Vous êtes ici

Barrages filtrants aux frontières


18 décembre 2007

 

Pour sécuriser l’Union Européenne, la présidence française souhaite à tout prix conclure une Charte sur l'immigration. Elle devrait aussi miser sur un espace Schengen élargi à 9 nouveaux pays pour renforcer la coopération policière et judiciaire. En copilotage: Brice Hortefeux et Nicolas Quillet.

Hortefeux, Quillet : une sécurité européenne à deux visages

Le pacte commun pour l’immigration est la principale priorité de la présidence française sur les politiques européennes de justice, affaires intérieures (JAI). Un dossier entre les mains de Brice Hortefeux, sous contrôle de l’Elysée. Nicolas Quillet joue le rôle de relais au ministère de l’Intérieur.

L’immigration est le sujet phare de Nicolas Sarkozy, tant sur la scène nationale qu’européenne. «Etablir un pacte européen pour l’immigration est la priorité numéro un de la présidence française», explique Lionel Rinuy, chef du secteur de l’espace judiciaire au SGAE (secrétariat général des affaires européennes), organe de liaison entre les ministères. En septembre 2006, en marge d’une réunion des ministres du Sud de l’UE à Madrid, le président Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a lancé l’idée de mutualiser les efforts en matière de lutte contre l’immigration clandestine. «Quand un pays régularise, il régularise pour lui mais aussi pour tous les autres pays de l’espace Schengen.»
Ce pacte commun de l’immigration sera au coeur des discussions en 2008. Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, pilote le dossier, sous contrôle de l’Elysée. Il fait partie du pôle «Justice, affaires intérieures» (JAI) des politiques européennes discutées à Bruxelles. Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, la JAI européenne est répartie entre trois ministères contre deux auparavant : le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice et le nouveau ministère de l’Immigration. Tous trois sont actuellement en pleine restructuration administrative. Difficile dans ces conditions de définir une position commune.
En matière de coopération policière européenne, c’est Nicolas Quillet qui prépare la présidence française de 2008, au ministère de l’Intérieur. Depuis le 10 septembre 2007, il dirige un groupe de travail de cinq personnes. Ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy, place Beauvau, le préfet Nicolas Quillet a l’appui de l’Elysée.

La sécurité intérieure après 2010

Nicolas Quillet représente aussi la France au Groupe du futur, un organe intergouvernemental créé en 2007, sous la présidence allemande, pour renforcer l’espace européen de sécurité. A ses côtés : Franco Frattini, le commissaire chargé des affaires de justice, liberté et sécurité, et cinq représentants des ministres de l’Intérieur du trio présidentiel actuel des présidences de l’UE (Allemagne, Portugal, Slovénie), du trio suivant (France, République tchèque, Suède) ainsi qu'un espagnol. Le Groupe du futur doit proposer des pistes pour poursuivre le programme de La Haye. Ce programme quinquennal pour une politique européenne de sécurité intérieure et de justice vient à échéance en 2010.
Selon Armand Apruzzesse, adjoint de Nicolas Quillet au ministère de l’Intérieur, «le groupe doit déposer ses premières propositions en juillet 2008, au début de la présidence française de l’UE». Mais son entourage s’interroge sur l’opportunité de boucler le prochain plan quinquennal sous la présidence française alors que la nouvelle Commission ne sera nommée qu’en 2009. Il n'y aura probablement pas de "programme de Paris". Le prochain programme global sur l’espace européen de sécurité devrait plutôt voir le jour sous la présidence tchèque, voire même suédoise.

Julie Algre à Paris

JAI : Le rapport du sénateur Hyest sur la présidence française

Feuille de route 2008

JANVIER : propositions de la Commission sur la décision cadre sur l’échange de casiers judicaires et le règlement des frontières Schengen.
1er semestre : bilan de la Commission sur l’agence européeenne de contrôles des frontières FRONTEX.
MARS : propositions du «paquet frontières» par la Commission.
30 MARS : les frontières aériennes des neuf nouveaux Etats membres entrent dans l’espace Schengen.
AVRIL : propositions de la Commission sur les réglements de l’Autorité du système d’information Schengen deuxième génération (SIS II) et de Visa, réglement Eurodac.
JUIN : propositions de la Commission sur le régime commun d’asile. Rapport d’Europol et d’Eurojust au Conseil sur leur système d’information.
7-8 JUILLET : Conseil informel JAI à Cannes.
JUILLET : propositions du «groupe du futur» sur la politique de sécurité intérieure de l’Union (2009-2013).
Automne : entrée de la Suisse dans l’espace Schengen.
20 et 21 OCTOBRE : conférence sur les migrations et le développement (Rabat II) à Paris.
NOVEMBRE : trois propositions de directives de la Commission sur les conditions d’entrée et de séjour des travailleurs saisonniers, des stagiaires remunérés, sur les réfugiés.
11-12 DECEMBRE : Conseil européen. La France veut y faire adopter un Pacte européen de l’immigration.
Fin DECEMBRE : mise en service du SIS II.

