À vélo, en camionnette ou en camion, du matin au soir, une noria de livreurs achemine des colis. Leur cohabitation avec les autres usagers de la route de Bischwiller s’avère parfois conflictuelle.
Mélanie Mathis est gérante de l’entreprise Aux saveurs de Mel située à Hoenheim. © Alexis Cécilia-Joseph
Mélanie Mathis, traiteuse : “Si je ne trouve pas de place, je me mets en double file”
Dans sa camionnette floquée du logo de son entreprise, Mélanie Mathis sillonne le nord de Strasbourg toute la semaine. Hoenheim, Bischheim, Schiltigheim, Souffelweyersheim sont les principales villes où la traiteuse livre des particuliers en sa qualité de traiteuse. Ses clients sont principalement des personnes âgées qui commandent des repas.
Elle emprunte ainsi tous les jours la route de Bischwiller. “J’ai souvent deux à trois clients qui sont directement sur l’axe”, affirme l’entrepreneuse. À raison d’une trentaine de livraisons tous les matins de 8h à 11h30, son temps est chronométré. “Si je ne trouve pas une place de livraison ou de parking tout de suite, je me mets en double file”, précise-t-elle.
Elle a commencé à livrer en mars 2019 et ne déplore aucun problème pour le moment : “Comme je ne reste pas longtemps, je n’ai jamais eu de souci, personne ne m’a jamais klaxonnée.” Le projet porté par la maire écologiste de Schiltigheim, Danielle Dambach, d’enlever des places de stationnement afin d’allonger la piste cyclable ne la préoccupe pas. La traiteuse confie : “Je me garerai de toute façon en double file parce qu’on n’a pas le temps de traverser toute la ville pour se garer. Ça sera juste plus dangereux pour les livreurs.”
Enora Séguillon
Youssef Al Makhloufy est livreur pour Uber Eats depuis un an.
© Alexis Cécilia-Joseph
Youssef Al Makhloufy, livreur Uber Eats : “J'ai esquivé plusieurs accidents”
“Sur la route de Bischwiller, c’est la guerre entre les livreurs et les voitures”, témoigne Youssef Al Makhloufy, qui l’arpente plusieurs fois par jour à vélo. Ce Schilikois de 30 ans récupère essentiellement des commandes au Sushi House ou à PizzAlanya situés à Bischheim.
Il décrit un environnement hostile où les véhicules à moteur manquent de cordialité avec les livreurs à vélo et confie ne pas se sentir en sécurité. “J’ai esquivé plusieurs accidents et je suis déjà tombé une fois lors d’une livraison à Schiltigheim. J’ai dû annuler la commande, vu l’état de la pizza”, raconte le livreur, qui n’a pas été réprimandé par Uber Eats car c’était la première fois que cela lui arrivait.
Pour contourner le danger, plusieurs solutions s’offrent à Youssef Al Makhloufy : emprunter les routes parallèles à la route de Bischwiller, moins fréquentées par les automobilistes, mais qui rallongent les trajets. Sinon, il peut rouler sur les trottoirs, mais se heurte à la colère des piétons. Le Schilikois admet ne pas avoir un comportement très approprié : “C’est pas bien de faire ça mais on doit livrer chaud. Sur la route on a des voitures qui ne nous laissent pas d’espace et qui font parfois limite exprès de nous rentrer dedans.”
Alexis Cécilia-Joseph
Les tournées de Michel Vogler sont rythmées par une quinzaine d'arrêts. © Alexis Cécilia-Joseph
Michel Vogler, facteur : “Les piétons me respectent”
Une passante descend la route de Bischwiller en direction de Strasbourg. À proximité du jardin de la Résistance, Michel Vogler lui bouche le chemin. Ce facteur n’hésite pas à emprunter les trottoirs de Schiltigheim avec son vélo électrique lors de sa distribution du courrier. Elle le contourne sans broncher et poursuit son trajet. “En général, les piétons râlent sur les autres cyclistes mais pas sur les facteurs. On se respecte mutuellement”, explique-t-il.
Après avoir travaillé pour les bureaux de poste de Koenigshoffen et de la Robertsau, ce Strasbourgeois de 29 ans est chargé de la distribution du courrier sur Schiltigheim depuis un peu plus de deux ans. Il ne perçoit pas la route de Bischwiller comme un axe dangereux. “C’est aussi à nous de faire attention quand on emprunte la route. Personnellement, je n’ai jamais vu de gros accrochages”, avance-t-il.
Seul incident qu’il mentionne avec un automobiliste sur une sortie de parking : “On roulait trop vite tous les deux. Je ne faisais pas attention, je regardais le courrier dans mon vélo et lui, il devait regarder un truc dans sa voiture.”
Alexis Cécilia-Joseph
Par manque de place et de temps, des chauffeurs de camion se garent sur les trottoirs. © Alexis Cécilia-Joseph
Baptiste*, chauffeur de marchandises : “C’est sur cette route que je suis le plus stressé”
Deux fois par semaine, Baptiste se rend route de Bischwiller avec son camion de 19 tonnes pour livrer deux magasins d’une enseigne de restauration rapide. Par manque de places, le trentenaire se gare souvent sur la piste cyclable : “Il y a bien des zones de livraison à quelques mètres des magasins mais elles sont tout le temps prises par des voitures.”
À plusieurs reprises mis en garde par la police municipale, il court le risque de se faire verbaliser. Chaque livraison lui prend entre 30 et 45 minutes : “Ça m’arrive d’être en double file mais ça congestionne la circulation et exaspère les automobilistes. Je n’ai pas d’autre choix que de me garer sur la piste cyclable même si je sais que je gêne.”
Baptiste est souvent interpellé par les autres usagers de la route de Bischwiller : “Les prises de tête sont récurrentes. Un cycliste crachait tout le temps sur mon véhicule, ça a duré un moment. Je comprends la frustration mais je ne peux pas faire grand-chose…” Cette situation met le chauffeur sous pression lors de ses livraisons sur l’axe : “C’est sur cette route que je suis le plus stressé lorsque je fais mon travail.”
Enora Séguillon
*le prénom a été modifié