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Profession : chasseur de nazis

En Allemagne, les enquêtes sur les faits perpétrés par les nazis sous l’Occupation ont suivi leur cours jusqu'à aujourd’hui. L’Alsace est un terrain privilégié par les « chasseurs de nazis », quitte à réveiller de vieux souvenirs. Et ce, alors que le temps joue contre les magistrats.

En 2014, 70 ans après le massacre d’Oradour-sur-Glane, un homme allemand âgé de 89 ans est accusé à Cologne d’avoir participé au crime. Son procès n’aura finalement pas lieu, faute de preuves concrètes de sa participation active. Suite peu surprenante, jusqu'à nos jours, la justice de la République fédérale d’Allemagne n’a condamné personne en lien avec le massacre. La seule condamnation allemande a eu lieu devant un tribunal de la République démocratique allemande (RDA) en 1983, et visait un ancien lieutenant SS.

Ce cas est exemplaire de la difficulté du travail des « chasseurs de nazis » aujourd’hui. Un surnom que les médias ont donné aux magistrats comme Andreas Brendel et Jens Rommel. Leur quotidien se distingue pourtant rarement de celui de leurs collègues. Sauf que les crimes sur lesquels ils enquêtent ont marqué l’histoire de l’Europe contemporaine comme peu d’autres, puisqu’il s’agit de ceux commis par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. L’immédiat d'après-guerre a vu se dérouler le procès de Nuremberg contre une partie des responsables de guerre et de « la solution finale ». Il y a également eu le procès contre Adolf Eichmann à Jérusalem au début des années 1960. Mais comme le cas d’Oradour et le manque de condamnations le démontrent bien, le travail n’est toujours pas terminé. « La législation allemande a décidé qu’il n’y a pas de limite de prescription pour un meurtre, explique Jens Rommel, magistrat à Ludwigsburg. Le débat au Parlement fédéral sur l’abolition des limites de prescription a été mené en visant surtout les crimes nazis. Ainsi la loi nous oblige à mener des enquêtes, même plus de 70 ans après la fin de la guerre. »

Il n'y a plus de prescription pour les crimes commis par les nazis. Crédit photo : Centre fédéral pour les poursuites des crimes nazis. 

 

Jens Rommel travaille pour le centre fédéral pour les poursuites des crimes nazis, une institution qui regroupe toutes les enquêtes préalables concernant des ressortissants allemands. Les enquêteurs ne prennent en compte ni l’âge de l’accusé, ni son état de santé - des éléments qui peuvent freiner l’ouverture d’un procès pénal ou diminuer la peine de prison. Une fois l’enquête préalable terminée, les magistrats passent le dossier au ministère public du Land dont la compétence a été établie. Souvent, les Länder ont désigné des procureurs chargés spécifiquement de la poursuite des criminels de l’époque nazie. Andreas Brendel est ainsi le responsable du ministère public de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à Dortmund. Il travaille entre autres sur le massacre d’Oradour-sur-Glane, ce qui l’a amené en Alsace à plusieurs reprises. Il souligne que la situation exceptionnelle de cette région pendant l’occupation nazie n’a aucune importance pour son travail, car les enquêtes se concentrent seulement sur la participation des SS allemands, qui relèvent de la compétence de la juridiction allemande. Pourtant, il explique que quelques documents relatifs au cas d’Oradour-sur-Glane étaient encore gardés dans des archives privées en Alsace. En outre, quelques témoins, comme d’anciens membres de la division Das Reich, habitaient encore, il y a un an, dans la région. Le but des visites est de découvrir des preuves infaillibles pour confirmer la participation active des accusés au massacre. L’appartenance à une division ou la présence sur les lieux ne suffisent pas pour établir une responsabilité pénale en cas de meurtre.

L’Alsace, un terrain d’enquête sensible

« Notre travail se déroule comme toute enquête transfrontalière : nous recevons des informations qui indiquent qu’il faudrait consulter des témoins ou des archives en France. Puis nous contactons le ministère à Paris et si on donne une suite à notre demande, nous allons sur place, accompagnés par des agents de la police nationale », développe Andreas Brendel. Pour lui, c’est une procédure administrative logique mais parfois, le procureur allemand rencontre un accueil difficile. « Lors de notre dernière visite à Strasbourg, l’association détenant les archives que nous voulions consulter avait appelé la télévision régionale pour faire un reportage sur notre visite. Nous sommes arrivés sur place sans le moindre soupçon et tout à coup, une équipe de journalistes a débarqué ! »

Il n’est pas certain que les enquêtes aboutissent car, souvent, les accusés sont trop fragiles, trop vieux pour suivre un procès judiciaire ou meurent peu après l’ouverture. Ou comme dans le cas déjà évoqué de l’homme de 89 ans - qui d’ailleurs aurait été jugé devant un tribunal de mineurs parce qu’il avait 19 ans au moment du déroulement des faits, les indices ayant résisté à l’épreuve du temps ne sont pas suffisants pour prouver leur responsabilité pénale. Les gouvernements des Länder, cependant, ont récemment prolongé leur soutien au centre fédéral, pour deux ans de plus. Une mesure qui permettait d’ouvrir les enquêtes sur le personnel administratif des camps de concentration, parmi eux, le camp de Natzweiler-Struthof. Ainsi, les « chasseurs de nazis » n’en ont peut-être pas fini avec l’Alsace.

Franziska Gromann