Vous êtes ici

Choisir ses immigrés


18 décembre 2007

Pour répondre au vieillissement de sa population et combler des pénuries de main-d’œuvre, l’Union européenne entend faire appel aux travailleurs immigrés. Mais pas n’importe lesquels : elle cherche en priorité des travailleurs qualifiés.

La course aux immigrés diplômés secoue l’UE. Sur le modèle de la carte verte américaine, l’Union a lancé en octobre 2007 un projet de carte bleue qui doit lui permettre de se placer dans la grande compétition mondiale pour attirer les travailleurs qualifiés. Avec 1,7% de travailleurs migrants qualifiés sur l’ensemble de sa population active occupée, l’Union se situe, en effet, loin derrière l’Australie (9,9%) et les Etats-Unis (3,2%). Elle entend renverser la tendance en ciblant des catégories précises de main-d’œuvre.
La directive carte bleue vise à combler des manques dans des secteurs comme la santé ou l’ingénierie. L’UE évalue entre 34 000 et 74 000 personnes, le nombre de travailleurs étrangers concernés par ce permis de séjour. Pour la Commission, la carte bleue est un instrument pour fixer des standards européens. Elle évitera aux 27 pays membres de se concurrencer entre eux pour capter cette précieuse main-d’œuvre immigrée.

Pas de liberté de circuler

A condition d’avoir trois ans d’expérience professionnelle et une offre d’emploi, un travailleur hors Union européenne pourra souscrire un permis de travail et de séjour européen, valable deux ans. Pour éviter le « dumping social », la Commission a choisi de fixer un niveau de rémunération au moins trois fois supérieur au salaire minimum du pays d’accueil. Le travailleur pourra aussi faire venir sa famille. Mais pas question pour lui de circuler librement dans toute l’Union. Chaque Etat restera maître du nombre d’immigrés accueillis. Ce n’est qu’après une période initiale de deux ans que le travailleur immigré pourra, à condition d’avoir une offre d’emploi, se rendre dans un autre pays de l’UE.

L'Allemagne résiste

Plusieurs pays s’opposent au projet de carte bleue. « Tous les Etats membres doivent d’abord regarder dans leur marché intérieur avant d’essayer d’attirer de la main-d’œuvre étrangère », explique un haut fonctionnaire allemand. Habituée à recruter ses ingénieurs en Asie, l’Allemagne se montre surtout hostile par principe à toute intrusion européenne dans sa politique d’immigration légale. Egalement opposés à cette carte bleue : la République Tchèque, l’Autriche et le Royaume-Uni. Ce dernier fera jouer sa clause d’exemption pour échapper à un dispositif jugé « décevant » : « Nous devons aller plus loin, la directive carte bleue décourage la venue des travailleurs très qualifiés en les obligeant à avoir, avant même leur arrivée, une offre d’emploi. »
Cette carte bleue n’est qu’un aspect de la stratégie d’immigration de l’Union européenne. Après les travailleurs très qualifiés, trois types d’immigrés sont concernés par des propositions de directive en cours : les travailleurs saisonniers, les stagiaires rémunérés (automne 2008) et les personnes transférées au sein de leur entreprise (2009). Ces directives entreront sans doute en vigueur après 2011, au moment où les anciens Etats de l’Union devront ouvrir totalement leur marché aux travailleurs des nouveaux Etats membres.

Louise Fessard
Julie Algré

A chaque pays sa méthode de sélection

Les Etats membres n’ont pas attendu la Commission pour rouvrir, chacun de leur côté, leurs frontières aux travailleurs immigrés dans les secteurs économique où le main-d’œuvre nationale est rare. Chacun a sa formule pour attirer saisonniers, employés hautement qualifiés ou non qualifiés.

En France et en Espagne, un système de listes

Suite à la loi du 24 juillet 2006, Brice Hortefeux a proposé deux listes de métiers ouverts aux travailleurs migrants. La première répertorie, région par région, 30 professions pour les ressortissants de pays tiers. Il s'agit de métiers qualifiés, comme informaticien ou géomètre. L'autre liste, plus longue et nationale, concerne les 150 métiers ouverts aux ressortissants des pays nouvellement membres de l'UE -pour lesquels les Etats membres peuvent limiter jusqu’à 2011 l’accès à leur marché du travail. C’est un large éventail de métiers, de l’informaticien au laveur de vitres.
De l'autre côté des Pyrénées, juste après la régularisation de 700 000 sans-papiers entre février et avril 2005, le gouvernement Zapatero a établi une liste de métiers qui peinent à recruter -saisonniers et emplois non qualifiés. Cette liste, renouvelée tous les trois mois en concertation avec les chefs d’entreprise et les syndicats énonce, région par région, les postes de travail pour lesquels il n’existe pas ou peu de main-d’œuvre espagnole. Parmi les principaux secteurs : l’agriculture et l’hôtellerie-restauration.

