Anvers suffoque, Strasbourg étouffe. Malgré les efforts, les quantités de particules fines et de gaz à effet de serre dans les métropoles continuent d’augmenter.
La capitale flamande est le deuxième plus grand port d’Europe. Mais les émissions des cargos et des camions de marchandises font tousser sa population et poussent la municipalité à agir.
Une gare aux allures de château, de larges places avec de magnifiques maisons : promenez-vous à Anvers et vous saurez très vite que vous êtes dans l’une des villes les plus riches de Belgique. Mais c’est aussi l’une des plus polluées d'Europe.
Et pour cause : son port, le deuxième plus grand du continent, dégrade fortement la qualité de l’air. En 2019, plus de 235 millions de tonnes de marchandises y ont été transportées par la mer. Le port rejette de fortes émissions de gaz à effet de serre. Mais sa situation géographique pose aussi problème car il se trouve à moins de 15 minutes en tramway de Sint-Jansplein, la place historique d’Anvers. Les camions de marchandises qui s’y rendent passent donc tout près du centre-ville.
Autre cause de la pollution de l’air dans le centre-ville : la proximité de l’autoroute. Construite dans les années 1960, elle forme un cercle tout autour de la ville.
« L’autoroute provoque en permanence des valeurs très élevées de dioxyde de carbone (CO2). Notamment parce que de nombreux camions de marchandises passent presque directement par Anvers », explique Joeri Thijs, expert en qualité de l’air pour Greenpeace Belgique. 48 000 camions font le trajet chaque jour. Pour faire face à ce problème, la ville a pris plusieurs mesures.
« Nous allons couvrir 25 % du périphérique par un tunnel, ce qui nous permettra de mieux éliminer les polluants », assure Tom Meeuws, adjoint à l’environnement à la mairie d’Anvers. Ce Ring Road Project devrait être mis en place en 2030. Mais les travaux n’ont toujours pas commencé.
Autre solution envisagée : l’augmentation du trafic ferroviaire. Pour l’instant seules 7 % des marchandises sont transportées en train mais l’objectif est d’atteindre 50 % d’ici à 2030.
La forte utilisation des voitures de fonction en Belgique contribue aussi à la pollution de l’air. Car l’État taxe moins les salariés qui utilisent la voiture de leur entreprise que ceux qui acceptent une augmentation de salaire. Conséquence : rien qu'en 2019, on compte environ 500 000 voitures de fonction sur les routes belges.
« Avec ce système, plus que tout autre pays européen, nous encourageons les gens à prendre la voiture. De plus, les transports publics ne se développent pas assez vite », critique Joeri Thijs de Greenpeace Belgique.
Filip Meysman a cherché à mesurer précisément l’impact du trafic routier sur la qualité de l’air. 2 000 habitants ont participé à l’étude de ce professeur de biologie à l’université d’Anvers, menée en mai 2016. « Le nombre de personnes testées était impressionnant. Nous avions tellement de volontaires que nous avons commandé 1 000 tubes de prélèvement supplémentaires », se souvient-il.
Pendant un mois, les participants ont dû mesurer la qualité de l'air sur le pas de leur porte. La procédure était simple : ils devaient accrocher les tubes aux fenêtres des maisons donnant sur la route. « Beaucoup nous ont dit qu'ils avaient déjà remarqué que leurs enfants tombaient souvent malades. Parfois même, ils souffraient d'asthme. Ils voulaient alors savoir dans quels endroits d’Anvers l’air était particulièrement mauvais », explique le chercheur.
L’étude a démontré que c’est notamment dans le centre-ville que les niveaux de pollution de l'air dépassent les limites. Mais aussi vers l’autoroute et aux alentours du port. En tout, 40 places d’Anvers dépassent de 50 % les limites de dioxyde d’azote fixées par l’Union européenne.
Franziska Grote, à Anvers
En pointe sur les mobilités douces, Strasbourg continue pourtant à dépasser les normes européennes en matière de gaz polluants. Une situation qui s'explique en grande partie par la place toujours prééminente de la voiture.
Strasbourg étouffe, l’Europe réprimande. En octobre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a condamné la France pour « manquement aux obligations » de protéger ses habitants contre la pollution de l’air. Strasbourg fait partie des douze agglomérations françaises mises en cause dans l’arrêt de la Cour pour dépassement des seuils réglementaires d’émissions de dioxyde d’azote.
Selon Atmo, le réseau de surveillance de la qualité de l’air dans le Grand Est, les seuils d’émissions de dioxyde d’azote et d’ozone ont encore été dépassés en 2018 à Strasbourg. Les concentrations annuelles moyennes de dioxyde d’azote autour de l’autoroute A35, à l’ouest de Strasbourg, étaient cette année là deux fois supérieures à la valeur limite de 40 microgrammes par mètre cube. Au delà de cette valeur limite, ce gaz est considéré comme très dangereux pour la santé.
Le cas de Strasbourg est paradoxal car la ville est souvent perçue comme un modèle de lutte contre la pollution. Un modèle qui lui a permis de se hisser à la troisième place des agglomérations qui agissent le plus contre la pollution de l’air, selon un classement établi par le Réseau Action Climat, un groupement d’ONG françaises. Il faut dire que l’Eurométropole est à la pointe sur le développement des transports en commun et du vélo. Avec la mise en place d’une Zone à faibles émissions (ZFE) en 2021, elle espère réduire d’autant plus ses émissions polluantes.
Si les gaz polluants ont bien baissé ces dernières années, ils n’en restent pas moins trop élevés par rapport aux seuils réglementaires. Une partie du problème s’explique par la géographie locale : Strasbourg est située en plein coeur de la plaine d’Alsace, entourée à l’Ouest par les Vosges et à l’Est par le Rhin et la Forêt Noire. Les gaz polluants tendent à y stagner.
Au sein de la métropole, ce sont en grande majorité les déplacements routiers qui provoquent cette concentration de polluants. Le trafic est responsable de 58 % des émissions de particules fines PM10, par exemple. C’est l’autoroute A35 qui concentre la plus grande partie du trafic routier : 300 000 véhicules l’empruntent chaque jour. Qui plus est, la place de la voiture dans les déplacements au sein de la métropole est encore trop importante. Selon une enquête de l’Eurométropole, un tiers des déplacements se fait encore en voiture individuelle.
C’est ce problème que la construction du Grand contournement ouest (GCO) doit régler. Les travaux de ce nouvel axe nord-sud de 24 kilomètres ont commencé en octobre 2019. Les défenseurs du GCO y croient : il permettra de désengorger l’A35 et ainsi réduire les émissions de polluants. Atmo estime que le trafic pourrait diminuer de 15 %. Un argument qui ne convainc pas tout le monde, notamment Jean-Baptiste Gernet, adjoint au maire de Strasbourg (ex-PS), pour qui « la plupart des véhicules empruntent l’A35 surtout pour se rendre d’un point à l’autre de l’Eurométropole. Ça ne règlera donc pas le problème ». Pour Daniel Karcher, maire de Kolbsheim (sans étiquette), ville par laquelle passera le GCO, ce nouvel axe pourrait même devenir « un véritable couloir à camions ».
Charles Schillinger, ingénieur chez Atmo, résume le débat ainsi : « Le GCO aura bien un impact bénéfique pour les habitants de l’Eurométropole mais seulement s’il s’accompagne de mesures de restrictions. Sinon, il pourrait avoir l’effet inverse et inciter plus d’usagers à prendre leurs voitures. »
Sarah Chopin