Les communistes toujours dans le rouge
La Seconde Guerre mondiale a des conséquences sur le paysage politique alsacien. Surtout pour le parti communiste qui n’a pu bénéficier, à l’inverse du reste de la France, des honneurs tirés de la Résistance et s’est effondré petit à petit.
Avant-guerre, le parti communiste (PC) est assez puissant. Entre 1929 et 1935, le maire de Strasbourg, Charles Hueber, est issu de ses rangs, bien qu’il en soit exclu peu après son élection, en raison de sa trop grande proximité avec les autonomistes. Quoiqu’il en soit, les scores du PC sont conformes à la moyenne nationale. Mais « alors qu’en 1936, l’Alsace, et surtout le Bas-Rhin, constituait une zone de force du communisme, en 1945, elle est une grande zone de faiblesse d’un parti devenu le premier de France », constate Laurent Adam, historien, dans son mémoire de maîtrise, Histoire du parti communiste français en Alsace de la Libération à 1958.
« Contrairement au reste de la France, où le PC a fait un bond vers le haut entre les élections de 1936 et de 1946, les résultats électoraux des communistes ont stagné en Alsace », souligne Bernard Schwengler, politologue alsacien. Le parti n’a pas bénéficié de « l’effet résistance » en Alsace. Charles Hueber et Jean-Pierre Mourer, ex-membres du PC, ont collaboré avec les nazis, créant la confusion dans l’esprit des Alsaciens. « Beaucoup de membres du parti ont rapidement été arrêtés par les Allemands, explique également Françoise Olivier-Utard, historienne. La résistance communiste alsacienne n’est pas patriote, mais anti-nazie. »
Le vote communiste aux éléctions législatives de 1936 à 2017
Source : Données extraites du journal Le Temps, des archives de la IVe République et de la base de données du gouvernement
Victime de l'effet Tambov
Au lendemain de la guerre, le PC décline rapidement en Alsace et un fort anticommunisme se développe. Les témoignages des incorporés de force prisonniers de Tambov entament l’image de l’URSS et par ricochet celle du parti. « Il y a eu un vrai effet malgré-nous », assure Francis Wurtz, ex-député communiste européen et ex-membre de la fédération du Bas-Rhin. « Mon grand-père côté maternel a connu Tambov et était anti-communiste. Traiter quelqu’un de communiste était une de ses pires insultes. Il brûlait des exemplaires de l’Humanité d’Alsace-Lorraine », relate Antoine Splet, candidat communiste aux élections législatives en juin dernier.
Le parti pâtit également de sa prise de position dans le cadre du procès de Bordeaux en 1953. Les Alsaciens, mécontents du verdict, ont fait pression pour que le gouvernement vote une loi d’amnistie, trois jours après, le 21 février 1953. Contrairement à toutes les autres forces politiques, le PCF s’oppose à cette amnistie. Il le paie d’un nouveau désaveu dans les urnes.
L’anticommunisme atteint son paroxysme en 1956, quand l’URSS envahit la Hongrie. « Il y a une grosse propagande anticommuniste avec de fortes violences, dont des pillages d’habitations des communistes », raconte Françoise Olivier-Utard. Le phénomène se poursuit dans les années qui suivent. « Je me suis fait agresser dans des cafés ouvriers », se souvient Francis Wurtz.
L’accession du général De Gaulle au pouvoir parachève le déclin du parti communiste en Alsace. « Il y a eu une déculpabilisation complète de ceux qui n’avaient pas résisté », explique l’ex-eurodéputé. Le Général faisait preuve de mansuétude vis-à-vis des incorporés de force. « Il avait le prestige du leader, du libérateur. Les Alsaciens y étaient très sensibles », reconnait Antoine Splet.
Le vote alsacien aux éléctions législatives depuis 1936
Source : Données extraites du journal Le Temps, des archives de la IVe République et de la base de données du gouvernement
« On n'en finit jamais totalement avec le passé »
Aujourd’hui encore, le PCF enregistre ses pires résultats électoraux en France métropolitaine dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin. Pour autant, l’anticommunisme n’est plus aussi présent. « Il se manifeste quand le PCF est fort, or le parti ne menace plus grand monde. Il existe, on le ressent, mais il n’est plus exprimé », développe Antoine Splet. « Dans l’inconscient collectif, il y a un lien direct avec ce qui s’est passé pendant la guerre. On n’en finit jamais totalement avec son passé. Mais on n’en parle plus dans le débat politique », complète Francis Wurtz.
La rapide perte d’influence du parti communiste français a provoqué un décalage du spectre politique alsacien vers la droite. Et un éclatement du vote ouvrier. « Les ouvriers votaient communiste s'ils étaient urbains. Mais quand ils étaient ruraux, ils penchaient plutôt à droite. C’est un phénomène lié aux ‘’ouvriers-paysans’’ : des paysans ouvriers une partie de l’année, qui habitaient à la campagne et continuaient à être paysans à temps partiel. Ils accordaient toujours de l’importance à la propriété et à la terre », détaille Bernard Schwengler. Or, en Alsace, l’industrialisation s’est faite en partie dans les zones rurales. Dès 1936, il y a davantage d’ouvriers que d’agriculteurs dans les zones rurales.
Le Front national a également profité de la faiblesse du communisme alsacien pour s’implanter durablement en Alsace, bien avant sa percée nationale. Il a occupé la place laissée vacante par le PCF auprès de l’électorat populaire et surfé sur la vague de l’anticommunisme. Lors de l’élection présidentielle de 1988, le FN réalise un score de 21,84% dans la région, alors que la moyenne nationale s’élève à 14,38%. Le parti frontiste récolte, aujourd’hui encore, les fruits de cette stratégie, puisque l’Alsace reste l’un de ses bastions.
Timothée Loubière