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Un hold-up tranquille


18 décembre 2007

 

L’économie de la zone euro est affectée par les évolutions des taux de change des principales devises internationales (dollar, yen, yuan). Après Nicolas Sarkozy, la Commission européenne, l'Eurogroupe et l’Allemagne s’inquiètent aujourd’hui de la force de la monnaie européenne par rapport aux devises américaines, chinoises et japonaise. L’absence de vraie politique de taux de change risque de continuer à peser sur la zone euro en 2008.
Questions à Eloi Laurent, économiste senior spécialiste des questions européennes à l’Observatoire français des conjonctures économiques (Centre de recherche en économie de Sciences-Po Paris) et maître de conférence à Sciences-Po Paris.

Qu’est ce que la zone euro peut faire pour lutter contre la hausse du taux de change de l’euro?

Il faut d’abord remettre les choses dans leur contexte. Nous sommes pris en étau. La Chine administre son taux de change comme bon lui semble et fait en sorte que le yuan ne s’apprécie pas, le Japon utilise de façon agressive son taux de change pour tirer ses exportations vers le haut et compenser la faiblesse de sa demande interne et les Etats-Unis se servent de leur taux de change comme d’une arme pour réduire leur déficit courant en dynamisant leurs exportations.
Au milieu, l’euro est ballotté au gré des politiques de changes des autres puissances. Car les autres ont une politique de change!
La zone euro est victime de ce que nous avons appelé avec Jacques Le Cacheux et Jérôme Creel un « hold-up tranquille » de la BCE sur le taux de change.
La BCE soumet de fait le taux de change à son objectif de lutte contre l’inflation. L’euro fort sert cet objectif puisqu’il amortit la flambée du prix des matières premières. Et le Conseil, qui a en droit compétence partagée avec la BCE sur la politique de changes, se refuse aujourd’hui à assumer sa responsabilité. Résultat: nous regardons l’euro monter, inquiets et impuissants.

Mais concrètement, si la BCE voulait agir sur le taux de change, comment pourrait-elle s’y prendre?

Il y a en théorie trois politiques possibles. D’abord, la politique de la parole, c’est à dire avertir les marchés financiers de l'imminence d'une intervention et en tout cas de l'existence d'une forte préoccupation. Ensuite, intervenir sur le marché des changes, mais cette solution n'est efficace que si d’autres grandes banques centrales agissent de concert. Cela a déjà marché en 2000. Troisième et dernière politique possible, baisser les taux d’intérêts.

Est-ce que le nouveau traité européen, s’il est ratifié, donnerait plus de moyens pour agir sur le taux de change de l’euro, par exemple à l’Eurogroupe?

Si le nouveau traité est ratifié, il changera peu de choses. Dans ce texte, l’Eurogroupe, qui rassemble les pays membres de la zone euro, est certes reconnu pour la première fois, mais c'est une instance de débat, pas un lieu de décision. Le traité de Lisbonne ne le dote en particulier d’aucun pouvoir en matière de taux de change. On détaille son fonctionnement dans un protocole additionnel au traité, preuve qu’il est loin d’être une institution centrale.
Le traité ne reconnaît donc l’Eurogroupe qu’en trompe-l’oeil: il acquiert une existence officielle mais pas de pouvoir légal dans un ensemble qui est avant tout juridique. C’est donc une coquille vide qui ne fera absolument pas contrepoids à la BCE, qui est aujourd'hui avec la CJCE l'institution la plus puissante de l'UE. En outre, dans le traité, il n’y a aucune disposition nouvelle qui montre l’Europe a l''intention de sortir de l'ambiguité institutionnelle et de se doter d’une véritable politique de taux de change.

La montée de l'euro inquiète de nombreux pays européens et notamment la France, pour qui l’euro fort est synonyme de baisse des exportations et donc de faible croissance. Est-ce que la France, durant sa présidence, pourra faire pression sur la BCE pour agir sur le taux de change?

L’euro fort coûte très cher à la France. Beaucoup plus cher qu’à l’Allemagne par exemple, qui a beaucoup délocalisé sa production et pratiqué une modération salariale extrême et souffre moins du taux de change en conséquence. Mais dernièrement, quand l’euro a atteint 1,50 dollars, l’Allemagne s’est réveillée et a exprimé ses inquiétudes. C'est donc peut-être le taux de change auquel les intérêts européens convergent. La France ne pourra se faire entendre que lorsque des pays importants, comme l’Allemagne ou l’Italie, se rallieront à sa cause et demanderont à la BCE d’agir, lors d'un sommet européen extraordinaire par exemple. Mais pour que la BCE réagisse, il faudrait presque attendre que l’euro monte à 1,55 ou 1,60 dollars. Il faudrait donc que notre économie agonise sous la pression de l’euro pour que les pays européens aient enfin leur mot à dire! Il faut que l’Europe définisse une vraie politique de change, car, sans cela, elle continuera à perdre au jeu de la mondialisation et finira par se fermer.

Propos recueillis par Fanny Lothaire

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