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Une loi historique pour protéger les journalistes


15 mars 2024

Assurer l’accès à une information indépendante et protéger les journalistes : c’est l’objectif de l’acte européen sur la liberté des médias. Adoptée par le Parlement ce 13 mars, la nouvelle législation prévoit notamment la création d’un organe de régulation des médias à l'échelle européenne.

« C’est une avancée majeure. C’est la première législation sur la liberté des médias au niveau européen. » Julie Majerczak, directrice du bureau bruxellois de l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF), salue ce mercredi 13 mars l’adoption de l’acte européen sur la liberté des médias. Voté à une large majorité, ce règlement est une première mondiale. Il vise à protéger les journalistes et les médias contre les ingérences politiques et économiques.

Pour l’eurodéputée allemande Sabine Verheyen (PPE, droite), il s’agit d’une urgence démocratique : « La liberté de la presse est menacée partout dans le monde et même en Europe. » Une première menace vient des États eux-mêmes. En ligne de mire, la Hongrie, 72e sur 180 au classement mondial 2023 de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières. Le gouvernement de Viktor Orbán contrôle 80 % du paysage médiatique et n’hésite pas à intervenir dans la ligne éditoriale des médias publics. Les rares titres titres indépendants travaillent, eux, dans un contexte contraint et beaucoup ont mis la clé sous la porte.

Le manque de diversité des propriétaires privés constitue un second sujet de préoccupation. Dans son rapport 2022 sur l’état de droit, la Commission européenne estime que « la concentration des médias d’information se situe toujours à un niveau de risque très élevé sur l’ensemble du continent ». En France, la mainmise des milliardaires sur les médias est régulièrement dénoncée par les journalistes et la société civile. En tête, Vincent Bolloré, dont l’empire médiatique comprend notamment la chaîne CNews, la radio Europe 1 et le Journal du Dimanche. Son influence sur la ligne éditoriale des médias de plus en plus conservatrice fait l’objet de saisies régulières de l’Arcom.

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L'Allemande Sabine Verheyen (PPE, droite) est la rapporteure de l'acte européen sur la liberté des médias. © European Union 2024 - Source : EP

Un nouvel organe européen de régulation des médias

Pour lutter contre ces dérives, l’acte européen sur la liberté des médias prévoit la création d’une nouvelle entité : le Comité européen pour les services des médias (CESM). Regroupant les autorités nationales de régulation, comme l’Arcom en France, il aura pour mission d’évaluer les niveaux de concentration dans les médias des États européens et d’estimer leur impact sur le pluralisme et l’indépendance éditoriale. Le CESM remplacera l’actuel Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (Erga). Sabine Verheyen (PPE) assure qu’il aura « plus de compétences et plus d’indépendance que l’Erga actuel. C’est un organe dont nous pouvons garantir la transparence, avec une source de financement sûre et une absence totale d’influence extérieure. »

L’indépendance du CESM ne sera cependant pas totale, car même si les tâches de contrôle seront réalisées par des personnes autonomes, son secrétariat sera financé par la Commission européenne. Pour l’eurodéputée allemande Petra Kammerevert (S&D, sociaux-démocrates), « la Commission n’est pas imperméable aux intérêts étatiques. Le texte ne correspond pas aux grandes attentes que nous avons pour le pluralisme. » La Slovène Irena Joveva (Renew, libéraux) abonde : « Nous espérons que la Commission aura le courage politique de lancer des poursuites quand ce sera nécessaire. » Face à ces inquiétudes, Sabine Verheyen (PPE) rappelle que l’institution pourra saisir la Cour de justice européenne si besoin. Il reviendra alors au tribunal de décider de la sanction : une amende ou une coupe des financements européens.

Protéger les journalistes et leurs sources

L’objectif de l’acte européen est aussi de protéger le travail des journalistes. Ceux-ci ne pourront plus être forcés à révéler leurs sources par la justice, sauf exceptions liées à une raison « d’intérêt public ». Le texte interdit également l'usage par les États des logiciels espions à l’encontre des journalistes. Tom Gibson, délégué européen du Comité de protection des journalistes, une ONG qui surveille les abus contre la presse, salue un texte bienvenu mais pointe des lacunes : « La France voulait absolument reconnaître l’exception de sécurité nationale pour utiliser des logiciels espions sur des journalistes. Ça n’est pas dit mot pour mot dans le texte, mais en pratique ce sera possible. » Car des exceptions sont prévues. Elles seront évaluées par un juge, dans le cadre d’enquêtes sur des infractions graves.

Une autre mesure phare du règlement vise à empêcher les très grandes plateformes en ligne, comme X (ex-Twitter), Facebook ou Instagram, de restreindre ou supprimer les contenus médiatiques indépendants de manière arbitraire. La règle semble ambitieuse, sa faisabilité est questionnée par Julie Majerczak de RSF, qui assure vouloir « rester vigilante sur sa mise en place » d’ici l’application du texte dans six mois.

Adèle Pétret et Marie Starecki 

 

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