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Depuis 2009, l’Eurométropole mène une politique de désenclavement du quartier du Port du Rhin: nouveaux logements, construction de la clinique Rhéna,  arrivée du tramway… Ces évolutions ne suffisent pas à relancer l’activité des commerçants implantés de longue date et qui luttent pour leur survie.

Gérante depuis 17 ans d’un restaurant Döner Kebab au Port du Rhin, Satnul* prépare consciencieusement une pâte à pizza. Il est midi, les premiers clients arrivent. Un habitué, puis cinq institutrices de l’école voisine. Personne d’autre ne vient à l’heure du déjeuner ce jour-là. Depuis au moins sept ans, Satnul n’a cessé de voir sa clientèle diminuer.

« C’est un quartier mort », déplore-t-elle. Avant l’ouverture des frontières, le quartier comptait beaucoup plus de commerces en activité, plusieurs hôtels, une brasserie et même un Office du Tourisme. Depuis que les douanes ont fermé, les transporteurs qui autrefois faisaient étape dans les hôtels et les restaurants ne s’arrêtent plus ici.

Pour Satnul, le Port du Rhin souffre d’un manque d’attractivité en raison du faible nombre de commerces de proximité. « Il faudrait une boulangerie, un marchand de glace, une boucherie, un marché… ». Cette commerçante n’a pas le sentiment de bénéficier des évolutions le quartier. Pendant environ trois ans, Satnul recevait à midi entre 20 et 40 personnes. Beaucoup d’ouvriers des chantiers. Mais depuis l’achèvement des travaux, son chiffre d’affaires a chuté d’environ 800 euros par jour à 150 euros, malgré le tramway et les nouvelles habitations. « Tout le monde préfère aller à Kehl. Si c’était moi, je ferais pareil », constate-t-elle.

L’Eurométropole voit les choses autrement. Selon Lassad Essadi, chef de projet Port du Rhin, « il ne faut pas chercher à concurrencer Kehl, mais à lui être complémentaire ». La ville est engagée dans une réflexion pour faire du quartier un lieu de destination et pas juste un endroit de passage. En faire un quartier de Strasbourg comme les autres.

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Depuis la place de l'Hippodrome, on aperçoit la nouvelle clinique Rhéna (à gauche) et la poste, installée au pied des nouvelles habitations (à droite). © Coralie Haenel

Pour Lassad Essadi, « les transformations sont réelles, mais les résultats encore embryonnaires ». La construction de nouveaux logements a par exemple incité La Poste à s’installer au pied des nouveaux immeubles au mois de septembre, de même que le Crédit Mutuel en octobre. Selon le chef de projet, l’arrivée de nouveaux habitants est généralement suivie par l’ouverture de nouveaux commerces. L’augmentation de la population devrait donc dynamiser l’économie du quartier. Le nombre d’habitants pourrait passer de 3000, en 2018, à 6800 en 2025, selon les projections de Lassad Essadi.

Mais, aujourd’hui, la ligne de tramway qui connecte Strasbourg et Kehl depuis avril 2017 renforce la coupure entre les anciens logements sociaux et les constructions flambant neuves. Ces transformations ont des conséquences directes sur l’activité de Frédéric Klotz, patron du restaurant Au Général Desaix, implanté dans le quartier depuis une quarantaine d’années. Certains clients ont cessé de venir, car ils avaient des difficultés à accéder au restaurant pendant les travaux de construction de la ligne de tramway, qui passe juste devant sa porte. Le restaurateur subit une baisse de son chiffre d’affaires depuis plusieurs années. Il ne bénéficie pas non plus de l’installation de la nouvelle clinique Rhéna. Le millier de personnes qui y travaillent peuvent déjeuner dans le restaurant réservé au personnel. Frédéric Klotz maintient son restaurant grâce à quelques clients réguliers, à l’image de Christian Issenhart qui le fréquente tous les midis depuis 1993. « Je viens pour ne pas être seul, c’est un moyen de faire des rencontres », raconte-t-il.

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Frédéric Klotz (à gauche), maintient son restaurant Au Général Desaix grâce à de fidèles clients, à l’image de Christian Issenhart (à droite), qui le fréquente depuis 23 ans. © Coralie Haenel

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Le vieux bâtiment où les deux restaurateurs travaillent va être démoli. © Coralie Haenel

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Quartier du Port du Rhin. © Coralie Haenel © Ayla Passadori

La ville, propriétaire des murs, projette de démolir l’immeuble où le restaurant est établi afin de poursuivre la revitalisation du quartier. Alexandre Dawood, propriétaire d’un restaurant libanais installé dans le même bâtiment, déplore la situation : «Je ne peux pas vendre, pas investir, pas travailler ». Face à l’incertitude, il est impossible pour les deux restaurateurs de développer leurs affaires.

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Amine Laayoumi, gérant de l’épicerie Chez Abdel,  sera bientôt confronté à la concurrence d’une supérette de l’autre côté de la ligne de tramway. © Coralie Haenel

« La bonne volonté des commerçants est nécessaire pour assurer la transition, explique Lassad Essadi, la municipalité n’est pas tenue de relocaliser les restaurateurs, mais il est possible de les mettre en contact avec des promoteurs immobiliers ». Même si la ville ne s’engage pas directement dans le maintien des commerces installés de longue date dans le quartier, elle mène un dialogue avec des derniers.

Implantée depuis 35 ans au Port du Rhin, la famille propriétaire de l’épicerie Chez Abdel ne ressent pas une réelle détermination de la part de la ville pour améliorer le vieux quartier. « Toutes ces nouvelles constructions ne changent pas la vie des gens ici. Elles servent surtout à l’enrichissement des investisseurs, regrette Chakib Laayoumi, l’un des gérants. Même si nous sommes ici depuis 35 ans, la ville ne nous accorde pas beaucoup d’importance », ajoute-t-il.

L’épicerie devra bientôt faire face à l’ouverture d’une supérette de l’autre côté de la ligne de tram.  Pourtant, Amine, le frère de Chakib, n’a pas peur pour l’avenir de son affaire familiale, qui entretient au quotidien des liens solides avec les clients du quartier. «J’ai grandi ici, je ne me vois pas avoir une boutique ailleurs, raconte-t-il. C’est chez moi ici, c’est ma famille. Les gens du quartier, je les connais tous ».

*Le prénom a été modifié

Ayla Passadori
Coralie Haenel

 

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