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Entre l'Ill et le Rhin, les pêcheurs du front de Neudorf viennent chercher le calme au milieu de l'agitation de la cité. Casquette ou béret, les ambiances changent en fonction des spots qu'affectionnent ces passionnés.

« On n'est pas obligés d'aller loin pour voyager, il suffit d'aller au bord de l'eau ». Pierrot Beinze brave le froid matinal sur les quais du bassin de la Citadelle. Habillé d'un treillis, ce retraité de 61 ans vient tous les jours s'adonner à sa passion, derrière l'avenue du Rhin. « A chaque pêcheur sa casquette ! », lance-t-il en piochant un ver de terre dans sa boîte à appâts.

Le « streetfishing », nouvelle tendance

Comme lui, ils sont nombreux à venir pêcher le long des berges entre l'Ill et le Rhin. Exactement 1934 pêcheurs sont encartés à Strasbourg. Parmi eux, certains pratiquent le « streetfishing », nouvelle tendance qui consiste à pêcher dans les villes en se déplaçant avec un minimum de matériel.

Gabriel, 15 ans, pêche souvent avec ses copains aux abords de Rivetoile. © Charlène Personnaz

Benjamin Balbinot, 29 ans, béret sur la tête et piercings au visage, montre l'Ill du doigt : « Je suis parti de l'avenue de Colmar et je remonte la rivière jusqu'à la voie ferrée. » Soulevant sa canne au-dessus de sa tête, il fait claquer le fil dans l'air comme un lasso avant d'envoyer sa mouche sur l'eau. Le jeune menuisier intérimaire pêche à la cuillère. Une technique que lui a transmise son grand-père sur les bords de la Loire. De passage à Strasbourg pour trois mois, le nouveau-venu est à l'affût de brochets suffisamment grands pour être consommés – à partir de 55cm.

Gabriel, 15 ans et capuche sur la tête, le guette aussi, le brochet, sous la passerelle Braque, à côté de la médiathèque Malraux. « L'eau est plus claire là, on les voit mieux ici qu'à Port-du-Rhin», souligne-t-il. L'adolescent, qui pêche depuis quatre mois avec ses copains, a déjà le jargon de l'initié. Ce jour-là, il repart bredouille mais rappelle fièrement son palmarès : « J'ai déjà pêché une brème. »

Un loisir pas uniquement masculin

Installés plusieurs heures, cannes plantées dans le gazon, d'autres trempeurs de fil pêchent à l'ancienne. Une activité de détente pas forcément masculine. Carole, manager dans la grande distribution, aime pêcher au coup avec son mari, Dominique, demandeur d'emploi. « Un jour, elle a tenu la canne, ça lui a plu et elle a pris un permis », s'amuse-t-il. Casquette de sport vissée sur la tête, Dominique est intarissable sur sa passion : « Je monte mes propres mouches pour pêcher dans les Vosges », explique-t-il en scrutant son flotteur à la surface de l'eau.

A quelques mètres de là, You, deux ans de pêche au bout de la canne, est également accompagné de sa femme.

 

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 Benjamin Balbinot pratique le "streetfishing", la pêche de rue. © Charlène Personnaz

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Dominique a appris à pêcher grâce aux livres et aux tutoriels proposés sur internet. © Thibaut Chereau 

« Je préfère le regarder et profiter du soleil », dit-elle. Autodidacte lui aussi, il a appris à pêcher sur Internet à l'aide de tutoriels. Domicilié à la Montagne-Verte, You doit prendre son véhicule pour pêcher. Il fait figure d'exception, les autres pêcheurs venant à vélo ou à pied.

Le « no kill » : la bonne conscience des pêcheurs

Les pêcheurs plébiscitent la recherche du calme face à l'agitation urbaine. « Vers la cathédrale c'est trop la ville, ça m'ennuie, je préfère être tranquille », poursuit You, posté à côté du pont Citadelle où passe le tramway qui va à Kehl. Un constat partagé par Benjamin : « La pêche, c'est un plaisir mais c'est aussi la solitude. Il n'y a personne qui vient te faire chier, tu n'es pas obligé de parler. Tu as les pieds dans la flotte dans le calme. »

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1934 permis de pêche ont été délivrés à Strasbourg en 2017. Cette carte annuelle est obligatoire. Des tarifs Découverte sont attribués aux femmes et aux mineurs. © Louise Claereboudt

Et les bassins dans tout ça ? La plupart des pêcheurs possèdent leur permis, une contribution financière qui permet de préserver les poissons. « Chaque année, entre 1000 et 3000 alevins de brochets sont lâchés à Strasbourg », précise un membre de la Fédération de pêche du Bas-Rhin. Le seul moyen pour stabiliser cette population prisée des pêcheurs. C'est parce qu'il a le souci de la préservation de l'environnement que Benjamin a choisi de pratiquer le « no kill ». « On relâche les poissons pour les faire grandir et les repêcher plus tard », explique-t-il.

Entre l'Ill et le Rhin, les poissons sont discrets, avouent les pêcheurs. Sauf quand ils rangent leurs cannes et que les brochets pointent leur nez à la surface pour les narguer.

Thibaut Chéreau et Charlène Personnaz

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