En matière de mobilité propre, Copenhague fait figure de modèle. Mais les autoroutes à vélo, bus et voitures électriques ont un prix. L'Union européenne se dit prête à mettre l'argent sur la table. Tout le monde aura-t-il sa part ?
La capitale danoise a un objectif ambitieux : devenir la première au monde à atteindre la neutralité carbone en 2025. Depuis un siècle déjà, le vélo est roi dans les rues de Copenhague. Mais l’espace public n’est pas extensible et la population de la ville continue d’augmenter.
Le jour se lève sur Copenhague et déjà un flot continu de cyclistes déferle sur le pont de Dybbølsbro. Depuis sa réouverture en octobre dernier, il accueille la plus large piste cyclable de la ville : dix mètres. En ce qui concerne les mobilités douces, la métropole danoise, élue capitale verte européenne en 2014, a une réputation de première de classe. Première en qualité de l’air selon un rapport Greenpeace en 2018. Première en infrastructures cyclables depuis deux ans à l’index mondial du cabinet de conseil Copenhagenize.
Dans son grand bureau rempli de souvenirs et récompenses, le directeur de la fédération cycliste danoise, Klaus Bondam, fait le bilan : « C’est le résultat d’un siècle de développement et de coopération entre la municipalité, l’État, les urbanistes, les associations et les compagnies privées. » La toute première piste cyclable date de 1892. Tardif, le développement de la voiture dans la ville est vite enrayé par le choc pétrolier de 1973. Des milliers de Danois se mobilisent, réclamant le retour des infrastructures cyclables. Copenhague fait alors machine arrière et s’inspire d’anciens plans de la ville afin de reconstruire les pistes cyclables délaissées un temps pour les voitures.
Depuis l’accueil de la COP 15 en 2009, Copenhague est encore passée à la vitesse supérieure. Entre 2008 et 2018, la mairie a investi 270 millions d'euros pour la promotion des infrastructures cyclables (ponts, places de parking et chemins sécurisés pour les écoles). Et ça marche ! En 2016, Copenhague passe un cap symbolique : on y compte alors plus de vélos que de voitures.
Selon Klaus Bondam, également maire adjoint à l’environnement jusqu’en 2010, le renforcement des aides cyclistes a un effet bénéfique sur la santé des citoyens : « Pour chaque kilomètre de route que l’on transforme en voie cyclable, la société gagne un peu plus d’un euro grâce à la baisse des congés maladie et l’allongement de l’espérance de vie. » La politique cyclable de la capitale danoise a aussi permis de faire baisser drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Entre 2005 et 2014, elles ont diminué de 42 %.
Aujourd’hui, la capitale européenne de la petite reine continue de tenir le cap. « Nous voulons être la première capitale au monde à atteindre la neutralité carbone en 2025 ! », s’exclame Mikkel Krogsgaard Niss, conseiller spécial auprès du maire au sujet des mobilités vertes. Ayant déjà atteint l’objectif de 50 % des déplacements quotidiens pour le travail ou l’école à vélo qu’il s’était fixé pour 2020, il s’attaque désormais aux échanges avec la banlieue.
Prochain défi pour la mairie : connecter le centre-ville au reste de la métropole, alors que sa population passera de 620 000 à 720 000 habitants d’ici 2031. Inauguré en juillet dernier, le pont Lille Langebro affiche un design incurvé comprenant une piste cyclable de quatre mètres de large. Surtout, il est interdit aux voitures. Selon Mikkel Krogsgaard Niss, c’est un moyen de décourager les automobilistes de se rendre en centre-ville. « Le but est de créer des raccourcis pour les piétons et cyclistes. Les voitures devront faire un détour pour traverser le canal », explique-t-il.
La capitale danoise s’est également associée avec une trentaine de municipalités de banlieue pour développer 746 kilomètres d’autoroutes cyclables. Ces itinéraires permettent de rejoindre le centre-ville sans devoir s’arrêter aux intersections. Huit d’entre eux sont déjà en service. Résultat, le nombre de cyclistes a augmenté de 23 % sur ces axes les jours de semaine.
