08 février 2018
Très impliquée dans la lutte contre la corruption en Roumanie, Monica Macovei (ECR, souverainiste) a tenu un discours accusateur au Parlement. © Juliette Vilrobe
Le débat commence à peine que le vide se fait sentir. Pas de trace, ce mercredi dans l’hémicycle, de la nouvelle Première ministre roumaine social-démocrate, Viorica Dancila. L’ancienne eurodéputée était pourtant la seule membre du gouvernement à pouvoir défendre, devant le Parlement européen, la réforme du système judiciaire discutée depuis un an dans son pays. C’est pourtant d’elle que les eurodéputés attendaient des explications.
« Une arme contre la justice »
Cette réforme préoccupe l’Union européenne. Elle y voit un risque de réduire l’indépendance des magistrats, lesquels seront tenus responsables en cas d’erreurs judiciaires et devront en répondre devant la Chambre des députés. Pour l’eurodéputé roumain Catalin Sorin Ivan (S&D, social démocrate) la réforme illustre une volonté « d’amoindrir le pouvoir du Parquet national anti-corruption et servir les intérêts d’un petit nombre. Le gouvernement se sert de la réforme comme d’une arme contre la justice ». L’eurodéputée maltaise Roberta Metsola (PPE, centre-droit) va jusqu’à évoquer une « tentative du gouvernement de supprimer le judiciaire et d’édulcorer la lutte contre la corruption ». L’une des mesures prévoit également qu’aucune enquête ne soit lancée avant que la personne incriminée en soit informée. « Comment peut-on alors prendre les gens en flagrant délit ? », s’emporte Monica Macovei (ECR, souverainiste), ex-ministre roumaine de la Justice.
Venu de Bucarest pour combler l’absence de la Première ministre, le garde des Sceaux Tudorel Toader a, durant trois jours, multiplié les réunions informelles avec les eurodéputés. Son but : convaincre les élus du bienfait des réformes entreprises par son gouvernement. Sa demande de prise de parole au sein de l’hémicycle a été refusée en raison des règles européennes. Furieux, les partisans de la réforme ont dénoncé une tentative de censure de la part du président de la séance, Dimitrios Papadimoulis (GUE/NGL, gauche radicale).
« Une sorte de dictateur non officiel »
Derrière ces réformes de la justice roumaine, un homme, Liviu Dragnea. « C’est le personnage le plus corrompu de Roumanie. Il contrôle tout, accuse Catalin Sorin Ivan. C’est une sorte de dictateur non officiel. » Président du premier parti du pays - le parti social-démocrate - et de la Chambre des députés, Liviu Dragnea contrôle également l’exécutif. Celui qui ne peut prétendre au poste de Premier ministre, en raison d’une condamnation en 2015 pour fraude électorale, a le pouvoir de destituer et nommer le chef du gouvernement. Il est à l’origine de l'ascension de Viorica Dancila, une de ses fidèles. L’homme fort du pays n’a qu’un seul objectif : échapper à la justice, quitte à se mettre l’Europe à dos.
Les opposants sont de plus en nombreux, à commencer par la société civile. L’an passé, des manifestations ont rassemblé jusqu’à 100 000 personnes dans les grandes villes de Roumanie. « Je suis très inquiète de la situation de mon pays », explique Mara Ratiu, 21 ans, étudiante en droit à l’Université de Strasbourg. Installée en France pour ses études depuis trois ans, la jeune femme est notamment investie dans l’ONG Parlement européen des jeunes. Elle suit avec attention l’actualité roumaine. « Les politiques sont nombreux au sein du parti à être poursuivis par la justice. Ils sont directement concernés par la réforme qu’ils proposent, en vue d’échapper à la justice. »
Vers une sanction de l’UE ?
« Les Roumains ont beaucoup d’espoir en l’Union, c’est leur pilier. J’espère que l’Europe s’engagera face à ce gouvernement borné », indique Aline Fontaine. La journaliste, installée à Bucarest, s’attend à des sanctions financières de la part de l’Union. « Le pays est sous perfusion de l’UE. Ce sont des fonds essentiels pour eux.» La Commission européenne a esquissé l’idée de lier l’accès aux fonds européens au respect de l’Etat de droit. Autre moyen de pression à disposition de l’institution, l’activation de l’article 7 du Traité européen. La Commission européenne pourrait, à terme, suspendre Bucarest de ses droits de vote au Conseil de l’Union. Une menace déjà brandie à l’égard de la Pologne et la Hongrie, deux pays où l’Etat de droit est également malmené, mais jusqu’alors jamais mise à exécution. « Il y a de fortes similarités entre ce qu’il se passe avec la Roumanie et la Pologne, mais j’espère que mon pays ne sacrifiera pas tout pour des intérêts personnels », déclare Catalin Sorin Ivan.
En attendant, en Roumanie, « la situation s’est beaucoup dégradée, se désole Mara. On a eu l’espoir que les choses changent grâce à nos protestations, mais il est très difficile d’envisager un renversement du gouvernement ». Inquiets, les eurodéputés implorent le Parlement roumain de revenir sur les lois qu’il a votées. Il en va du respect de la crédibilité de l’UE, à l’aube de la présidence tournante de l’Union par la Roumanie, au premier semestre 2019.
Meerajh Vinayagamoorthy et Sophie Wlodarczak