Le pied sur le frein, la main sur le klaxon, les Européens pestent dans les embouteillages mais tiennent à leur bagnole. Le covoiturage et l’autopartage sont encore loin d’être un réflexe.
Voyager à plusieurs : une pratique encore rare, mais de plus en plus répandue. Son bilan écologique est plus mitigé qu'on ne pourrait le croire.
Sur internet, les plateformes de covoiturage se comptent par dizaines. La plus connue, BlaBlaCar, a débarqué sur le marché en 2006. Le principe est simple : mettre en relation des personnes faisant un même trajet en voiture pour qu’elles puissent voyager ensemble. Une fois la demande renseignée, un algorithme affiche les trajets correspondant au mieux au souhait de l’internaute.
Pour 2018, BlaBlaCar vante un bilan environnemental satisfaisant : 894 000 tonnes de CO2 économisées. Pourtant, derrière les chiffres impressionnants de la start-up française se cache une autre réalité du covoiturage. Car si ce principe reste indéniablement efficace pour réduire le nombre de voitures en circulation, il détourne ses utilisateurs des transports en commun, beaucoup moins polluants. D’autant plus que la moyenne d’un voyage organisé par le biais de cette plateforme est long : 263 kilomètres. Une étude réalisée par BlaBlaCar révèle en effet que sans covoiturage, 6 % des voyageurs n’auraient pas effectué de déplacement, et 36 % auraient pris le train. Un mode de transport 23 fois moins polluant que la voiture.
Cette tendance aux longs trajets n’est pas réservée à BlaBlaCar. Mobicoop, une autre plateforme de covoiturage basée à Nancy, observe le même phénomène. « Notre but n’est pas de favoriser le covoiturage sur les longs trajets. Mais quand il y a de la demande, on ne peut pas brider les utilisateurs », explique Jibé Bohuon, bénévole à Mobicoop. Car pour qu’une plateforme marche, il lui faut atteindre une masse critique, et pour cela couvrir assez de destinations pour que l’offre réponde à la demande des covoitureurs.
La question de l’équilibre économique de ce type de plateforme reste en effet une préoccupation centrale. BlaBlacar a d’ailleurs instauré en 2011 une taxe payée par les voyageurs sur chaque trajet. Elle peut s’élever jusqu’à 25 % du montant total de la course. Le procédé a déclenché un tollé auprès des utilisateurs, mais aussi des concurrents de la plateforme. C’est notamment le cas de Mobicoop, qui revendique être fondé sur un tout autre modèle, coopératif. Pour les trajets organisés via ce site, le voyageur paye en effet directement le conducteur. « Notre plateforme permet à des covoitureurs d’échanger leurs numéros pour s’organiser par la suite sans passer par nous. Ce qui n’est pas possible avec les sites à commissions », détaille Jibé Bohuon. Les inscrits peuvent, tout de même, contribuer au financement via des dons ou par l’achat d’une part de l’entreprise, pour un montant de 100 euros. Mobicoop développe également des plateformes de covoiturage pour des entreprises et des collectivités. L’année dernière, elle a ainsi créé Ouestgo, en Bretagne, et Mov’ici pour la région Auvergne Rhône-Alpes.
D’autres plateformes régionales existent, notamment en Alsace, où une entreprise a créé en 2011 une plateforme baptisée Covoiturage67-68. Dans le Bas-Rhin, elle permet d’accéder à 80 aires de covoiturages, comprenant plus de 1 000 places. Pourtant, le nombre de trajets proposés aux utilisateurs reste très faible : moins de 150 en décembre 2019. Un échec. « Il est rare que des personnes me contactent pour un covoiturage », explique Nathalie qui propose un covoiturage quotidien de Strasbourg à Entzheim, près de l’aéroport de la capitale alsacienne.