Mais une fois arrivé en centre-ville, il faut pouvoir garer son vélo. Entre les vélos de particuliers et ceux des compagnies privées de free-floating, les trottoirs de la ville sont encombrés. Il est courant de retrouver les vélos accrochés aux grilles, poteaux, arbres… John D. Heilbrunn, le vice-président de l’antenne danoise de l’Union européenne des aveugles, rit jaune : « C’est un nouveau défi pour les personnes atteintes de cécité ou malvoyantes ! Vous pouvez à tout moment vous cogner. »
Trouver une place libre dans l’un des parkings extérieurs publics relève de la gageure. « Lorsque nous créons des places de stationnement pour les vélos aux abords des bouches de métro, elles sont prises d’assaut », analyse Mikkel Krogsgaard Niss. Autre son de cloche de la part de la fédération cycliste danoise. Elle dénombre 80 000 places libres sur les 180 000 places de stationnement mises à disposition par la mairie. Selon cette organisation, les parkings à vélo seraient surtout mal situés.
Aujourd’hui, la cité aimerait faire du bus électrique un moyen de transport complémentaire au vélo. « Nous voulons être leader, affirme Mikkel Krogsgaard Niss. Les bus électriques représenteront 100 % du réseau dans dix ans. Et nous espérons que d’autres villes nous imitent afin que nous puissions réduire les coûts et faire des économies d’échelle. Ce sera bénéfique pour tous. »
Le programme de bus électriques est déjà bien avancé dans la capitale danoise. Il pleut des cordes ce dimanche 8 décembre pour l’inauguration des premières lignes. Mais le ministre des Transports Benny Engelbrecht, baskets aux pieds, affiche un large sourire. Il soutient que le modèle de la capitale s’articule autour d’une politique nationale. « Le Danemark peut inspirer d’autres pays par son ambition, déclare-t-il, fièrement. Nous voulons réduire nos émissions de CO2 de 70 % en dix ans. »
Concrètement, le nouveau gouvernement social-démocrate a pris une décision dès son arrivée en juin 2019 : l’interdiction de vente des véhicules à combustible fossile (diesel et essence) d’ici 2030. « À cette date, si nous ne faisons rien, nous aurons seulement 320 000 voitures électriques, détaille le ministre. Nous devons augmenter ce nombre de façon significative. L’accès à des places de parking gratuites est, par exemple, une solution ». Une mesure déjà inscrite dans le budget 2020 de la capitale danoise. Après avoir atteint ses objectifs cyclistes, Copenhague veut désormais devenir la ville la moins polluée d’Europe.
Maxime Glorieux et Jessica Hans, à Copenhague
Au nom du Green deal, l'Union européenne entend accroître son soutien financier aux mobilités vertes.
La priorité c’est le climat. C’est ce qu’affirme Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission, qui a lancé le 11 décembre une politique de Green deal. Pour cette raison, les transports pourraient prochainement bénéficier d’aides plus importantes de la part de l’Union. Ce domaine reçoit déjà depuis longtemps des fonds structurels et d’investissement européens (ESI), qui sont alloués sur certains projets cofinancés entre États membres et UE.
Depuis 2014, 56 milliards d’euros ont été alloués dans les réseaux de transport et d’énergie, pour construire plus de 3 900 kilomètres de chemin de fer ou encore 400 kilomètres pour le métro et le tramway. Amélioration des routes en Pologne, création de tramways à Bratislava, en tout, 69 milliards d’euros d’investissements sont destinés, au titre des fonds ESI, à réaliser des infrastructures de réseaux dans les transports et l’énergie sur la période 2014-2020. Ce cycle d’investissement consacre 22 % des fonds à des mesures réduisant les émissions de polluants.
Ainsi, un circuit de voies vertes reliant les villes espagnoles de Pampelune et Saint-Sébastien ainsi que Bayonne, en France, est en passe d’être achevé en décembre 2019. Les 240 kilomètres de piste de ce projet nommé Ederbidea représentent un budget total de 9,4 millions d’euros, financé à 65 % par l’UE. Cette aide financière fait partie des fonds ESI. Plus de 3 800 projets en bénéficient.
Cette fois, pour le nouveau budget pluriannuel qui débute en 2021, la Commission propose qu’au minimum 25 % des montants soient engagés dans des projets qui devraient contribuer à développer une économie plus verte et investir dans les transports publics.
Jérôme Flury, à Bruxelles