, vivre des expériences... »
L’avenir du programme Erasmus ne semble pas compromis malgré la crise sanitaire. Des solutions temporaires ont été apportées avec un investissement de 100 millions d’euros de la part de l’Union européenne pour soutenir la préparation à l’éducation numérique et les compétences créatives. Les institutions européennes ont même renforcé le programme en lui allouant une somme encore plus grande dans le prochain budget pluriannuel 2021-2027. Celle-ci a été fixée à 26 milliards d’euros après l’accord conclu en décembre 2020 entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. Presque le double de l’enveloppe accordée pour la période 2014-2020.