La bergère a développé un regard critique sur ses conditions de travail au fil de ses échanges avec ses collègues. « Au début, j'étais vraiment seule. J'ai passé plusieurs années sans connaître aucun berger. Puis je me suis posé la question : “Comment travaillent les autres ?” » Lors des estives – les pâturages d’été en montagne – Marion prend le numéro de téléphone des bergers qu’elle rencontre, puis les contacte régulièrement : « Tu étais à quelle estive ? Ça s'est bien passé ? Combien tu étais payé ? »
L’été esseulés en altitude avec leurs troupeaux, le reste de l’année embauchés pour de la garde en flanc de colline ou de l’agnelage, les gardiens de troupeaux font la plupart du temps cavalier seul.
Avec la création du SGT-CGT en Ariège en 2019 (la deuxième branche SGT après la création du syndicat d’Isère en 2013, peu actif de 2015 à 2022), les branches syndicales ont commencé à organiser des rendez-vous annuels à travers le sud de la France.
Le but est de rassembler le plus largement possible les acteurs d’un secteur dont il est difficile de quantifier le nombre, les gardiens de troupeaux étant classés sous le terme générique de « salariés agricoles ». L’enjeu du recensement des bergers est primordial afin d’envisager le développement des antennes départementales.
Selon le SGT-CGT, qui compte environ 100 adhérents, il y en aurait entre 1 000 et 5 000 en France. « Le fait de ne pas connaître ses collègues, c'est aussi un frein pour nous. Mais grâce au bouche-à-oreille, je pense qu’on peut actionner les manettes pour savoir qui travaille où, et dans quelles conditions », indique Marion.
Le poing levé, les doigts refermés sur une canne de berger. Le logo du Syndicat des gardiens de troupeaux (SGT) s’affiche en grand sur un drapeau fièrement brandi par six bergers des Cévennes. La photo publiée sur le site du syndicat le 28 novembre 2024 montre le groupe de salariés agricoles, tout sourire. Après Grenoble (Isère), Saint-Girons (Ariège) et Marseille (Bouches-du-Rhône), ils et elles viennent d’officialiser la création de la quatrième antenne de cette branche de la CGT-FNAF (Fédération nationale agroalimentaire et forestière) au Vigan (Gard).
Pour eux, c’est le début d’une lutte collective inédite dans la région, avec l’espoir de pouvoir négocier leurs conditions de travail face à la FNSEA, syndicat majoritaire parmi les exploitants agricoles. Après plusieurs années à tenter de se battre seuls pour leurs droits, cette ouverture représente déjà une petite victoire sur l’isolement social et géographique avec lequel ils et elles doivent composer au quotidien.
Un secteur en proie à la solitude
À la sortie de l’A75, les lacets du Col du Vent permettent d’admirer le plateau aride du Larzac. La route pour se rendre à La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries (Hérault) est sublime. Marion* habite ce petit village de 175 habitants, dans une maison en pierre dont l’architecture intérieure rappelle celle d’un dojo.
La bergère est l’une des six membres du nouveau SGT-CGT Cévennes. « Je ressentais le besoin de me mobiliser. Je trouvais important de faire du lien car on est dans un métier dangereux et isolé », explique la jeune femme de 33 ans.
Formée sur le tas, sans passer par une école de bergers, Marion est arrivée dans la profession sans réseau ni connaissance de ses codes. Selon elle, ses patrons ont profité de sa crédulité. « J’ai accepté des conditions vraiment minables. Je ne savais pas ce qui était OK et ce qui ne l’était pas. C'est un métier où les employeurs vont valoriser le fait de travailler pour pas grand-chose, dans des conditions dangereuses et de s'oublier complètement. Il y a une envie de se faire accepter dans ce milieu-là. Donc au début, on y croit », témoigne-t-elle.
Dans les Cévennes, six jeunes gardiens de troupeaux viennent de fonder en novembre 2024 un syndicat pour défendre leurs conditions de travail. De quoi tenter d’insuffler une dynamique de lutte sur ce territoire rural dominé par les exploitants agricoles, où les travailleurs du secteur doivent très souvent composer avec l’isolement.
Acheter conjointement pourrait être l’avenir de l’Europe, mais encore faut-il garantir la circulation des armes et des militaires entre les pays. Pour amener les soldats à Bergen pour l’exercice Milex 24, il a ainsi fallu mobiliser pas moins de six trains, quatre avions et transporter 500 conteneurs d’armes et d’équipements. Sans compter l’installation de 32 km de câble indispensables pour assurer la coordination logistique. Des lourdeurs qui menacent l’efficacité des opérations militaires, alors même que l’Europe pourrait être attaquée à tout moment.
