Sombres pronostics, angoisse, et immobilité. Certains en sont convaincus : il faut limiter nos déplacements, renoncer à nos modes de vie actuels. Nous n’avons déjà plus le choix.
Depuis un an, Astrid Kerner et Marion Pichery sont engagées dans la lutte pour le climat. Les deux femmes défendent un monde sans voiture et sans consommation de masse. Un modèle de vie différent qui permettrait de réduire drastiquement notre empreinte carbone.
C’est une soirée particulière pour Astrid Kerner et les militants d’Extinction Rebellion (XR) de Fribourg-en-Brisgau, dans le sud de l’Allemagne. Ce mercredi 11 décembre, le groupe fête son premier anniversaire. Ils sont déjà plus de 200 à avoir rejoint le mouvement.
Astrid Kerner a 58 ans. Née dans l’ancienne RDA, cette psychologue est venue s’installer dans la région à la fin des années 1990. Elle se définit elle-même comme attachée à l’environnement, partisane de la décroissance. Elle ne possède ni ordinateur, ni smartphone. Quant à l’ordinateur dans son cabinet, « c’est un mal nécessaire pour le travail », regrette-t-elle.
Avec XR, elle milite depuis un an pour la suppression totale des émissions de CO2 d’ici 2025. Pour atteindre cet objectif, le groupe prône un renoncement aux véhicules personnels, ainsi qu’une utilisation plus intensive des transports en commun.
Marion Pichery, 31 ans, milite aussi pour un changement radical des mobilités. L’année dernière, elle s’est engagée auprès d’un autre mouvement citoyen, Bizi, au Pays basque. Fondée en 2009, l’association compte 700 membres. Elle demande plus d’espaces cyclables dans les villes et leurs agglomérations, avec des aménagements sécurisés. « Dans les campagnes, il faudrait davantage de trains, plus adaptés pour accueillir les vélos, ce qui inciterait plus de personnes à se rendre au travail avec ces moyens de transports », explique cette enseignante en mathématiques. Elle reconnaît néanmoins qu’il est encore difficile de se passer totalement de la voiture.
Astrid Kerner a pourtant réussi. Il y a vingt ans, elle décide d’abandonner complètement l’utilisation de la voiture. Elle reconnaît avoir eu peur, au début, de ce nouveau mode de vie. « Finalement, je l’ai vécu comme un soulagement. » Depuis, la psychologue a aussi renoncé à l’avion. Son dernier vol remonte à 2011, un voyage en Russie pour ses 50 ans. Désormais, quand elle part en vacances, elle utilise le train. « Un moindre mal », dit-elle, en référence à l’électricité qui fait avancer la locomotive. En Allemagne, elle est toujours majoritairement produite par des centrales à charbon, fortes émettrices de CO2.
Les deux militantes pour le climat ne se contentent pas de critiquer l’usage de la voiture et de l’avion. Elles remettent en question toute la consommation de masse. Avec les autres membres de XR, Astrid Kerner cherche à limiter ses déchets : « Tous les mercredis, avant de venir aux réunions du groupe, je fais mes courses dans un magasin de vente en vrac, ce qui me permet de tout acheter sans emballage. »
Au Pays basque, Marion Pichery revendique aussi une consommation zéro déchet. « Le mois dernier, avec une quarantaine d’adhérents à Bizi, nous avons fait nos courses dans un supermarché. Puis, nous nous sommes tous retrouvés devant pour déballer nos produits et laisser les emballages sur place. C’est une façon de faire prendre conscience de la quantité de déchets qu’ils représentent », explique la militante.
Avec son mouvement citoyen, elle entreprend régulièrement des actions de désobéissance civile pour diffuser leur message. Leurs revendications portent généralement sur des changements à apporter dans leur ville ou région pour atteindre un mode de vie plus durable. Pour l’enseignante, « l’attachement local est fédérateur. Nous nous battons davantage pour des choses qui nous concernent au quotidien ». Elle constate aussi que de plus en plus de personnes rejoignent le mouvement. « Ils n’étaient pas forcément tous militants à la base », précise-t-elle. Mais l’urgence climatique a fini de les convaincre de s’engager.
Aurélien Gerbeault et Julia Greif, à Fribourg-en-Brisgau
Jean Jouzel, climatologue et ancien vice-président du groupe scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) alerte sur la nécessité de changer radicalement nos pratiques d’ici 2050.
À quoi ressemblera le climat dans 30 ans ?
En 2019, 54 à 55 milliards de tonnes de CO2 ont été émises dans le monde. Mais le réchauffement climatique, qui aura lieu entre aujourd’hui et 2050, ne dépend pas des émissions des dix prochaines années. Il dépend surtout du CO2 déjà présent dans l’atmosphère. En Europe de l’Ouest, en 2050, ce réchauffement climatique aura pour conséquence une augmentation comprise entre 1°C et 1,5°C par rapport à aujourd’hui. Nous connaîtrons des événements climatiques extrêmes, comme des sécheresses et des canicules plus importantes qu’aujourd’hui. L’intensité des vagues de chaleur augmentera en moyenne deux fois plus rapidement que les températures. Des records seront battus chaque année sur le continent.
Ursula von der Leyen a défini l’objectif de neutralité carbone en Europe pour 2050. Est-ce réaliste ?
Cet objectif fixé par l’Union européenne va dans la bonne direction, mais il ne sera pas facile à remplir. Les traités actuels permettent d’encourager et de développer les échanges, ils ne sont pas favorables à la protection du climat. Cependant, le repli complet de l’Europe ou d’un pays sur lui-même n’est pas non plus souhaitable. Il faut trouver un mode de développement qui préserve le climat tout en permettant une solidarité mondiale.
Mais quand on voit les émissions qui augmentent, il est difficile d’être optimiste. Des mesures seront mises en place mais je crains qu’elles soient insuffisantes. Elles n’empêcheront pas un réchauffement de la planète supérieur à 1,5°C à la fin du siècle. On s’y prend trop tard. Pourtant, elles sont nécessaires pour que les jeunes d’aujourd’hui n’éprouvent pas de difficultés à s’adapter au climat durant la deuxième moitié de ce siècle.
Que faudrait-il faire pour atteindre cet objectif de neutralité carbone ?
La neutralité carbone doit être réalisée dans tous les domaines, des transports aux logements, en passant par l’alimentation et donc la production. Il faut changer complètement notre modèle et améliorer notre efficacité énergétique. En France, il faudra consommer deux fois moins d’énergie en 2050 par rapport à aujourd’hui.
Concernant les transports, la neutralité carbone ne peut s’envisager que si on abandonne les véhicules thermiques. Comme les avions ont toujours besoin de kérosène pour voler, le développement du trafic aérien posera aussi problème. Ces déplacements devront donc être beaucoup plus restreints. Je ne dis pas qu’il faudra complètement les éliminer, mais on ne peut pas imaginer un monde sans carbone dans lequel le transport aérien augmente aussi rapidement.
Propos recueillis par Aurélien Gerbeault