Au Royaume-Uni, un système à points calqué sur le modèle australien

Mis en place à l’été 2007, il permet de sélectionner les postulants à l’immigration économique selon leur âge et leurs diplômes. Cinq catégories de candidats sont concernés, du plus faiblement au plus hautement qualifié. Pas besoin d’offre d’emploi pour venir travailler en Grande-Bretagne. Ce plan d’immigration à points ne concerne pas les ressortissants des nouveaux pays entrants de l’UE, sauf la Bulgarie et la Roumanie, pour lesquels le Royaume-Uni a pris des mesures transitoires limitant l’accès à son marché du travail.

En Allemagne, des quotas par métiers

En 2000, le gouvernement a institué une carte pour attirer les informaticiens, notamment Indiens et Pakistanais. Depuis janvier 2005, les travailleurs hautement qualifiés disposant d’une offre d’emploi peuvent bénéficier d’un droit de séjour illimité. Le recrutement de travailleurs peu qualifiés ou sans qualification reste soumis à des dérogations.

Julie Algré

Les demandeurs d'asile à la même enseigne en 2010

Etablir un régime d’asile européen commun d’ici 2010 constitue une « une priorité nationale et une ambition européenne » aux yeux de Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement. Lors d’une visite au centre de transit de Villeurbanne en septembre 2007, celui-ci a affirmé qu’une « politique responsable de l’asile implique également l’éloignement des demandeurs déboutés ». La présidence française de l’Union européenne compte accélérer la mise en place d’une procédure commune d’asile et d’un statut uniforme des réfugiés politiques dans les 27 Etats membres. Et se mettre d’accord avec les autres pays sur les procédures d’éloignement des étrangers de pays tiers en situation illégale.

Le fichier Eurodac

« A terme, nous voulons un office européen de l’asile -au lieu des 27 administrations actuelles », explique Thierry Mariani, vice-président de la délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale et spécialiste des questions d’immigration. « Nous sommes déjà d’accord sur les statuts, sur la convention de Genève et nous avons un instrument qui fonctionne bien avec Eurodac. » Depuis 2003, ce fichier Eurodac répertorie les empreintes digitales des demandeurs d’asile, ce qui permet aux autorités de repérer les dépôts de dossier en cascade dans différents Etats et de renvoyer les demandeurs vers le pays responsable du traitement de leur dossier.
L’harmonisation des règles nationales vise à inciter les demandeurs d’asile à rester dans le premier pays d’accueil qu’ils rencontrent sur la route de leur exil et à éviter leur afflux vers les Etats les plus attractifs, notamment en matière d’accès des demandeurs d’asile au marché du travail. Les Britanniques appellent ce phénomène « asylum shopping », une dénomination qui assimile la démarche des demandeurs d’asile à celle de consommateurs choisissant la législation nationale qui leur est la plus favorable. La présidence française s’appuiera sur les conclusions de juin 2007 de la consultation lancée par la Commission -livre vert sur l’asile- et la feuille de route que le commissaire Franco Frattini présentera en juillet 2008.

Expulser à l'européenne

Aujourd’hui les demandeurs d’asile déboutés font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Soit ils acceptent une aide au retour volontaire, soit ils deviennent des immigrés illégaux susceptibles d’être expulsés. C’est pourquoi Brice Hortefeux inclut le retour forcé comme une partie logique d’une « politique responsable de l’asile ». Thierry Mariani admet que « nous avons intérêt à éloigner la prise de décision pour être moins en prise à des campagnes de presse. Il vaut mieux avoir un avion européen avec 200 Maliens, c’est moins négatif qu’un avion français ou allemand. » Entre janvier et septembre 2007, la France aurait ainsi participé, selon le ministère de l’Intérieur, à 19 vols groupés organisés à son initiative ou à celle d’autres pays de l’Union européenne.

Accords de réadmission contre des visas meilleur marché

Principal problème : pour expulser un étranger en situation illégale placé dans un centre de rétention, il faut obtenir assez rapidement de l’Etat tiers concerné une réponse aux demandes de réadmission. Au bout d’un certain délai et faute de réponse –32 jours pour la France, 40 pour l’Espagne et dix-huit mois en Allemagne, l’étranger doit être relâché. Un échec pour les autorités nationales. Une proposition de directive européenne sur le retour forcé des immigrés illégaux suggère d’étendre ce délai maximum à 18 mois en cas de manque de coopération du pays du ressortissant.
La Cimade, association d’aide aux étrangers migrants, met en garde les eurodéputés, qui doivent voter la directive fin janvier 2008 : « La généralisation d’une politique d’enfermement des personnes étrangères pourrait ainsi devenir le mode normal de gestion des populations étrangères. » Mais la position des associations françaises est assez marginale. « La France a la durée de rétention légale la plus courte d’Europe », explique Françoise Poujoulet, de la Cimade Strasbourg. « Contrairement à certains pays qui se sont retrouvés soudainement face à des flux migratoires et ont utilisé la détention pour gérer ces flux, la France a une longue tradition d’immigration et a développé un système différent, aujourd’hui menacé ».
D’autre part, l’Union européenne a récemment accéléré ses négociations d’accord de réadmission, spécialement dans la région des Balkans. Petite récompense pour les pays tiers se montrant coopératifs : les frais de visa pour l’Union européenne passent de 60 à 35 euros.

Louise Fessard

Imprimer la page