À vrai dire, l’Europe n’a pas attendu l’offensive russe en Ukraine pour réfléchir à une coopération renforcée en matière de logistique militaire. Dans les années 2010 déjà, certains avaient même imaginé un Schengen militaire. En 2020, l’UE a également débloqué une enveloppe de 1,7 milliard d’euros sur sept ans pour soutenir ce projet de mobilité militaire, comprenant la rénovation d’infrastructures obsolètes et l’harmonisation des normes de transport, avec pour objectif de permettre aux Européens de déployer leurs troupes plus rapidement entre l’ouest et l’est du continent.
De leurs côtés, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Pologne ont signé en janvier 2024 un accord pour la création d’un corridor militaire entre leurs pays. Tous trois pourraient aussi participer au prochain exercice européen grandeur nature, Milex 25. Il se déroulera sur la base d’entraînement de Bakony, dans l’ouest de la Hongrie. À moins de 500 km de la frontière ukrainienne.
Paul Ripert
L’objectif n’est donc pas de créer une armée européenne à part entière. « Les différentes armées en Europe coordonnent déjà leurs troupes au sol avec l’OTAN. Reproduire ce système représenterait une perte de temps et d’énergie pour un résultat identique », confirme Pierre Haroche, chercheur à l’institut Jacques Delors, un think tank européen. Une analyse partagée par le lieutenant général néerlandais Michiel van der Laan, chef de l’état-major européen, chargé de planifier les objectifs militaires et de garder un œil sur les crises et conflits. « Cela dépend de ce que l’on entend par armée européenne, poursuit-il. Pour moi, il s’agit de plusieurs armées nationales qui travaillent, coopèrent et se battent ensemble. Nous en sommes déjà là. En revanche, une “armée européenne” avec des soldats des 27 pays de l’UE dans la même unité, cela ne marchera jamais. »
Lors du sommet de l’alliance en 2022, les pays alliés avaient annoncé vouloir être capables de déployer 300 000 soldats en Europe en cas d’attaque, notamment russe. « L’enjeu n’est pas de se reposer seulement sur les États-Unis et leurs troupes. Ce sont les soldats européens qui doivent constituer la première ligne de défense de l’Europe », ajoute Pierre Haroche. Un impératif que les pays européens ont compris. La France a, après la guerre en Ukraine, renforcé sa présence sur les bases de l’OTAN en Roumanie, Estonie et Lituanie, en y envoyant 2 000 soldats.
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Renforcer la défense européenne à travers l’OTAN passe aussi par une hausse des budgets de défense nationaux des 27. Depuis le premier mandat de Donald Trump en 2016, les États-Unis, principal contributeur, ont accentué la pression sur leurs alliés, leur demandant de consacrer 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) à la défense. Une exigence suivie d’effets puisqu’en dix ans (2014-2024), le nombre de pays alliés consacrant plus de 2 % de leur PIB à la défense a d’ailleurs été multiplié par six. La France, pour sa part, devrait atteindre ce palier en 2024. Mais l’effort reste insuffisant, juge Romain Le Quiniou : « Les pays de l’est de l’Europe sentent que le danger est proche. Ils prennent la menace russe au sérieux, et leurs dépenses militaires frôlent aujourd’hui les 3 %. Pour que l’Europe se défende correctement, il faudrait viser ces chiffres là, voire aller jusqu’à 5 %. » Aujourd’hui, le total du budget de l’UE alloué aux questions de défense s’élève à 1,9 % de son PIB, selon le rapport 2024 de l’Agence européenne de défense.
Une coordination plus efficace
Pour construire une défense européenne solide, augmenter les budgets ne suffit pas. Il faut aussi coordonner l’achat de matériel, et notamment les armes. En 2017, on dénombrait 178 systèmes d’armement différents, 17 modèles de chars, 29 modèles de destroyers et 20 modèles d’avions de combat au sein de l’UE. Autant de matériels différents qui entravent l’organisation de toute opération réunissant des soldats de plusieurs pays.
Mais les achats d’armes répondent à des logiques nationales d’approvisionnement, et ne sont pas réalisés de manière groupée. « L’Union européenne a l’ambition d’acheter ensemble, mais le fait très peu pour l’instant », développe Federico Santopinto, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques, spécialisé sur la question de la défense en Europe. C’est précisément pour pallier ce problème que l’UE a prévu de mettre en place une enveloppe de 1,5 milliard d’euros permettant aux États membres de développer la stratégie industrielle dans le domaine de l’armement. La somme, qui doit encore être approuvée par le Parlement européen, devra être dépensée d’ici fin 2027.