Pour le secteur automobile, c’est un virage à ne pas rater. Les constructeurs ont été ébranlés par le scandale du Dieselgate en 2015. À la manière de PSA, à Sochaux, ils doivent se réinventer… ou sombrer.
À partir du 1er janvier 2020, les émissions de CO2 des véhicules ne devront plus dépasser les 95 g/km sous peine d’amendes pour les constructeurs. Un défi de taille pour l'industrie automobile.
PSA et Fiat Chrysler ne font désormais plus qu’un. Le mariage entre les deux constructeurs automobiles a été entériné le 17 décembre et doit leur permettre de devenir le quatrième constructeur mondial. Objectif commun : « relever les défis d’une nouvelle ère de mobilité durable ». À plus court terme, il leur faudra faire face aux nouvelles normes d’émission de CO2 extrêmement contraignantes en Europe. Car à compter du 1er janvier 2020, l’émission moyenne d’un véhicule ne devra pas dépasser les 95 g/km, alors que le taux était jusqu’à maintenant fixé à 130. Un chiffre calculé en fonction de l’émission moyenne de l’ensemble des ventes annuelles d’un constructeur. L’Union européenne a aussi fixé une réduction des émissions de CO2 de 37,5 % en 2030 par rapport aux chiffres de 2021. Une étape intermédiaire de -15 % est fixée à 2025.
En plus de ces objectifs de réduction, un nouveau système d’homologation des véhicules en Europe a été mis en place en septembre 2018. Plus proche des conditions de conduite réelle, il alourdit aussi les mesures de CO2. La Commission européenne pourra, à partir du 1er septembre 2020, effectuer ses propres contrôles et rappeler les véhicules non conformes voire interdire leur mise sur le marché. « Avant 2018, un véhicule était homologué dans un laboratoire privé financé par les constructeurs automobiles. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, c’est une avancée », se félicite Karima Delli (Europe Écologie Les Verts), présidente de la commission transports au Parlement européen.
« Ces normes sont un choc pour les constructeurs », explique Bernard Jullien, économiste à l’université de Bordeaux et spécialiste du secteur automobile. « On leur fixe un cap qu’ils vont avoir du mal à atteindre en 2025 mais encore plus en 2030. On les a punis après le Dieselgate. » Les fraudes en 2015 du célèbre constructeur allemand Volkswagen sur les émissions polluantes de ses véhicules ont eu pour effet de rendre les autorités politiques du continent nettement moins conciliantes avec l’industrie automobile.
Des amendes sont prévues pour les constructeurs qui dépasseraient les 95 grammes d’émissions. Il est question de 95 euros par véhicule et par gramme excédentaire, soit des additions qui pourraient atteindre plusieurs centaines de millions d’euros. « Aucun constructeur ne prendra le risque d’encourir ces amendes, estime Bernard Jullien. Si en juin 2020 ils se rendent compte qu’ils ne respectent pas les normes, ils vont mettre en place des politiques commerciales, et presser les concessionnaires pour qu’ils vendent plus tel modèle pour arriver à des moyennes acceptables. »
Par ailleurs, pour éviter de payer ces amendes colossales, certains modèles trop peu performants et avec de faibles marges ont été retirés des catalogues. Ce fut le cas cette année pour les modèles Adam, Karl et Cascada chez Opel. « Petit à petit, les gammes vont rentrer dans les clous parce que l’industrie va acquérir un savoir-faire et produire seulement des véhicules compatibles avec les normes », prédit Laurent Meillaud, journaliste spécialisé dans l’automobile et les nouvelles technologies.
Ébranlé par le scandale, Volkswagen se veut désormais exemplaire. Le groupe prévoit de lancer 75 modèles 100 % électriques d’ici 2029 et aller ainsi encore plus loin que les objectifs fixés. PSA, de son côté, n’a pas la même stratégie. Plutôt bon élève en matière d’émissions, le constructeur mise notamment sur des hybrides rechargeables et quelques électriques, tout en continuant de produire des moteurs thermiques. Jean-Charles Lefebvre, porte-parole du groupe PSA Sochaux, affirme avoir « beaucoup de commandes de 208 électriques », et précise : « PSA est actuellement à 98 g/km et a pour objectif de descendre à 93 g/km l’année prochaine. »
Bernard Jullien décrypte la politique de l’industriel : « Pour respecter les objectifs en 2021, 7 % à 8 % d’électrique leur suffit à condition de vendre beaucoup de diesel car ils rejettent moins de CO2 que les véhicules thermiques. L’idée est de faire remonter le diesel à 40 - 45 %. Si jamais l’électrique a trop de succès, ils essayeraient alors de vendre plus de SUV, très émetteurs, pour limiter les efforts de réduction pour 2030. » En effet, réduire de 37,5 % sera plus facile à obtenir si les émissions ne sont pas trop faibles dès 2021. D’autres constructeurs se trouvent plus en difficulté. C’est le cas notamment de Dacia qui a pris du retard car leurs SUV ont beaucoup de succès. L’arrivée de nouveaux modèles hybrides pourrait être une première solution pour ne pas rester en marge du mouvement d’électrification.
