Vous êtes ici

De petits entrepreneurs prennent le risque d'investir au Danube et au Heyritz. Un pari économique sur l'avenir dans deux zones qui manquent de dynamisme aujourd'hui, mais pourrait bien en gagner demain.

[ Plein écran ]

La boulangerie, La Passion des délices, et le restaurant L'Equilibriste ont ouvert récemment dans les quartiers du Danube et Heyritz. © Konstantin Manenkov

[ Plein écran ]

La construction des logements durera encore 2 à 3 ans avant d’accueillir les nouveaux habitants © Konstantin Manenkov

Il est 10h et le bruit des pelleteuses résonne entre les tours de l’éco-quartier Danube. Autrefois en friche, cet espace est en pleine rénovation. Au milieu du brouhaha, Jérémy Hinnewinkel vient d’ouvrir sa première boulangerie, La Passion des délices : « A l’origine, je voulais m’installer à Port du Rhin, près du Crédit Mutuel, en face de la ligne du tram. Mais il n’y avait pas de raccordements électriques suffisants pour une boulangerie. »

C’est le logeur social Habitation Moderne, lié à la CUS, qui lui a proposé de s’installer dans le futur éco-quartier. Pour le moment, les immeubles en face de la boulangerie ne sont pas achevés, la route n’est pas encore bétonnée et des dizaines d’ouvriers installent les canalisations. Cet environnement défavorable au commerce n’a pas découragé ce jeune homme de 26 ans : « J’ai pris un gros risque, mais c’est aussi un rêve. »

Situation similaire environ deux kilomètres plus à l’ouest, près du parc Heyritz. Là, les constructions sont déjà finies, mais malgré les incitations de l’Eurométropole, peu de commerces ont ouvert. La Ville avait souhaité réserver des locaux au rez-de-chaussée des immeubles.

Mais deux projets n’ont pas abouti : un restaurant a fermé, une crèche n’a jamais vu le jour. Jean-Baptiste Alberico regrette ce manque de commerces. Le chef de projet du service des projets  urbains de l’Eurométropole constate que « malheureusement, il n’y a rien et c’est un problème. Ce quartier est isolé, en cul de sac. Les commerçants ont peur de manquer de clients ».

Peu accessibles en voiture, économiquement peu développés, l’Ecoquartier Danube et le Heyritz souffrent d’un manque d’attractivité qui défavorise le développement des commerces. Elodie Beyer est gérante de l’agence Tempo, une agence de conseil en création et en développement de projets et d’entreprises. Selon elle, le fait d’être situé à côté de Neudorf ou de Rivétoile explique la faible activité économique de ces nouveaux quartiers. « S’y installer est un gros pari parce que dans le centre-ville, il y a davantage de potentiel, souligne-t-elle. Pour que les petites entreprises qui s’y implantent soient rentables, il faut que les habitants d’autres endroits viennent ».

Une « nouvelle ville » à l’horizon

Selon Jérémy Hinnewinkel, s’implanter dans le quartier Danube présente pourtant trois avantages : un loyer à faible coût, la présence d’autres entreprises autour de l'arrêt du tram Winston Churchill et l’arrivée de nouveaux habitants dans le quartier.

La boulangerie La Passion des délices fait un chiffre d’affaires de 700 euros par jour, le point d’équilibre se situant autour de 1000 euros. Jérémy Hinnewinkel ne regrette pas s’y être implanté. « Le quartier n’est pas fini, il y a encore une école maternelle qui doit être construite, les résidences étudiantes ne sont pas encore toutes habitées.  J’aimerais rester ici mais il faut voir comment ça fonctionne. »

[ Plein écran ]

Jeremy, 26 ans, ne voit que les points positifs dans le quartier pour sa première entreprise © Konstantin Manenkov

D’ici trois ans, les constructions seront finies. 1600 nouveaux habitants s’installeront. Florian Venant, chef de projet transition énergétique et écologique en urbanisme à la Ville et à l’Eurométropole de Strasbourg, table sur une explosion de l’activité économique d’ici trois à cinq ans. Une superficie de 3000 m2 est prévue pour l’installation de commerces. « C’est la temporalité qui est importante, il faut attendre que les gens s’installent dans le quartier. »

Jean-Baptiste Alberico, chef de projet à l’Eurométropole imagine « une deuxième phase d’urbanisation avec plus d’habitants pour faire fonctionner les commerces. »

Cultiver sa singularité

Selon Elodie Beyer, pour être rentable dans ces quartiers, il faut proposer une offre « unique », différente de ce qu’on peut trouver notamment dans le centre-ville. Elle cite L’Ere végane. Ce magasin vegan situé dans l’éco-quartier du Danube a ouvert ses portes en juin et propose différents types de produits : fruits et légumes, produits sans gluten, maquillage et produits d’hygiène 100% vegan.

Nicolas Guduche propose, lui aussi, une offre commerciale particulière. Son restaurant bio L'Équilibriste a ouvert le 7 juin 2017 aux abords du parc Heyritz, juste derrière les nouveaux bâtiments de la CAF et l’Hôtel de police.

[ Plein écran ]

Nicolas Guduche travaille lui-même dans la cuisine, accueille les clients et fait des livraisons © Konstantin Manenkov

Ce quadragénaire confie avoir réfléchi à l’offre qu’il souhaitait proposer : des menus pour les végétariens, les vegans, les flexitariens, les intolérants au gluten et au lactose. A l’origine, en face de son restaurant bio se trouvait une pizzeria, qui a fermé quelques mois après son ouverture. Nicolas Guduche suppose que cette offre ne correspondait pas à la demande. 

Il a recensé environ 6500 salariés travaillant dans le quartier. L’absence d’autre concurrent direct joue en sa faveur, même si la CAF et l’hôtel de police ont leur cantine. « Pour le moment, on est sur une bonne dynamique. On a bien évolué depuis l’ouverture, avec des clients qui reviennent. On n’est pas loin du point d’équilibre », se réjouit-il.

Plus loin, du côté de la route du Rhin, le magasin d’articles de sport et de running Jog’R fait figure de pionnier. Yann Schuler l’a ouvert en avril 2010 : « C’était le premier commerce du coin. A l’époque, il n’y avait pas de trottoir et même pas d’immeubles autour. » Malgré la montée de l’e-commerce et la concurrence, il survit sans site internet et sans avoir développé la vente en ligne. Et son magasin n’a pas souffert du manque d’infrastructures ou de l’absence de dynamique économique.

Marianne Naquet et Konstantin Manenkov

Imprimer la page