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L'étreinte de l'ours


18 décembre 2007

Depuis 2004, l'Union dispose de la majorité au Conseil de l'Europe. L'élection du prochain président de l'assemblée parlementaire va tester la solidarité des 27 face à la Russie.

Le 21 janvier, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) élira son prochain président. Un scrutin décisif pour l'avenir du Conseil de l’Europe puisque le favori désigné est un parlementaire russe. A 43 ans, le sénateur Mikhaïl Margelov est un proche de Vladimir Poutine, avec qui, selon plusieurs voix au sein du Conseil de l’Europe, il partage un passé commun au sein des services secrets. Mais si sa candidature pose problème, c'est moins pour sa personnalité qu'à cause de sa nationalité : la Russie est contestée pour son rapport ambigu à la démocratie et bloque depuis un an une réforme salutaire de la Cour européenne des Droits de l’homme.
Chaque jour, la Cour basée à Strasbourg reçoit des dizaines de lettres, fax et e-mails réclamant une audience. En l’espace de quelques années, les demandes ont explosé : 103 950 requêtes étaient en attente de jugement au 1er décembre 2007. Submergée, l’institution est victime de son succès et de l’adhésion au Conseil de l’Europe (1), dans les années 1990, des anciens pays de l’Est, principaux «fournisseurs» d’atteintes aux Droits de l’homme : à eux seuls, la Russie (23,5%), la Roumanie (11,9%), l’Ukraine (8,4%) et la Pologne (5,7%) représentent la moitié de l’activité de la Cour. Pour éviter que le système ne sombre complètement, la Cour et Conseil de l’Europe -le «tuteur» de la Cour- ont planché sur une refonte des mécanismes. La réflexion a donné naissance, en 2004, à un projet de réforme, le Protocole n°14 (voir ci-dessous). «Il ne résoudra pas tout mais c’est un premier pas indispensable», estime Florence Benoît-Rohmer, présidente de l’Université Robert-Schuman à Strasbourg et responsable de la web-revue «L’Europe des liberté». «Aujourd’hui, la Cour survit. Sans réforme, elle risque de mourir».

Au point mort

En mai 2004, le Protocole 14 a été ouvert à la ratification de chacun des parlements qui composent le Conseil de l’Europe. Tous les Etats l’ont approuvé sauf la Douma, qui a repoussé le texte en décembre 2006, estimant qu’il «ne correspond pas aux principes fondamentaux de la Convention européenne des Droits de l’homme». En réalité, ce refus est apparu comme un moyen de paralyser une Cour accusée par Vladimir Poutine de mener une action politique contre la Russie. Une critique qui revient régulièrement dans les affaires liées à la Tchétchénie et à l’évocation de l’arrêt Ilascu, prononcé en juillet 2004 (voir ci-dessous) mais que la Russie a refusé d’appliquer. Aujourd’hui, malgré des appels réguliers lancés à la Russie par les institutions et les diplomates, l’avenir du Protocole 14 à Moscou est toujours au point mort.
C’est dans ce contexte qu’interviendra l’élection du prochain président de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Un accord entre les partis sur une présidence tournante promet le siège au Groupe des démocrates européens (GDE). Or, le président du GDE et probable candidat à l’élection (2) est donc Mikhail Margelov, le numéro deux de la délégation russe. Soutenue haut et fort par l’actuel président, le Néerlandais René Van der Linden (PPE-DC), la candidature de ce sénateur du parti Russie Unie fait tousser. «La Russie n’a pas appliqué un seul des engagements pris lors de son adhésion au Conseil de l’Europe et en retour, celui-ci est prêt à lui offrir la présidence de l’APCE», critique l’eurodéputé lituanien Vytautas Landsbergis (3), signe que la question parcourt les institutions européennes.

«Si Margelov est élu, il y aura des problèmes. S’il ne l’est pas, ce sera pire»

Margelov possède plusieurs atouts : «Il est polyglotte, assez ouvert et il a une certaine influence au Kremlin», note un observateur russe. Il pourrait ainsi pousser à la ratification du Protocole 14 et favoriser une ouverture démocratique dans son pays. Mais il est russe. Et pour certains, son élection ôterait tout crédit au Conseil de l’Europe. Reste à trouver un candidat assez consensuel pour casser l’équilibre politique de l’assemblée. Le nom du député suisse Dick Marty (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe), auteur du rapport remarqué sur les activités illégales de la CIA, revient régulièrement, mais il n’a, pour le moment, ni confirmé, ni démenti la rumeur. «S’il se présente, Margelov sera élu car l’accord entre les partis sera majoritairement respecté», parie Bruno Gain, Représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe.
Avec 27 délégations -sur 47-, les membres de l’Union européenne auraient pourtant les moyens de le contrer. Seulement, à l’instar du Parlement européen, l’APCE fonctionne sur une dynamique de groupes politiques. Difficile d’édicter une position commune alors qu’au sein même de chaque parti, la question divise. «Si on va au clash avec la Russie, on risque de se retrouver avec une Union européenne bis sans grand intérêt», avance le député français Armand Jung (Groupe socialiste), dont le choix n’est pas encore fait. Car la Russie appartient au groupe des principaux contributeurs au budget de l’institution. Elle est un partenaire indispensable pour l’UE. Le secrétaire d’un parti résume la situation en une formule : «Si Margelov est élu, il y aura des problèmes. Mais s’il ne l’est pas, ce sera pire». Une hypothèse du moindre mal pourrait voir le jour : élire Margelov en janvier et s’il déçoit, ne pas renouveler son mandat pour les deux années suivantes, comme le voudrait l’usage.