L’électrique s’affirme donc comme la principale solution d’avenir, mais « les infrastructures et la demande manquent », indique Laurent Meillaud. En France, pour le moment, seuls 200 000 véhicules électriques sont sur le marché pour un total de 40 millions de véhicules. « On force la main de l’industrie avec l’électrique et le risque c’est de se retrouver avec des véhicules invendus car la demande n’est pas présente. » Pour être efficace, l’industrie ne peut donc être seule à changer son mode de fonctionnement. Au premier rang desquels les conducteurs eux-mêmes.
Victor Boutonnat et Nicolas Robertson, à Sochaux
Dans le berceau de l'automobile, Porsche et Daimler règnent en maîtres. Mais la restructuration est inévitable pour assurer la transition vers l’électrique et le maintien de l’emploi.
Sur l'imposant bâtiment de la gare, l’étoile de Mercedes tourne jour et nuit. Comme on dit à Stuttgart : tant que l’étoile de Mercedes est présente, tout va bien. De fait, Daimler se porte à merveille. Cette année, l’entreprise a augmenté son chiffre d’affaires de plus de 5 %. Porsche a également enregistré une hausse de 2 %. Mais derrière les murs des usines, tout n’est pas si rose. En 2015, l’industrie automobile allemande a été touchée de plein fouet par le Dieselgate, une triche systématique sur les émissions rejetées par les moteurs diesel de la marque Volkswagen.
Depuis, l’Union européenne a imposé de nouvelles normes aux constructeurs automobiles. À partir de 2020, les voitures devront donc rejeter moins de CO2 et de dioxyde d’azote. Ce qui force l’industrie automobile à repenser un modèle économique fondé sur les carburants fossiles et organiser sa restructuration vers l’électrique. En pleine transition, la marque de luxe vante donc une voiture de sport 100 % électrique. « À partir de 2030, Porsche proposera des versions électriques de ses modèles actuels. Je pars du principe que nous aurons électrifié 50 % de notre palette totale de véhicules d’ici 2025. Mais le moteur à combustion aura toujours sa place d’ici 2030 », explique Lutz Meschke, le président du comité directeur des finances de la marque dans son « Rapport financier et de durabilité 2018 ». L’adaptation d’une nouvelle stratégie est indispensable, car l’Allemagne et l’Union européenne ont pris beaucoup de retard sur la transition vers l’électrique. Contrairement à la Chine et aux États-Unis qui ont déjà pris ce virage depuis longtemps.
Mais le passage à l’électrique devrait avoir des conséquences sur l’emploi. Certes, les géants de l’automobile auront besoin d’une main d’œuvre qualifiée dans les systèmes de batteries. Mais les moteurs électriques sont plus faciles à construire. Et la robotisation rend la production plus efficace. Ce qui pourrait aboutir à des suppressions massives d’emplois. Une perspective qui préoccupe beaucoup la région, où 215 500 personnes, soit 17 % des salariés dépendent plus ou moins directement de l’industrie automobile.
Fin novembre, Daimler annonçait la suppression de 10 000 emplois dans le monde d’ici à 2022. L’objectif est d’économiser 1,4 milliard d’euros pour financer la transition électrique. Et le pire serait à venir : selon l’étude Elektromobilität 2035 de l’Institut de recherche sur le marché du travail et l’emploi de Nuremberg, 114 000 suppressions de postes pourraient intervenir d’ici à 2035 dans le secteur automobile en Allemagne. Environ 16 000 postes pourraient ainsi être créés, en lien avec les technologies de l’information et de la communication ainsi que l’approvisionnement en énergie. « Il y aura des changements profonds. Certains métiers n’existeront plus à l’avenir. Mais il y aura de nouveaux services de mobilité qui vont créer des emplois », prévient Edgar Neumann, l’un des porte-paroles du ministère des Transports de Bade-Wurtemberg.
L’ampleur de la restructuration est telle que les petits sous-traitants, nombreux dans la région et spécialisés sur des composants des moteurs à combustion, sont menacés. Ils auront du mal à assumer les coûts de formation de leurs employés et auront besoin d’aides publiques pour accomplir leur transformation.
Les dirigeants du Land de Bade-Wurtemberg sont conscients des bouleversements à venir. En 2017, ils ont initié un « dialogue stratégique » avec les représentants de Daimler, de Porsche, des associations de consommateurs, des syndicats et des associations écologiques pour éviter une transition trop brusque vers l’électrique. Sous l’égide du ministère des Transports et du ministère de l'Économie du Bade-Wurtemberg, ils se réunissent régulièrement. Ils réfléchissent ensemble aux enjeux de la recherche et du développement, de l’énergie et des innovations. Objectif : travailler main dans la main pour défendre le secteur économique le plus puissant de Stuttgart.
Leila Fendrich et Camille Henriot, à Stuttgart