Ancien fleuron du secteur brassicole en France, Schiltigheim est aujourd’hui parsemée de friches industrielles. Municipalité et acteurs privés essaient tant bien que mal de relancer l'activité.
Au petit matin, derrière le long portail en métal de la brasserie de l’Espérance, une dizaine de camions chargés de fûts de bière s’apprêtent à partir. Heineken, Desperados, Adelscott, Ancre, Fischer, les marques de la multinationale néerlandaise Heineken remplissent les fourgons.
L’usine est l’un des sites majeurs de l’industrie brassicole française, de par sa superficie de 12 hectares, sa production et son histoire pluricentenaire. Lorsque Heineken s’implante sur le site de l’Espérance à Schiltigheim en 1972, la marque s’impose sur le marché brassicole en France. Le géant achète Fischer en 1996 puis transfère progressivement son activité sur le site de l’Espérance.
La friche de la brasserie Fischer témoigne du passé glorieux de l'ancienne cité des brasseurs. © Mathilde Iehl
Elles étaient cinq, aujourd’hui, il n’en reste qu’une
Sur les cinq grandes brasseries industrielles qui existaient à Schiltigheim avant la Seconde Guerre mondiale, il n’en subsiste qu’une : la brasserie de l’Espérance. Pour Patrick Gauger, ancien maître brasseur chez Fischer, la raison est simple : “L’arrivée de la grande distribution et la question de la rentabilité ont favorisé les grands groupes. Il fallait investir massivement pour adapter l’outil de travail aux nouvelles contraintes, donc il y a eu des regroupements qui ont provoqué des fermetures.” La brasserie de la Perle, la première à trinquer, ferme définitivement ses portes en 1971, avant de renaître quelques années plus tard à Strasbourg. Au terme d’un long déclin, Schutzenberger disparaît en 2006.
Suite à son rachat du groupe Fischer-Adelshoffen, Heineken met successivement un terme à l'activité sur les deux sites, laissant les anciens locaux à l’abandon. Clin d'œil de l’histoire, la brasserie artisanale Storig a fait le choix de s’implanter en 2016 dans le dernier vestige d’Adelshoffen : la villa Weber.
L’artisan principal de ce rachat est Michel Debus, ex-directeur du groupe Fischer-Adelshoffen, grand nom de la bière alsacienne et aujourd’hui actionnaire majoritaire de la brasserie Storig. Pour Patrick Gauger, qui a géré le déménagement, “les brasseurs ont tendance à comparer l’activité brassicole à la renaissance du phénix. L’avènement des grands groupes, qui centralisent et standardisent leur production, favorise l’apparition d’une nouvelle demande artisanale. C’est un cycle.”
La Storig (cigogne en alsacien) est la dernière brasserie indépendante de Schiltigheim. © Mathilde Iehl
Un investissement pour obtenir de bons équipements de fabrication a été nécessaire pour assurer la qualité du produit. © Mathilde Iehl
L'installation dans ces nouveaux locaux représentait l'opportunité de construire sur le site historique de l’ancienne brasserie d’Adelshoffen, à proximité du centre-ville. © Mathilde Iehl
En 2019, la brasserie Heineken a produit 1,5 million d'hectolitres de bière, ce qui en fait l’un des principaux sites de production brassicole de France. © Emilien Hertement
“À l’époque, le marché de la bière n’était pas du tout florissant et connaissait une baisse structurelle avec une perte de volume qui durait depuis trente ans. Heineken a entrepris une réorganisation industrielle pour faire face aux nouvelles évolutions du marché et pérenniser son activité”, explique Hélène Dupouy, responsable presse pour Heineken France.
À côté du Goliath Heineken, la brasserie artisanale Storig lancée il y a une quinzaine d'années, fait office de David. Le géant industriel et la petite brasserie indépendante coexistent sur le territoire de la même commune. L’une favorise la quantité, l’autre, la qualité. “Le groupe Heineken ne fait pas de concurrence. On ne joue simplement pas sur le même terrain et c’est tant mieux”, déclare le responsable de production de la brasserie Storig, Laurent Caillard.
Avec une production de 1000 hectolitres par an et seulement trois employés, la microbrasserie mise sur la qualité du service et de son produit. À travers ses cinq bières permanentes, ses bières de saison et ses bières à façon créées pour des événements spéciaux, elle se donne pour ambition de “remettre la bière où elle doit être”. “Nos bières sont non pasteurisées et non filtrées. On veut les déguster comme on déguste du bon vin”, explique Laurent Caillard.
© Emilien Hertement et Mathilde Iehl
“J’ai envie de croire que Schiltigheim peut relancer son activité brassicole”
Schiltigheim se retrouve aujourd’hui au milieu du gué. Arrivera-t-elle à tirer profit de son passé brassicole afin de susciter un nouvel intérêt pour ce secteur ?
L’actuelle municipalité fonde ses espoirs sur un projet en particulier. Elle souhaiterait remettre l’identité brassicole au cœur de la réhabilitation du site Schutzenberger. La mairie y voit l’opportunité de conserver la brasserie pour en faire un porte-étendard de son patrimoine historique, et, à terme, la possibilité d’y créer une micro-brasserie susceptible d’attirer le tourisme. Cependant, les élus se heurtent pour l’instant à l’opposition du principal actionnaire de la brasserie, Denis Oussadon.
“Monsieur Oussadon avait de bonnes volontés mais surtout l’idée de construire des logements pour faire des bénéfices dessus”, note le premier adjoint Patrick Maciejewski. Les ambitions affichées par la ville ne suffisent pas à convaincre Patrick Gauger : “Il y aura des logements, un hôtel probablement, cet investisseur ne veut pas créer une nouvelle brasserie. J’ai envie de croire que Schiltigheim peut relancer son activité brassicole grâce à la bière artisanale, sauf que la réalité est tout autre, les investissements prioritaires n’iront pas dans le secteur brassicole.”
Emilien Hertement et Mathilde Iehl
Storig utilise du houblon alsacien, notamment le Strisselspalt, dans la fabrication de ses bières. © Mathilde Iehl
Laurent Caillard, responsable de production de la brasserie Storig, devant les trois cuves de brassage. © Mathilde Iehl
Le malt utilisé dans le processus de fabrication est français et provient de la malterie Soufflet. © Mathilde Iehl
Storig propose un assortiment de cinq bières permanentes et des bières de saison, qui varient de 4,5 degrés à 5,2 degrés. © Mathilde Iehl