07 février 2018
Le Parlement européen a créé, mardi, une commission spéciale chargée d’enquêter sur les processus d’autorisation des pesticides dans l’UE. Les eurodéputés souhaitent répondre aux inquiétudes sur la potentielle intrusion des lobbies industriels dans la procédure de réautorisation du glyphosate pour cinq ans, votée fin novembre.
Environ 9 000 tonnes de glyphosate sont utilisées chaque année en France. © Noor Oulladi et Sophie Wlodarczak
Enquête d’intérêt général, nouveau procès contre Monsanto ou coquille vide ? Une commission spéciale sur la procédure européenne d’autorisation des pesticides a été approuvée mardi par le Parlement européen, à Strasbourg. Les écologistes Verts-ALE, les sociaux-démocrates du S&D et la gauche radicale GUE ont obtenu gain de cause. Michèle Rivasi, eurodéputée écologiste, s’est battue pour sa création : « À la suite des révélations sur les “Monsanto Papers”, on s’est aperçu que Monsanto avait beaucoup d’influence sur les expertises scientifiques déterminant la toxicité de son produit. C’est une puissance industrielle colossale qui achète des experts, des universitaires, les paye pour qu’ils signent les études rédigées par eux-mêmes, explique-t-elle. Il nous faut être vigilants.»
Constituée de 30 députés – choisis jeudi en session plénière –, la commission a neuf mois pour mettre en lumière les potentiels conflits d’intérêts entre l’industrie et les agences européennes. Le nom du ou de la presidente fait l’objet d’une forte attention de la part des élus, dont certains refusent de réagir avant que la composition ne soit rendue publique.
« L’Efsa a perdu sa crédibilité »
En septembre, l’ONG autrichienne Global 2000 a révélé que de longs passages du dossier déposé par l’américain Monsanto pour solliciter le renouvellement du glyphosate ont été recopiés par les agences européennes dans leur rapport d’évaluation officiel sur la toxicité du produit, présent dans le Roundup, l’herbicide le plus vendu au monde. L’Agence européenne de la sécurité des aliments (Efsa) a jugé «improbable que le glyphosate représente un danger cancérogène pour l’homme » en se fondant sur cette évaluation.
Michèle Rivasi estime nécessaire que l’Agence divulgue les documents sur lesquels elle s’est appuyée pour tirer cette conclusion, malgré le poids du secret commercial. Pour l’élue écologiste, « l’Efsa a perdu sa crédibilité. Il faut qu’on regarde toutes les failles où l’industrie est capable de s’infiltrer ».
« Un objet politicien »
Dans les couloirs du Parlement, la nécessité de cette commission spéciale est contestée. Angélique Delahaye, l’eurodéputée (PPE, centre droit) se méfie: « Le risque est qu’elle soit un objet politicien » façonné par les anti-glyphosate pour remettre ce débat controversé sur le devant de la scène.
La remise en cause de l’indépendance de l’Efsa, au centre des enjeux de cette investigation, est aussi perçue comme une manœuvre politique par l’Agence, elle-même. « Nous avons observé, dans le courant de l’année, que lorsque la science ne correspond pas à certains points de vue ou idéaux, c’est souvent cette dernière qui est considérée comme le bouc émissaire dans le débat public », se défend un porte-parole de l’Efsa. De son côté, l’ECPA, l’Association européenne des fabricants de pesticides, espère que ce groupe d’enquête montrera « combien le processus d’approbation des pesticides est rigoureux et sûr », affirme son porte-parole, Graeme Taylor.
Le poids de la mobilisation citoyenne
Malgré les profonds désaccords sur la toxicité ou non du glyphosate et de sa mise sur le marché, l’initiative citoyenne européenne « Ban Glyphosate », initiée par une coalition de 38 ONG, et réunissant plus d’un million de signatures début 2017, a été déterminante. Ces dernières années, l’accumulation des affaires éclaboussant la neutralité des institutions, à l’image du Dieselgate, alimentent la suspicion des ONG européennes. Suffisant pour mettre d’accord les présidents des groupes européens, en janvier, sur la création de cette commission, procédure exceptionnelle. Depuis la création du Parlement en 1952, seules 16 commissions spéciales ont été établies dont une destinée au Dieselgate en 2016. La France, elle aussi, a lancé une enquête sur l’indépendance des agences européennes, sous l’égide du député La République En Marche, Cédric Villani.
Noor Oulladi et Camille Toulmé