Le Conseil de l’Europe regroupe les 47 Etats signataires de la Convention européenne des Droits de l’homme.
(2) Il n’a pas encore déposé sa candidature officielle. Jusqu’à 48 heures avant le vote, un candidat peut se présenter avec l’appui de 10 parlementaires.
(3) The Baltic Times, le 3 décembre 2007.

Pierre-Julien Demoux
à Strasbourg

Ilascu, l’affaire qui irrite la Russie

C’est l’un des arrêts les plus célèbres et les plus contestés de la Cour européenne des droits de l’homme. L’arrêt Ilascu, du nom d’Ilie Ilascu, un dirigeant politique moldavo-roumain qui militait pour l’unification de la Moldavie avec la Roumanie après l’effondrement de l’URSS, a été prononcé en juillet 2004 mais n’a jamais été appliqué par la Russie, l’un des deux Etats mis en cause.

 

L’affaire

En 1992, Ilascu et trois de ses compagnons sont arrêtés par des soldats russes en Transnistrie, une région séparatiste de Moldavie soutenue par la Russie et alors en pleine guerre civile. Accusés, entre autres, d’activités anti-soviétiques et d’assassinats, ils sont livrés à un tribunal uniquement reconnu par les dirigeants transnistriens. Ilascu est condamné à mort et ses camarades à des peines de prison.

L’arrêt de la Cour

Saisie en 1999, la Cour européenne des Droits de l’homme condamne la Moldavie pour n’avoir pas tenté de faire libérer les quatre hommes car la Transnistrie se trouve, en théorie, sous son autorité. Mais elle condamne aussi la Russie, estimant qu’elle exerçait «une influence décisive» en Transnistrie et «une politique de soutien et de collaboration avec le régime» : «Dès lors, les requérants relèvent de la juridiction de la Russie et la responsabilité de celle-ci est engagée». En clair, la Transnitrie n’étant pas un Etat reconnu, la Cour a condamné la Russie pour son influence auprès du régime transnistrien.

La polémique

Ce verdict a suscité des réserves, même parmi les juges de la Cour, sur la question de la juridiction russe. Si la Russie a participé activement à l’indépendance de fait de la Transnistrie, il est difficile de dire si, à l’énoncé de l’arrêt, ses dirigeants étaient toujours téléguidés par Moscou. Le Kremlin a refusé de faire libérer le «groupe Ilascu», considérant qu’il s’agissait d’un arrêt politique plus que juridique. Malgré une pression régulière, le Conseil de l’Europe n’a jamais pu l’obliger à agir.

Vers une nouvelle affaire Ilascu

Aujourd’hui, les quatre hommes ont été libérés après avoir effectué leurs peines -la condamnation à mort d’Ilie Ilascu avait été commuée en peine de prison- mais ils ont déposé une nouvelle requête pour non-exécution de l’arrêt. La Cour devra trouver une porte de sortie pour conserver la crédibilité du système. En théorie, la Russie pourrait être suspendue, voire exclue du Conseil de l’Europe. Une hypothèse peu probable.

Pierre Demoux

 

Le protocole 14

Le projet de réforme de la Convention européenne des Droits de l’homme, le Protocole n°14, a été rédigé comme un premier pas indispensable pour résoudre les difficultés de la Cour européenne des droits de l’homme. Grâce à ce texte, «la productivité de la Cour devrait augmenter de 25%», estime Patrick Titiun, le directeur de cabinet du président Jean-Paul Costa. Explication des principales mesures.

Filtrage des requêtes

90% des affaires traitées sont déclarées irrecevables. Pour accelérer leur filtrage, un juge unique pourra rejeter un dossier manifestement dénué de fondement. Le travail de ce juge sera préparé par des équipes de rapporteurs non judiciaires, dont certaines sont déjà en activité depuis deux ans. Des comités de trois juges pourront aussi rendre des arrêts sur les affaires répétitives.

Exécution des arrêts

Quand un Etat refusera d’appliquer un arrêt (cf arrêt Ilascu), le Comité des ministres du Conseil de l’Europe pourra saisir la Grande Chambre de la Cour pour effectuer «une pression politique supplémentaire».

Allongement du mandat des juges

Les 47 juges, élus par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), voient leur mandat passer de 6 à 9 ans mais celui-ci ne sera pas renouvelables, un moyen de préserver leur indépendance.

Ouverture vers l'UE

La porte sera ouverte à une adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, possibilité prévue, côté européen, par le Traité de Lisbonne. Conséquence : un citoyen pourra déposer une requête contre une décision de l’UE.

Pierre Demoux

 

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