A partir de 2009

1er JANVIER : le Parlement accède à la codécision en matière d’immigration légale, et de coopération policière et judicaire, ce qui le conduit à réformer les compétences de ses commissions. Le contrôle de la Cour de Justice s’étend aux actes arrêtés sur ces nouvelles bases à partir de cette date.

Les 8 bases d’une politique européenne d’immigration

Le 14 décembre 2007 à Bruxelles, les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Européenne, réunis en Conseil européen, ont fixé le cadre d’une politique européenne globale en matière de migrations, reposant sur 8 bases, dont le contenu reste à détailler à l’horizon de la fin 2008:
- Coopérer avec les pays tiers pour assurer l’expulsion et la réadmission de leurs ressortissants.
- Favoriser une immigration du travail.
- Lutter contre le travail illégal clandestin en poursuivant en justice les employeurs de travailleurs en séjour irrégulier.
- Renforcer les conditions de franchissement des frontières extérieures.
- Définir une politique commune d’expulsions.
- Fixer un statut unique pour les demandeurs d’asile.
- Etablir une politique d’intégration des immigrés.
- Passer des accords sur les visas et l’expulsion de ressortissants avec quatre pays des Balkans (Bosnie-Herzegovine, Macédoine, Monténégro et Serbie) ainsi que l’Ukraine, la Moldavie, l’Albanie.
A charge de la présidence française de négocier avec les autres Etats membres les termes précis du contrat qui engageront les 27 dans ce pacte commun de l’immigration.

Julie Algre

Conclure un pacte sur l'immigration

Le gouvernement Prodi l’a annoncé mi-décembre. L’Italie accordera 170 000 permis de séjour à des travailleurs migrants en janvier 2008. Un moyen de régulariser les travailleurs clandestins, nombreux dans le secteur d’aide à la personne. Cette régularisation massive suscite des critiques du côté des Etats membres. Selon Thierry Mariani, député et vice-président de la délégation de l’Union européenne à l’Assemblée nationale, «avec l’espace Schengen, la régularisation massive dans un pays a des répercussions sur ses voisins européens. Il faut que l’Union européenne fixe des règles communes».
C’est l’objectif clair du pacte européen de l’immigration que Nicolas Sarkozy espère conclure sous la présidence française. En visite à Madrid, le 10 octobre 2007, le ministre de l’Immigration Brice Hortefeux, a fixé les trois piliers de ce socle commun de la gestion des flux migratoires : «Le refus des régularisations massives, l’harmonisation des régimes communs d’asile, des négociations sur les accords de réadmission». Ces trois grands principes font déjà l’objet de négociations au sein des institutions de l’Union européenne. Tel que présenté, le programme du pacte d’immigration français remporte un consensus.
«Le Royaume-Uni soutient la France pour ne plus effectuer de régularisation massive de sans-papiers dans l’UE», explique un haut-fonctionnaire britannique. Mais le cas anglais interroge sur le cadre futur du pacte de l’immigration : concernerait-il l’espace Schengen (espace européen de libre ciculation) ou la totalité de l’Union européenne ? Le Royaume-uni et l’Irlande, tous deux membres de l’UE, n’appartiennent pas à l’espace Schengen. Sans compter qu’au 21 décembre 2007, Schengen s’agrandit. Neuf des dix nouveaux pays entrants en 2004 (hors Chypre) s’ajoutent aux 14 pays actuels.

Immigration du travail à la Commission

La Commission européenne, qui aura bientôt le quasi-monopole de l’initiative dans le domaine de l’immigration, est une alliée à courtiser. Pour elle, lutter contre l’immigration clandestine doit aller de pair avec une politique d’attraction des travailleurs immigrés qualifiés. «L’Europe devrait être amenée à faire davantage appel à l’immigration pour équilibrer l’offre et la demande sur ses marchés du travail et pour soutenir sa croissance économique.»
Au nom de la lutte contre la fuite de cerveaux des pays du Sud, la Commission a accouché d’un nouveau concept: la migration circulaire. Grâce à des partenariats avec des pays tiers, l’UE souhaite ouvrir des canaux d’immigration ciblés et surtout faciliter le retour des travailleurs immigrés dans leurs pays d’origine. Une approche soutenue par la France: «Vous venez, vous repartez et vous pourrez revenir, mais sans immigration familiale et définitive», décrypte un haut-fonctionnaire français. L’objectif annoncé par Nicolas Sarkozy est de faire passer l’immigration économique de 7% à 50% des flux migratoires vers la France.

