On s'y perd un peu. 26 800 selon l'Insee, 29 393 selon le fisc ou 30 500 selon un cabinet indépendant, c'est le nombre d'habitants de la commune de Grigny dans l'Essonne. 644 enfants n'apparaissent pas dans les chiffres officiels. Et en tout près de 4 000 personnes « invisibles », selon Philippe Rio, le maire communiste de Grigny cité dans « Libération », convaincu d'une erreur dans le recensement* de l'Insee. « Le phénomène peut s'expliquer par les zones grises, ou zones de non droit dirigées par des autorités de substitution (dealers, gangs), touchées par la désintégration sociale et la privatisation du territoire » , explique Gaidz Minassian, politologue et chercheur au Groupe d'analyse politique (GAP) à l'université de Paris X Nanterre. Grigny 2, cité de 12 000 à 17 000 personnes et îlot de pauvreté et véritable ville dans la ville, est une de ces zones.
Plus globalement, une part de la population française échappe au comptage. Alfred Dittgen, professeur émérite de démographie à l'Université Paris 1, revient sur ces omissions.
Y a-t-il des oublis lors des recensements ?
Tous les recensements sous-estiment la population. Mais les omissions en France ne sont pas très importantes, variant entre 1 et 2 %.
Pourquoi ces omissions ?
Il y a d'abord des facteurs humains. Les agents recenseurs se fatiguent au bout d'un moment. Après avoir sonné deux ou trois fois à un logement, ils disent que personne n'y habite. Mais ce n'est pas seulement leur manque de ténacité qui explique les écarts de chiffres.
Quelles sont les autres causes ?
Il y a des personnes qui ont peur du recensement. C'est le cas principalement des étrangers en situation irrégulière. À eux s'ajoutent toutes les personnes mobiles ou difficiles d'accès. Dont les SDF.
Les personnes qui n'habitent pas dans des logements à proprement parler : habitat précaire, personnes sans-domiciles fixes, squats, ne sont pas bien recensés en général. Même si en principe on a les ressources pour les compter. Théoriquement, les Roms, par exemple devraient être comptés. Les mairies ont tout intérêt à le faire car plus la population de la commune est importante, plus le budget alloué le sera.
Tous les territoires sont-ils concernés ?
Non. Dans le milieu rural, les chiffres sont bons. Rares sont les gens qui échappent au recensement. On connait les maisons, les familles. C'est plus délicat en milieu urbain, surtout dans les quartiers déshérités (comme à Grigny 2, exemple utilisé par Libération, ndlr). Les agent recenseurs ont du mal à entrer dans tous les logements, à cause des marchands de sommeil qui sous-louent illégalement des appartements vétustes.
Le chiffre de la population française est sous-estimé. Y a-t-il un ajustement ?
On ne rectifie pas les chiffres. Sinon il faudrait également en rectifier la répartition, le nombre de jeunes, de ménages, de chômeurs, etc. Ça serait complètement aléatoire. C'est pourquoi je milite pour des registres de population. Ce serait plus exhaustif.
Propos recueillis par David Métreau
*Chaque année en janvier ou février, l'Insee recense 8% des adresses des communes de plus de 10 000 habitant ainsi que 8% des autres communes.