Pour le chargé de projet mobilités au Conseil Départemental du Bas-Rhin, Guillaume Lequy, la limite du dispositif réside dans la longueur des trajets proposés. « Pour les déplacements de courte distance, les opérateurs travaillent directement avec les entreprises. C’est plus efficace car les utilisateurs auront systématiquement un point d’arrivée commun ce qui facilitera la mise en relation entre covoitureurs et passagers », précise Guillaume Lequy.
Pour que le covoiturage réussisse, « avoir des aires de covoiturage ne suffit pas », ajoute-t-il. « On doit aménager des voies réservées sur les grands axes routiers : avoir une voie pour les voitures et une autre pour le bus et les covoitureurs par exemple. Il faut également des subventions car les économies faites par les covoitureurs aujourd’hui ne convainquent pas assez. Enfin, il est aussi important d’inciter les entreprises à sensibiliser leurs employés. » Résultat : huit ans après sa création, la plateforme alsacienne s’apprête à fermer.
Finalement la solution la plus efficace serait peut-être celle du covoiturage court et spontané, organisé en dehors de toute plateforme. C’est ce que vivent quotidiennement les étudiants strasbourgeois de l’école de kinésithérapie à l’Ortenau, en Allemagne.
Lisa et Mélodie sont en deuxième année et vivent à Strasbourg. Elles prennent la voiture tous les jours pour se rendre à l'école. Les deux amies habitent à quelques minutes l’une de l’autre. « Au début, on a tenté le covoiturage avec d’autres étudiants selon la zone géographique, mais ce n’était pas stratégique. A l’époque, j’habitais au Neudorf, et pour aller récupérer quelqu’un à la gare puis retourner en Allemagne, cela faisait quand même un détour », explique Lisa.
S’il parait plus facile de partager sa voiture pour de courts trajets, la pratique reste marginale. En France, seuls 3 % des conducteurs partagent leur voiture quotidiennement. Le chiffre est encore moins important pour les trajets de longue distance où il atteint à peine 1,6 % des déplacements.
Aya Alkhiyari
Les sociétés d’autopartage s’implantent progressivement dans les grandes villes européennes. Si ce mode de déplacement est bénéfique pour l’environnement, il reste trop peu utilisé pour avoir un impact décisif.
Quatre millions de clients dans 14 pays pour Drive Now, 40 000 utilisateurs dans 110 villes françaises pour Citiz. L’autopartage se développe partout en Europe autour d’un même principe : la mise en commun de véhicules en libre service. Mais les systèmes d’autopartage diffèrent d’une société à une autre. Abonnements ou location ponctuelle, stationnement des véhicules à la station de départ ou bien free floating, véhicules électriques, essence, décapotables ou SUV, chacune a son propre modèle.
En France, Citiz met à disposition des voitures reconnaissables à leur toit turquoise. Les abonnés du service les récupèrent et les déposent dans des stations, grâce à une application.
Drive Now, filiale du constructeur allemand BMW, propose quant à elle des voitures électriques et à essence en free floating. Un service intégré dans les transports en commun des villes dans lesquelles elle est implantée, comme Copenhague.
Quel que soit le modèle, les véhicules en autopartage permettent de combler les besoins des automobilistes occasionnels. Ceux-ci s’évitent les coûts d’entretien, d’assurance ou encore de parking. Dès lors, selon une étude du bureau de recherche 6t, spécialisé dans les questions de transport, une seule voiture en autopartage peut remplacer jusqu’à huit véhicules personnels. Il est donc logique que les villes fassent bon accueil à ce mode de déplacement, qui renforce aussi l’attractivité du vélo et des transports en commun. Les usagers ont en effet tendance à limiter leur recours à l’autopartage pour des trajets le week-end, pour faire des courses, ou bien pour des déplacements professionnels ponctuels.
Si ses effets sur l’environnement sont indéniables, ce mode de déplacement reste encore peu répandu et reste en grande majorité cantonné aux villes.
Selon le cabinet d’études 6t, l’autopartage a permis en 2019 d’éviter 100 millions de kilomètres de déplacement automobile en France. Une goutte d’eau par rapport aux 674 milliards encore effectués.
Mélissa Antras