Antoine Chevalier a décidé de convertir son outil de travail en logement. Depuis 10 ans, c’est dans sa péniche amarrée sur les bords de l’Ill que cet ancien marinier a choisi de couler des jours paisibles.
L’ancien batelier se faufile à toute vitesse sur les plats-bords larges d’une trentaine de centimètres qui entourent le bateau. Il rejoint la cale avant de la péniche désormais recouverte d’un plancher prêt à accueillir trois nouvelles pièces à vivre. Une dizaine d’années auparavant, des tonnes de céréales, bois, charbon ou fer occupaient cet espace pour être transportées le long de la Seine et du Rhin.
Antoine Chevalier jette un oeil en direction de ses voisins amarrés de l'autre côté de la rive © Camille Toulmé
A la retraite depuis une décennie, Antoine Chevalier se sédentarise. Il a gardé sa péniche et l’a réaménagée pour en faire une véritable habitation sur l’eau. Lui et sa femme ont choisi d’élire domicile sur le bassin Dusuzeau à Strasbourg pour se rapprocher de la ville natale et des parents de cette dernière. Cet emplacement sur ce bassin est aussi le seul capable d’accueillir ce type de péniche.
La timonerie, où se situent les instruments de navigation et le logement traditionnel de la péniche, tous deux à l’arrière du pont supérieur, forment aujourd’hui un deux pièces de 60 m². A présent, le marin réinvestit l’ancienne cale qui va lui permettre d’agrandir son logement d’une centaine de m² supplémentaires. Il prévoit d’y construire une cuisine, une salle de bain et un salon, loin des clichés de vétusté des cabines de marins. Antoine Chevalier a déjà réaménagé l’arrière du bateau en terrasse. Dans un secteur calme et au bord de l’eau, elle permet de « profiter des rayons du soleil durant l’été avec une belle vue sur la ville et la vie aquatique ». L’Ill est agitée durant l’hiver à cause du vent, mais cet habitué des eaux ne s’en plaint pas : « Ca tangue mais pour un ancien batelier, c’est agréable ».
Le marin certifie que sa consommation énergétique est similaire à celle d’un simple appartement. Le navire d’Antoine Chevalier peut alimenter les appareils électroniques du navire durant 48 heures avec des batteries rechargeables. A l’avenir, l’ex-marinier envisage d’utiliser des panneaux solaires. Pour le chauffage de l’habitacle, un poêle à bois orne le salon. Les pièces à vivre, nécessairement bien isolées pour ce type de logement, retiennent parfaitement la chaleur.
Avec ses 60 mètres de long, Antoine Chevalier possède la plus grande péniche habitable du bassin Dusuzeau © Mado Oblin
Néanmoins, habiter dans un endroit comme celui-là induit des coûts particuliers. « Une personne qui ne sait rien faire de ses dix doigts ne se lance pas dans ce projet », affirme le retraité. Antoine Chevalier estime qu’il faut s’y connaître en bricolage et en mécanique pour pouvoir intervenir soi-même et économiser de l’argent. « C’est un travail de tous les jours et il ne faut jamais laisser repousser le colmatage d’une fuite ou la réparation d’un problème mécanique au lendemain, souligne-t-il. Le bateau peut très vite finir comme une épave. » L’embarcation doit répondre à des normes de flottaison et de navigabilité précises. Tous les cinq ans, Antoine Chevalier est obligé de procéder à un contrôle technique coûteux, avec mise à sec et carénage afin de limiter la corrosion. Le prix d’une telle opération se compte en milliers d’euros.
L'avant du bateau donne sur les anciennes infrastructures du Port Autonome de Strasbourg © Camille Toulmé
La péniche d'Antoine Chevalier est amarrée au bassin Dusuzeau. © Camille Toulmé et Thomas Vinclair
Antoine Chevalier est propriétaire de son navire, mais son emplacement est temporaire et révocable à tout moment. En 2013, il a signé une Convention d’occupation temporaire (COT) avec le Port autonome de Strasbourg valable 10 ans. Cette convention conduit à une situation précaire. Le Port, gestionnaire des berges peut, avec préavis et sous certaines conditions valables (travaux, réhabilitations, etc…), demander à tout moment à l’ancien marin de partir. Avec les nombreux projets immobiliers (Eco quartier Danube, Port du Rhin) situés aux alentours de la péniche et la réduction du nombre d’emplacements des bateaux habitations, Antoine Chevalier sait que l’avenir de son habitat s’écrit en pointillé.
Camille Toulmé et Thomas Vinclair