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Feu vert pour les méga-camions sur les routes européennes


15 mars 2024

Le Parlement européen a adopté une révision législative favorable aux méga-camions. Un vote marqué par l’opposition des eurodéputés français pour qui ces géants des routes sont une menace sécuritaire et environnementale.

Des colosses de 60 tonnes, longs de 25m, pourront-ils rouler prochainement à travers l’Europe ? Les eurodéputés ont décidé que oui en approuvant mardi 12 mars la circulation des méga-camions. Ces camions à rallonge, plus longs et plus lourds, sont composés d’un conteneur auquel s’ajoute une, voire deux remorques.

La nouvelle directive prévoit d’harmoniser les règles au niveau européen en relevant le poids maximal des camions ordinaires en libre-circulation à 44 tonnes. Elle prévoit également de systématiser la circulation des poids lourds géants pouvant aller jusqu’à 60 tonnes entre États voisins consentants. « Si un pays autorise la circulation de méga-camions, il ne pourra pas leur refuser l’entrée sur son territoire », explique l’eurodéputée espagnole Isabel García Muñoz (S&D, sociaux-démocrates).

Un transport routier plus vert

L’objectif de la nouvelle réglementation est de verdir le transport de marchandises pour répondre aux objectifs du Pacte vert européen qui vise la neutralité carbone du continent en 2050. « Nous devons rendre le transport routier durable », défend Isabel García Muñoz (S&D). Selon elle, relever de quatre tonnes le poids maximal des camions favoriserait le développement de l'électrique en permettant d’amortir le poids des batteries, plus lourdes que celles des véhicules thermiques. Limiter les émissions du transport routier est l'une des priorités pour atteindre les objectifs environnementaux européens. En 2020, 77 % des marchandises ont été acheminées par la route contre 16,8 % par les rails selon Eurostat. « Le réseau ferroviaire européen est surchargé et, sans expansion ou amélioration significative, il ne peut absorber le volume actuel du transport routier », justifie l’eurodéputé suédois Peter Lundgren (CRE, conservateurs). 

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L'Allemagne, l'Italie et la France craigent l'arrivée en masse des méga-camions sur leurs routes. © Yanis Drouin et Gustave Pinard 

Les écologistes montent au créneau 

Si les eurodéputés ont adopté les nouvelles règles à une assez large majorité (330 pour, 207 contre), à la gauche de l’hémicycle, ceux des groupes Les Verts et The Left (gauche) s’y sont fermement opposés. À leurs yeux, la révision serait « contreproductive » car la hausse du poids maximal profiterait surtout aux camions diesel jusqu’à leur interdiction en 2035. « On ouvre la porte à de plus gros pollueurs sur nos routes. Qui peut sérieusement imaginer que des camions de 60 tonnes nous permettront de réduire les émissions de CO2 des poids lourds de 90 % d’ici 2050 [comme le prévoit le Pacte vert européen] ? », a réagi à l’issue du vote l'eurodéputée française Karima Delli (Les Verts, écologistes), présidente de la commission Transports. Son amendement visant à interdire les camions diesel de plus de 40 tonnes a été rejeté. « On se demande de quel côté du cerveau de la commission on est. Celui qui défend le marché intérieur ou le Pacte vert ? », s’interroge faussement son homologue français Pascal Durand (S&D). En abaissant le coût du transport et donc celui du prix de vente des marchandises, les ambitions écologiques seraient sacrifiées au nom de la compétitivité.

Des pays récalcitrants

Dépassant les groupes politiques, les oppositions au texte témoignent aussi de sensibilités nationales différentes. Les eurodéputés français ont rejeté le texte en masse (69 contre, seule Irène Tolleret de Renew a voté pour) tandis que leurs homologues allemands et italiens se sont divisés. La géographie explique en grande partie ces positions nationales. Si les pays en périphérie, comme la Suède, l’Espagne ou la Roumanie sont favorables, ceux de transit, comme la France ou l’Allemagne sont plutôt contre. Ils seront les plus exposés à l’usure et aux obligations de réaménagements. Les ronds-points, tunnels, chaussées, devront être entretenus plus régulièrement. Un coût important pour les collectivités. En Italie, l’effondrement du pont de Gênes qui a fait 43 morts en 2018 est encore dans les esprits. Les opposants aux méga-camions mettent aussi en avant leur dangerosité. Les géants des routes ont une distance de freinage plus importante en raison de leur poids et sont, par leur taille, plus difficiles à doubler et à manœuvrer.

Une marge de manoeuvre pour les États

La directive est toutefois encore loin d’être mise en application. Il revient désormais aux États membres de prendre position sur la version du Parlement. Quoi qu’il en soit, ils auront toujours la possibilité de refuser la circulation de certains types de véhicules sur leur territoire. Le ministre des transports, Patrice Vergriete, a d’ailleurs confirmé l’opposition de la France aux méga-camions et son engagement en faveur du fret ferroviaire.

Une position que regrette le secteur français du transport routier à l’image de la FNTR (Fédération Nationale des Transports Routiers). « On se prive sans doute d’un atout non négligeable par rapport à nos voisins européens », regrette sa déléguée permanente à Bruxelles, Isabelle Maître, qui aimerait que le gouvernement fasse preuve de pragmatisme en autorisant des tests au cas par cas. « Les politiques ont peur que cela fasse de la concurrence au fret ferroviaire alors que notre objectif c’est d’être complémentaire », estime-t-elle. 

Gustave Pinard et Ismérie Vergne

 

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