De plus en plus de sans-abri trouvent refuge dans une ruelle du centre de Strasbourg. Les commerçants à proximité s’inquiètent de la dégradation du lieu. Rencontre avec ses occupants.
La majorité des sans-abri du passage se rendent à l'association Ithaque afin d'avoir une cure de sevrage alcoolique. Photo Aïcha Debouza / Cuej
Au cœur de Strasbourg, à deux mètres du Monoprix, place Kléber, se trouve le passage de la Pomme de pin. Cette ruelle abrite depuis plusieurs années, plus d’une dizaine de personnes sans-abri. Venues des quatre coins du monde, elles s’y sont établies.
Face à l’arrivée de nouveaux sans refuge, un collectif de commerçants du passage de la Pomme de pin et du centre-ville a adressé une lettre au maire pour dénoncer « l’insalubrité et l’insécurité » régnants dans le passage. Selon les Dernières nouvelles d’Alsace, le cabinet de Robert Hermann a pris contact avec les commerçants à la fin du mois de janvier.
La rue est leur maison
Michel, sans-abri de 62 ans est un « habitué » du coin. Il a passé environ dix ans de sa vie dans le passage. « Je ne vois plus les regards étonnés des gens. Je ne sais pas si c’est moi qui m’y suis habitué ou si ce sont eux qui ont arrêté de me regarder bizarrement », soupire-t-il.
Les mains à peine sorties des gants, il roule sa cigarette en vitesse. Il les remet, tire sur sa clope et observe les passants. « Nous ne demandons rien. Nous voulons simplement qu’ils nous foutent la paix. Et s’ils trouvent qu’on les dérange, ils n’ont qu’à nous proposer un toit où dormir », s’exclame Michel.
Michel, ancien militaire, vit dans la rue depuis 30 ans. Vidéo Aïcha Debouza / Cuej
Toujours assis sur un banc à côté du Monoprix, il finit ses journées, enveloppé dans son sac de couchage entre les magasins du passage. Vêtements, chaussures, couvertures, bouquins… Ses amis et lui, ont aménagé le lieu. Une fois la nuit tombée, le coin leur appartient.
« La police me demande à chaque fois de rentrer chez moi, mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que je suis déjà chez moi. » Hier encore, jeudi 6 février, et face aux plaintes des commerçants, la police leur a ordonné de quitter les lieux. « Je comprends parfaitement ces commerçants. Une fois bourrés, les nouveaux sont parfois agressifs. Mais ce n’est pas une raison pour s’attaquer à nous », explique J.C, 57 ans, camarade de Michel.
Une « famille » soudée dans des conditions difficiles
Les deux anciens militaires avaient l’habitude d’acheter leurs bières au Monoprix juste à côté, mais le personnel de l’établissement leur a interdit d’y accéder, « parce qu’on traîne ici, et qu’on offre à boire à tout le monde. Y compris aux nouveaux », ajoute J.C.
D’après eux, appeler le « 115 », numéro gratuit pour les personnes sans-abri, ne sert pas à grand chose puisque les places ne sont presque jamais disponibles. Des agents de sécurité ont été placés devant la Fnac pour éviter qu’un autre « campement » ne se réunisse là-bas. « Ca ne sert à rien de déplacer la merde d’un coin à un autre. Il faut la nettoyer, essayer de la changer », reprend l'un des anciens militaires.
« Les gens doivent savoir que nous aussi, nous sommes fatigués. Nous dormons sur du béton, on nous vole le peu d’affaires qu’on a, on pisse sur nos couvertures, notre santé se dégrade de plus en plus et on se fait maltraiter par tout le monde », réagit William*, 30 ans. Ce sans abri a rejoint la « famille » il y a presque sept ans.
J.C et Michel se sont rencontrés il y a sept ans dans la rue. Et depuis, les deux amis ne se sont jamais séparés. Photo Aïcha Debouza / Cuej
« La plupart des gens ici ont fait l’armée. Ils ont fait la guerre pour la France, ils ont servi le drapeau et qu’est-ce qu’ils ont eu en retour ? De la soupe et de l’eau », ajoute-t-il. La majorité de ces personnes ont des problèmes de santé. Certains sont gravement malades, d’autres souffrent de cancer, mais ne peuvent pas se faire soigner. Plusieurs femmes ont rejoint le « campement », mais « ces vraies guerrières » préfèrent se faire discrètes.
« L’Elsau représente un hôtel trois étoiles pour la plupart d’entre nous »
« Une fois, je suis allé à la mairie pour demander un logement, et ils m’ont viré parce que je suis Français et que j’ai de la famille à Strasbourg. Mais est-ce que je serais là si ma famille voulait vraiment de moi ? », explique J.C.
Malgré tout, il ne peut plus se séparer de l’endroit même si « ça craint ces derniers temps à cause des nouveaux ». Une amie à lui l’invite toujours à dormir dans sa maison, mais lui, préfère rester « chez lui ». « Je m’étouffe dans ses 17 m2.» Pour lui, il n’est pas question de dormir enfermé dans un petit studio car il a pris l’habitude de passer ses nuits en plein air.
Parmi les anciens, certains ont même atterri en prison. « La prison de l’Elsau représente un hôtel trois étoiles pour la plupart d’entre nous. Malheureusement, il arrive même à certains de faire des conneries exprès pour se faire arrêter et dormir au chaud », conclut Michel.
*Le prénom a été modifié.
Aïcha Debouza