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Le centre commercial Rivetoile n’est pas réservé aux consommateurs. Chaque jour, des usagers viennent flâner, skater, lire ou jouer, s’appropriant les lieux à leur façon.

Il est dix heures, le centre commercial Rivetoile ouvre ses portes. Les usagers commencent à errer et à se diriger vers les magasins encore vides. Un homme chétif aux cheveux hirsutes d’une cinquantaine d’années emprunte les escalators pour se rendre au niveau – 1. Il se dirige en boitant vers le bureau d’information. Il présente sa carte de fidélité à l’hôtesse d’accueil qui lui tend le journal. Gilbert est un habitué des lieux. Il vient tous les jours depuis l’ouverture de la galerie marchande en 2008 lire son exemplaire des Dernières Nouvelles d’Alsace. « Je lis ici, je fais tout ici depuis neuf ans, je connais tout le personnel et personne ne m’embête», précise-t-il confortablement assis sur les fauteuils rouges près des escalators. Gilbert est un ancien travailleur du bâtiment aujourd’hui sans-abri. Passionné de rockabilly, il passe ses journées entre Rivetoile et la médiathèque André-Malraux voisine, pour regarder des films et écouter ses morceaux préférés.

A l’extérieur, un jeune homme assis sur les marches qui mènent à l’eau sort des bouts de pain de son sac en plastique. Il les tend à une tribu de ragondins voraces sortis de l’eau. Ata, étudiant en première année de droit âgé de 18 ans, a quitté sa Turquie natale et sa ville d’Izmir il y a deux mois. Il a découvert ces rongeurs hier. « C’est génial ! Vous avez la vie sauvage dans le centre-ville en France, on n’a pas ça en Turquie. Là-bas il n’y a que des chiens sales errants, sourit-il. C’est très reposant pour moi, je pense que je vais revenir mais j’espère que j’ai le droit de les nourrir. »

Sortie familiale

De l’autre côté de la rive, autour de l’aire de jeux, l’ambiance est plus bruyante. Fatiha Baraka observe ses trois enfants qui s’amusent au tourniquet situé à quelques mètres de la porte Univers noir du centre commercial. Aujourd’hui, sa famille est venue spécialement de Hoenheim pour passer l’après-midi à jouer sans rien acheter. « On vient lorsqu’on a envie de changer d’air, de quitter notre quartier », dit la mère en observant ses enfants, âgés de 2, 6 et 10 ans. « C’est toujours moi qui demande de venir ici », précise fièrement Mouaadh, l’aîné.

Passer le temps en bande

Devant la porte d’entrée principale de Rivetoile, se trouve un autre espace de jeu improvisé. En fin d’après-midi, un groupe de cinq adolescents se retrouvent pour skater. Leur terrain d’entraînement, ce sont les blocs de béton placés de façon linéaire, quelques marches qui mènent au conservatoire, et le sol lisse. Delson et Oualid, âgés de 19 et 18 ans, ont fait de cet espace leur « maison ». « Ici, c’est l’endroit où on a le plus progressé, on connait les obstacles par cœur », affirment-ils.  Vêtu d’un t-shirt du groupe de punk rock The Ramones, d’un jean noir et d’une casquette plate, Oualid enchaîne « kickflips », « boardslides » et « ollies ». Autour d’eux, une cinquantaine de personnes circulent et jettent un coup d’œil. « Les passants sont des spectateurs et nous sommes les clowns », s’amuse Oualid. « Des fois on nous traite comme des criminels, mais les dangers de ce sport sont personnels. Quand les gens passent, on s’arrête », complète Delson.

A l’opposé du skate-park improvisé, entre le KFC et l’aire de jeu qui mène au cinéma, six jeunes hommes discutent dans un petit no man’s land. Installés sur un bloc de béton, ils commencent une partie de cartes, la version albanaise du jeu russe durak. Au fil des heures, certains partent, d’autres arrivent, le jeu continue, ponctué par des jets de cartes, des discussions et des rigolades. Agés entre 16 et 27 ans, Xhkek, Ardit, Mullan, Karaxha, Redison et Vilsan échangent dans leur langue natale. Ils sont ici sept jours sur sept mais sont incapables d’expliquer pourquoi. De tous les lieux de Strasbourg, ils ont choisi Rivetoile : « On est venus là, on reste là. »

Sonia Boujamaa, Martin Greenacre

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Le centre commercial Rivétoile. © Sonia Boujamaa, Martin Greenacre

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Ata, fraîchement sorti des cours, est venu nourrir les ragondins pour la première fois. © Sonia Boujamaa

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Mouaadh joue avec ses deux petites soeurs et des amis à l’aire de jeux du centre commercial Rivetoile. © Sonia Boujamaa

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Oualid, 18 ans, étudiant en fac d’anglais, en train d’effectuer un boardslide. © Martin Greenacre

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Yoann, Delson et Oualid, amis d’enfance skatent régulièrement devant l’entrée de Rivetoile, leur spot préféré. © Sonia Boujamaa

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