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Parcours d'obstacles

18 octobre 2012

Carole Herrero a fondé l'association le Parcours. (Crédit : T.P/Cuej)

Depuis 2004, l'association Le Parcours aide les personnes en situation de précarité à se reconstruire une image afinde préparer au mieux leur réinsertion. Entre coiffure, manucure, cours d'expression et ateliers de gestion du stress, l'eventail des prestations du Parcours est large. Carole Herrero, 46, en est la directrice. Portrait d'un parcours pas comme les autres.

Au 40 rue de la Doller, l'antenne du centre socio-culturel « l'Escale »  - un graff vieillissant baptise le mur de l'entrée- est un petit bâtiment grisâtre de deux étages posé à côté d'un terrain de foot , à la frontière de la Cité de l'Ill. Cent mètres au sud, et vous êtes au « quartier », loin, bien loin des façades à colombages proprets du centre-ville. 

Quelques centaines de mètres encore, et vous voilà au pied de la tour Schwab, le phare du coin, 18 étages d'échafaudages. Ici, c'est l'autre Robertsau, coincée entre les enclaves douillettes de la Wantzenau et du quartier Boecklin, celle que la CUS oublie de montrer sur son site Internet. 

Le décor est planté, retour à l'Escale. Au premier étage, en face du hall d'escalier, se tient le siège de l'association « le Parcours ». Deux pièces , séparées par une vitre. Dans la première, la plus grande, trônent deux fauteuils de coiffure, évier et machine à bigoudis inclus, tandis que les armoires débordent de produits de beauté.

L'autre pièce, c'est le bureau de la directrice. Bras croisés, vêtue de noir, Carole Herrero discute avec son employée, Lucie, en Contrat Unique d'Insertion (CUI) depuis plus d'un an. « Elle va bientôt nous quitter, glisse Carole en guise de préambule, et je dois rencontrer son nouvel employeur pour m'assurer qu'elle parte dans de bonnes conditions. »

Faux départ

Carole Herrero n'est pas le genre de femme à s'épancher. Campée dans sa chaise, c'est elle qui donne le ton à la conversation. Quand elle raconte son épopée personnelle, la voix est ferme, le débit régulier et le regard fixe. Pourtant, son existence tient plus du parcours du combattant que du conte de fées.

Elle est née à Reims en 1966, pupille de la Nation. Son prénom, « c'est l'Etat qui (le lui) a donné ». Elle survole ses dix-huit premières années en quelques phrases, au rythme de ses placements, « 37 en 19 ans », une jeunesse en forme de CDD , « six mois, un an, deux ans parfois » entre foyers et familles. Confesse qu'elle « n'aimait pas l'école », et « quand on n'aime pas l'école, on vous met en apprentissage ».

Elle choisira la coiffure, CAP en poche à dix-huit ans. S'ensuit une période de latence : « Quand vous avez 18 ans, vous sortez du cursus pupille, et vous vous retrouvez à la rue. Sans logement, pas de travail, et inversement. Et puis, à Reims, faut la décoller, l'étiquette « pupille »... » Elle tente alors sa chance dans une école de restauration, mais doit bientôt arrêter faute de pouvoir payer la formation. Sans travail ni logement fixe, son horizon s'assombrit.

La suite reste vague : « J'ai travaillé dans la restauration, j'ai fait des extras, des remplacements à droite à gauche.. », explique-t-elle sans vraiment développer. Elle endosse l'uniforme de la précarité, tente sa chance à Paris, sans succès. En attendant, toujours pas de coiffure dans l'histoire, les ciseaux semblent bien loin.

Elle sourit -fugacement- derrière sa frange méchée, et coupe : « J'ai jamais voulu en faire mon métier, en fait. Moi, ce qui m'intéressait, c'était l'équitation. Je voulais bosser dans un centre équestre, et j'ai toujours pensé que j'y arriverais. » Son parcours en décidera autrement.