Le Parlement européen s’invite au débat

La présidence française devra aussi compter avec le Parlement européen, qui entend peser sur ce dossier dès à présent. «Le Parlement européen espère bien, avant le 1er janvier 2009, participer à toutes les discussions touchant à l’immigration», explique Lilli Grüber, eurodéputée italienne et rapporteur sur l’immigration du travail. Sans attendre l’application du Traité de Lisbonne, où la procédure de codécision s’appliquera en matière d’immigration à la fois illégale et légale. Dans une lettre du 7 décembre, adressée au président de l’Europarlement Hans-Gert Pöttering, Jean-Marie Cavada, président de la commission libertés civiles, justice et affaires intérieures lui demande de sensibiliser le Conseil européen à l'opportunité de conclure un accord global entre institutions.
La France a bien compris la montée en puissance du Parlement. Depuis septembre, le ministère de l’Intérieur a envoyé pour la première fois une attachée permanente au Parlement européen, Muriel Sylvan. «Je dois établir des liens avec toutes les personnes, parlementaires et autres, qui peuvent faire avancer les textes, notamment au sein de la Commission libertés du Parlement». Le jeu des influences et des négociations est lancé.

Louise Fessard
Julie Algre

à Paris et Bruxelles

«Pour le SIS, l’élargissement est un non événement»

Bernard Kirch l’assure, c’est la routine ce jeudi 20 décembre au Système Central d'information Schengen (C-SIS) de Strasbourg. Pourtant, demain, Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, y inaugurera le nouveau SisOne4ALL et l’entrée de neuf nouveaux membres -sans Chypre- dans l’espace Schengen.
Pour le chef du C-SIS, commissaire divisionnaire, «l’ouverture des frontières est un événement mais l’élargissement de notre système en lui-même est un non événement. Pour nous, au C-SIS, cela ne change rien».
Et pour cause. Cela fait des mois que Bernard Kirch et les 35 agents du ministère français de l’Intérieur préparent techniquement l’élargissement du système qui relie polices et douanes, ici au Stockfeld, à l’intérieur d’un bâtiment rose et blanc, ultra-sécurisé et classé sensible.
L’équipement, la mise aux normes et la connexion des pays entrants dans l’espace Schengen à un SIS II était une condition à cet élargissement. Or celui -ci prenait du retard. Il a fallu tout l’allant du Portugal pour convaincre ses partenaires d’adopter une solution intermédiaire, baptisée SISOne4ALL et de se tenir au calendrier.

«Les Portugais ont joué un rôle central»

Selon Bernard Kirch, “les Portugais ont joué un rôle central. Ils ont cloné leur propre système national pour pallier les retards, ils ont développé le logiciel, installé les clones sur place, formé et permis aux nouveaux entrants de valider les tests du groupe d’évaluation Schengen”.
Entouré de grilles et de systèmes de détections électroniques, le C-SIS est interdit au public. Il faut, pour y pénétrer, passer un double contrôle et laisser ses empreintes digitales.
C’est au sous-sol, dans la salle informatique enterrée, que se situe la clef du nouvel élargissement de l’espace Schengen. Ici plus de 22,45 millions de données sont stockées, mises à jour et diffusées vers les systèmes nationaux (N-SIS) des 27 membres de l’espace Schengen, dont l'Islande et la Norvège. Ces transferts de données sont l'épine dorsale d' une «meilleure coopération judiciaire et policière entre Etats membres, qui doit faciliter la gestion des flux migratoires et maintenir un niveau élevé de sécurité».
C’est grâce au C-SIS, notamment, que dès le premier jour les douaniers des nouvelles frontières extérieures de l’espace Schengen filtrent les entrants, en vérifiant que les divers composants de leurs documents de voyage ne déclenchent aucun «hit» suspect dans le système. 78 % des données qui y figurent concernent en effet des documents volés, 13 % des véhicules et 5 % des personnes recherchées.
En décembre 2008, sous présidence française, le SIS II devrait être opérationnel. Bernard Kirch supervise déjà ses essais . D’ici là, le système d’information Schengen devrait compter un nouveau membre: la Suisse.

Martin Pierre
à Strasbourg

Imprimer la page