Dans la zone piétonnière de Rivétoile, les horaires restreints et le manque d'espaces de déchargement compliquent le travail des livreurs. L’Eurométropole souhaite minimiser l’affluence de véhicules pour faire la part belle aux autres usagers et réduire la pollution.
Rivetoile, 9h du matin, les livreurs s’affairent. La zone souterraine de livraison est en effervescence, des véhicules stationnent, feux de détresse allumés au bord de l’avenue du Rhin, à cheval sur le trottoir. De chaque côté du centre commercial et de la presqu’île Malraux, le problème d’accès aux commerces est le même. Les livreurs s’adaptent comme ils peuvent pour respecter leurs délais, quitte à enfreindre les règles. Certains vont même jusqu’à traverser la passerelle piétonne en voiture, ou utiliser les accès pompiers.
« Au sous-sol de Rivetoile, on reste bloqués pendant des heures, il n’y a pas de place réservée et parfois il y a même des clients qui vont dans la partie livraison. Du coup je me mets sur le trottoir, au moins je suis tranquille », témoigne Serkan, livreur UPS. Tous les jours, il livre une vingtaine de colis aux boutiques du centre commercial.
Nombreux sont, comme Serkan, les livreurs qui dénoncent les difficultés pour desservir ce secteur. L’obstacle principal : un nombre trop restreint de zones de livraisons. Le souterrain est trop petit comparé aux flux de véhicules, il est vite encombré par les poids lourds, chaque commerce réceptionnant en moyenne huit fournisseurs différents par jour.
Malgré la circulation, se garer sur le trottoir reste l'option la plus simple. © Mado Oblin
Plusieurs aller-retours entre l'avenue du Rhin et les commerces sont nécessaires pour tout déchager. © Mado Oblin
Conçu il y a plus de 20 ans, le projet de Rivétoile a été pensé comme un grand centre piéton. Jean Baptiste Alberico, chef de projet au service des Projets urbains de l’Eurométropole, ne pense pas qu’il serait pensé différemment aujourd’hui. : « On est conscient qu’il peut y avoir des difficultés, des situations dangereuses, mais on donne des horaires d’accès libres. Aux livreurs de se débrouiller ». Kevin Simoni, livreur Delanchy pour le restaurant Léon de Bruxelles, arrive tôt : « Vers 6h30. J’ai la clef du resto, je n’ai pas à attendre que le gérant du commerce réceptionne les moules. » Jusqu’à 600 kg le samedi. Cette organisation est peu courante : « Les commerçants ne veulent pas réceptionner plus tôt », déplore Céline Oppenhauser, chef projets innovants à la direction de la mobilité et des transports de l’Eurométropole.
Sur la presqu'île Malraux, les soucis viennent des chantiers : la fin de la construction des tours Black Swan, la circulation des camions bétonnières et le stationnement des ouvriers : « Aux Estudines [résidence étudiante située dans Black Swann], la livraison est impossible, explique Dimitri Wittmann de RDL (Régie linge développement). Les ouvriers se garent là, et ça empêche les livraisons ». Il constate néanmoins une amélioration : « Il y a six mois, je me garais au ciné et je traversais avec les chariots de linge à pied. Qu’ils se dépêchent de finir ! » Certains camions doivent repartir avec la marchandise à défaut de pouvoir décharger à proximité. « On essaie de s’adapter. On grossit les commandes pour éviter d’être en rupture de stock quand ça arrive », explique Michel Blandin, gérant du restaurant La Boucherie.
Depuis la fin des travaux, la presqu'île Malraux est plus facilement accessible. © Mado Oblin
Comme pour le centre ville, Rivetoile et la presqu'île Malraux sont avant tout des zones piétonnes. « À 11h les camions n’ont plus accès aux voiries, explique Céline Oppenhauser, on a restreint les horaires d’entrée pour que les livreurs soient obligés de s’organiser de manière vertueuse. » Les livraisons seront interdites au delà de 10h30 à partir de septembre 2018. « Mais les véhicules propres auront une heure de plus ». L’objectif est de supprimer les véhicules diesel du centre-ville d’ici 2021. Cette restriction a pour but « de pousser [les entreprises de transport] à développer les solutions qui existent. » Parmi elles, la ville a un temps expérimenté le projet Distripolis de Geopolis (filiale de la SNCF), qui consistait à créer des hubs urbains pour redistribuer les marchandises avec des véhicules électriques. Un concept qui n’a pas pris. L’Eurométropole table maintenant sur l’équipement des livreurs par des camions au gaz naturel comprimé, comme ceux utilisés à Lyon par le groupe Pomona. La flotte électrique de La Poste sert aussi d’exemple.
Rivetoile et la presqu'île Malraux sont difficiles d'accès pour les livreurs. © Mado Oblin
Pour Céline Oppenhauser, il s’agit de promouvoir « un travail d'accompagnement » pour responsabiliser les compagnies : « Par la réglementation, on incite à optimiser les livraisons. »
Aucune de ces solutions ne tient compte de la réalité des livreurs. Reste la piste de l’utilisation du canal. Une idée séduisante pour Michel Blandin : « Le monsieur qui vend des légumes sur son bateau, c’est astucieux ! C‘est une ouverture potentielle pour avoir des produits frais. » Mais cette option est techniquement au point mort : les quais d’amarrage se trouvent du mauvais côté du canal. Une question de propriété se pose aussi, selon Jean-Baptiste Alberico : « Le canal appartient aux Voies Navigables de France et on n’a pas étudié cette piste. »
Marie Dedeban et Mado Oblin