18 décembre 2007
Opposée à la proposition de directive sur le dégroupage patrimonial des monopoles énergétiques, la France tente de prendre les devants pour que ce dossier, sur lequel les Etats membres sont très partagés, aboutisse avant fin 2008.
Face au projet de la Commission européenne de démanteler les monopoles sur le gaz et l’électricité, la France freine des deux pieds. Afin de préserver Gaz de France et EDF, Nicolas Sarkozy tient à boucler le dossier «ownership unbundling» au cours de la présidence française du Conseil. Car après, il sera plus difficile de défendre la position française : dès 2009, les décisions en matière d’énergie seront soumises au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, et non plus au régime de l’unanimité.
En jeu : le démantèlement des systèmes verticaux à la française, où un même groupe détient toute la chaîne énergétique, de la production à la commercialisation, en passant par le transport. Objectif : ouvrir le marché européen à la concurrence. La proposition de la Commission, prévue dans le troisième paquet législatif présenté en septembre 2007, vise à instaurer une séparation de propriété entre, d’un côté les réseaux de transport, de l’autre les activités de production, extraction, distribution et commercialisation des opérateurs énergétiques.
La France, soutenue par une Allemagne soucieuse du sort du groupe E.ON, mène la fronde des pays opposés à la directive «unbundling» (Autriche, Grèce, Luxembourg, Slovaquie). Nicolas Sarkozy et Angela Merkel veulent prendre les devants : ils ont récemment annoncé qu’ils présenteront fin janvier 2008 une proposition conjointe sur la question de la séparation effective.
Les orientations contenues dans le troisième paquet ne devraient pas y trouver une très grande place, comme le laisse présager la déclaration de Jean-Pierre Jouyet à la presse, en septembre dernier : «Nous sommes très clairement en opposition avec les propositions faites par la Commission. C’est un paquet qui affaiblit les opérateurs européens et qui ne permet pas de garantir une baisse des prix au profit des consommateurs.»
La bataille des chiffres s’engage
Car l’effet du dégroupage sur les prix est contesté, et la bataille des chiffres ne fait que commencer. Il existe des pays où l’unbundling existe déjà : le Danemark, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne, la Suède et le Royaume-Uni, rappelle Oskar Almén, co-auteur du neuvième Observatoire européen des marchés de l’énergie, publié le mois dernier par le cabinet de conseil Capgemini. «Ces pays sont en faveur de la séparation patrimoniale, tout comme la Belgique. Selon une étude d’impact de la Commission, depuis 1998 les prix du gaz et de l’électricité ont augmenté de 6% dans ces pays, contre 29% dans les autres. Mais je pense qu’il est prématuré de mettre la différence sur le compte du seul unbundling. Il y a d’autres variables qui entrent en jeu, comme la dépendance de chaque pays aux différentes énergies.»
De fait, le rapport de Capgemini pointe qu’«à quelques exceptions près, on observe des prix de détail de l’électricité supérieurs à la moyenne européenne dans les Etats membres dont les marchés sont ouverts à la concurrence depuis plus de trois ans». C’est au Danemark que l’électricité à usage domestique coûte le plus cher (258 €/MWh au 1er janvier 2007), tandis que la Grèce (72 €/Mwh) et la France (121 €/MWh) présentent les tarifs les moins élevés, bien en dessous de la moyenne de l’UE (158,1 €/MWh).
Doutes sur la clause Gazprom
En outre, les anti-dégroupage mettent en doute l’efficacité d’une stratégie d’éclatement des opérateurs énergétiques face à la politique russe de «super-bundling». «Gazprom cherche à maîtriser tous les maillons de la chaîne gazière, relève Oskar Almén. Et je ne suis pas sûr qu’une clause de réciprocité soit une solution très réaliste. » Cette suggestion de la Commission, dite « clause Gazprom » imposerait au groupe russe de séparer lui aussi ses activités de production et de transmission avant d’être autorisé à détenir une part de contrôle dans les entreprises énergétiques européennes. Mais «même si Gazprom perdait formellement la propriété des réseaux, l’Etat russe garderait la haute main à la fois sur les réseaux et sur Gazprom», soulignait déjà Philippe Herzog, président du think tank Confrontations Europe, en novembre 2006.
Quoi qu’il en soit, la Commission a déjà fait une seconde proposition susceptible de se substituer à celle de l’unbundling : c’est l’option «Opérateur indépendant du système» (ISO), qui permettrait aux entreprises de rester propriétaires de leurs actifs ; mais la gestion, y compris l’investissement et les décisions commerciales, devraient être transférées à cet opérateur. En retour, ce dernier verserait une rémunération aux groupes énergétiques.
Quant au commissaire à l’Energie Andris Piebalgs, il espère que la négociation entre les Etats membres, qui promet d’être longue et ardue, pourra se conclure sous la présidence française du Conseil. Au moins un point sur lequel la Commission et la France tombent d’accord.
Fabien Mollon à Paris