« 13 heures d'opération, 5 ans de convalescence »

Avance rapide. En 1995, Carole Herrero s'est stabilisée. Elle vit désormais à Strasbourg, travaille toujours dans la restauration, enchaîne les petits boulots et vit parfois du RMI. Elle partage sa vie avec un homme,  vient de mettre au monde son premier fils...et se fait diagnostiquer une tumeur au cerveau dans la foulée.  Nouveau coup d'arrêt, et passage par la case hôpital : « J'ai eu droit à une opération de 13 heures, quand même, une trépanation, c'est pas rien.. » Là encore, le ton reste étonnamment neutre. « Il m'a fallu cinq ans de convalescence, et de toute façon, il y aura toujours des séquelles ».

Un supplice, pour celle qui se définit comme « hyperactive » : « Moi , je voulais bosser, mais les médecins ne voulaient pas, alors j'ai commencé à bosser dans des associations. » Pour tromper l'ennui, d'abord, mais pas seulement. « Je me suis dit que si je m'en sortais, j'allais créer un truc » affirme-t-elle au détour d'une phrase. Une épiphanie sociale classique chez ceux qui frôlent la mort, à la différence près que rares sont ceux qui mettent leur plan a exécution. Il faudra encore deux ans à Carole Herrero pour y parvenir.

En pleine convalescence, elle s'inscrit aux Restos du Coeur, deux jours et demi par semaine...ce qui lui laisse encore trop de temps pour « penser à la maladie ». Elle décide de reprendre son travail de coiffeuse et monte  un premier projet de coiffure et soin esthétique, avant de quitter l'aventure suite à un désaccord de fond. Qu'importe, elle montera son association elle-même : le Parcours est né.

« Les personnes qui viennent ici ont une aura... »

Depuis 2004, l'association accueille des publics en situation de précarité pour leur proposer des soins esthétiques et, surtout, leur réapprendre à accepter leur image. «  Les gens qui arrivent chez nous ont une aura , détaille la directrice,  ils ne sont plus dans l'image, ne se regardent plus dans le miroir. Ce que nous faisons, au Parcours, c'est les aider à regagner de l'estime de soi. »

Coiffure, manucure, maquillage, ateliers de préparation à un entretien d'embauche, gestion du stress, l'éventail des prestations de l'association est large. Et payant, bien qu'à tarif réduit: « Le public que nous accueillons ne supporte plus la gratuité. Ici, ils sont reçus comme dans un salon, il n'y a pas de jugement. Avec nos tarifs, nous ne faisons pas de concurrence déloyale aux salons de coiffure, ce n'est pas la philosophie de la maison », se défend Carole Herrero.

Financée à 85 % par les pouvoirs publics (CUS, Etat, Conseil général), elle fait office de porte d'entrée vers la réinsertion sociale et accueille des personnes venues « de la Robertsau, mais pas seulement » . En 2008, son CDD se transforme en CDI, et Lucie débarque au salon avec son CUI. La précarité est aussi faite de sigles. Pour la jeune employée, cette embauche est "une chance, avant tout:  "Carole m'a aidé quand il le fallait, c'est aussi simple que ça.", lâche-t-elle.

Pourtant, la coiffeuse se défend d'être une assistante sociale, bien qu'elle s'apprête à passer un DHEPS (Diplôme des Hautes Etudes de Pratique Sociale, ndlr) en janvier prochain : « J'ai besoin de me professionnaliser, avoue-t-elle. Quant on conseille les autres, on se conseille souvent très mal soi-même. Il me fallait une formation, mais  je ne me sentais pas capable de passer un diplôme. » C'est une amie d'enfance qui finit par la convaincre de reprendre le chemin de l'école, trente ans après l'avoir quitté.

Quand on lui demande si elle envisage de travailler en salon, la réponse fuse : « Jamais ! Je suis peut-être pas le salarié idéal...Et quand on fait du bien aux autres, on se reconstruit. Depuis que j'ai l'association, j'ai changé. Je commence même à être une femme. » Et soudain, elle rit, les yeux grand ouverts, sans prévenir.

 

Thibault Prévost

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