Pourquoi réduire ses émissions de CO2, quand on peut les absorber ? La nature permet déjà d’en stocker une partie, mais des innovations technologiques s’inventent pour s’occuper du reste. Mine d’or ou puits sans fond ?
À défaut de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, certaines entreprises cherchent à compenser leur empreinte carbone en plantant des arbres et en protégeant des forêts. Une solution efficace mais limitée.
Planter des arbres pour continuer de faire voler des avions. EasyJet a annoncé, le 19 novembre, son intention de soutenir des projets de reforestation et de développement d’énergies renouvelables, en Amérique du Sud et en Afrique. Ces arbres devraient permettre d’absorber autant de CO2 présent dans l’atmosphère que la quantité émise par les 1 530 vols quotidiens de la compagnie aérienne. En octobre, Air France annonçait aussi vouloir compenser ses émissions carbone pour ses vols domestiques.
Les compagnies aériennes sont responsables de 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et de 13 % des émissions dues aux transports. Avec l’augmentation continue du trafic aérien, cette part devrait encore s’accroître. D’ici 2040, plus de huit milliards de passagers prendront l’avion chaque année, contre quatre milliards aujourd’hui, d’après l’Association internationale du transport aérien (AITA). Des chiffres qui incitent les compagnies aériennes à trouver des solutions pour réduire leur empreinte carbone.
Pour concrétiser leurs annonces, elles font appel à des entreprises spécialisées. « Depuis début 2019, nous sommes de plus en plus sollicités par des entrepreneurs qui souhaitent compenser les émissions carbone », constate Stéphane Hallaire, président de Reforest’Action. Fondée en 2010, l'entreprise met en place des projets de protection et de restauration des forêts par la plantation d’arbres, financés par des particuliers ou des entrepreneurs qui cherchent à diminuer l’impact de leurs activités sur le climat.
Mais la reforestation n’est pas le seul moyen permettant de compenser ses émissions carbone. En Suisse, la fondation Myclimate, créée en 2002, propose de soutenir des projets de transition des énergies fossiles vers les renouvelables, ou bien de réduction de gaz à effet de serre. « Nous calculons la quantité de CO2 émise par nos partenaires, puis nous leur fixons un prix, afin qu’ils puissent soutenir financièrement l’un de nos projets. Par exemple, en Inde, beaucoup de foyers utilisent du bois ou du kérosène pour se chauffer et cuisiner : nous proposons d’apporter à ces familles des réchauds fonctionnant au biogaz, une source d’énergie propre et durable », explique Kai Landwehr, de la fondation.
Ainsi, EasyJet, dont le bénéfice avant impôts s’élevait à plus de 500 millions d’euros en 2019, dit vouloir investir en 2020 près de 29 millions d’euros dans ce genre de projets. Mais planter des arbres pour compenser ses émissions pourrait avoir ses limites à l’avenir : le changement climatique devrait avoir des conséquences sur la végétation et donc sur la capacité des forêts à capter le carbone. Certaines régions pourraient aussi devenir inhospitalières pour de nombreuses plantes, ce qui réduirait les espaces disponibles pour planter des arbres.
À Berlin, l’Öko-Institut a déjà formulé ces critiques. Hannes Böttcher, chercheur spécialisé sur la biomasse, l’agriculture et la forêt à l’institut, préfère donc rester prudent : « Vouloir compenser ses émissions carbone par la reforestation ou en protégeant des forêts est une bonne initiative. Mais la compensation doit être une solution de dernier recours, quand une entreprise ne peut pas réduire davantage ses émissions de CO2. »
Stéphane Hallaire partage cette analyse : « Quand une entreprise nous contacte pour un projet de compensation de ses émissions, nous nous intéressons aux mesures qu’elle a déjà prises ou qu’elle souhaite mettre en place pour les réduire. Planter des arbres doit s’inscrire dans une vraie stratégie de réduction du CO2. »
Une stratégie qu’EasyJet dit avoir déjà mise en œuvre. L’entreprise renouvelle actuellement sa flotte avec des avions consommant moins de kérosène et émettant moins de CO2. En novembre, elle a aussi conclu un partenariat avec Airbus pour développer des moteurs électriques pour les avions. Mais la compagnie reconnaît que la compensation n’est qu’un moyen de réduire son empreinte carbone en attendant l’arrivée des nouvelles technologies qui pourraient lui permettre de réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre.
Aurélien Gerbeault
Pour Dominique Arrouays, ingénieur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), les puits de carbone naturels ne peuvent être qu’une solution à court terme.
Qu’est-ce qu’un puits de carbone naturel ?
Les sols constituent les principaux puits de carbone : ils contiennent deux fois plus de carbonne que l'atmosphère et trois fois plus que la végétation. Le sol capte le carbone, essentiellement par la décomposition des végétaux. Il le stocke entre 50 et 100 ans sous forme de matière organique. Celle-ci est biodégradée par des micro-organismes qui rejettent lentement une partie de ce carbone dans l'atmosphère. C'est ce qu'on appelle le processus de minéralisation.
Il est possible d'augmenter la quantité de carbone stockée dans les sols. Une première solution consiste à réduire l'érosion pour que le carbone stocké dans les sols ne parte pas dans les océans. Il faut donc éviter d'avoir des sols nus en permanence, par exemple en les aménageant avec des haies. Favoriser les plantes à enracinement profond, comme la luzerne, est une autre solution intéressante. Grâce à leurs racine, le carbone est stocké plus profondément et plus longtemps. Il est aussi mieux biodégradé par les micro-organismes.
Planter des arbres pour compenser ses émissions de CO2, une mesure efficace ?
Protéger les massifs forestiers est une excellente idée. La déforestation, en vue de cultiver les terres, est une source importante d’émissions de carbone, notamment les brûlis. Mais ce que l’on appelle la compensation carbone, qui consiste à planter des arbres, est plus discutable. Cette pratique pose en effet la question de la sécurité alimentaire. Si l’on plante des arbres partout, il y aura moins de surface disponible pour l’agriculture, ce qui entraînerait le développement de cultures intensives. Vouloir replanter à tout prix n’est donc pas la meilleure solution. Le plus important est d’éviter la déforestation et de conserver l’existant.
Les puits de carbone peuvent-ils vraiment compenser nos émissions ?
Cette solution ne s'applique pas partout. Elle suppose des changements de pratiques agricoles qui ne sont pas toujours acceptables ou faisables. Elle est aussi limitée dans l’espace : la Terre a une surface finie, on ne peut pas la recouvrir entièrement de forêts. Mais la captation doit quand même être développée, car tout est bon pour arriver à limiter nos émissions et atteindre l’objectif, fixé par le GIEC, de ne pas dépasser un réchauffement de plus de 2° en 2050. Cependant, il ne peut s’agir que d’une solution temporaire. À long terme, la vraie solution consiste à limiter nos émissions globales de CO2.
Propos recueillis par Aurélien Gerbeault