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Tucker Carlson compte parmi les figures de proue du paysage médiatique de l'extrême-droite américaine. Ici en 2020, lors d'un sommet à Palm Springs. ©Gage Skidmore/Flickr

Aujourd’hui, le Struthof est devenu un lieu de mémoire. « Contrairement à Auschwitz, nous sommes ici dans un camp de travail, pas d’extermination. Cela fait moins de bruit car la journée, les déportés travaillaient à l’extérieur. Le site est en pleine montagne, il n’y avait personne qui puisse témoigner de ce qui se passait », explique Guillaume Simon.  Parmi ces déportés, issus de plus de trente nationalités, des prisonniers politiques, de droit commun, des résistants, des homosexuels, des juifs, et des « Nacht und Nebel » (Nuit et brouillard), voués à disparaître. « Pour les SS, ils étaient tous des « Stück », des morceaux. Les  journées de travail pouvaient durer jusqu’à douze heures. L’objectif était de les épuiser.» Sur les 17 000 qui ont transité par le camp, 3 000 n’en sont jamais ressortis. 

Sur le plan historique, les certitudes manquent quant aux conditions de vie et au quotidien précis des « Lagerkommandant » du KL Natzweiler-Struthof. Certains guides insistent sur la nécessité de poursuivre les recherches sur ce point. « Plus de 500 000 archives attendent encore d’être ouvertes et dans les dix années à venir, ce sont encore bien d’autres qui seront déclassifiées », confie l’un d’entre eux. Le travail est encore long avant que la « Zone d’intérêt » ait dévoilé tous ses secrets. 
 

Rien d’étonnant. Tucker Carlson n’est pas n’importe qui pour les Américains. Journaliste conservateur, il est le porte-drapeau médiatique des idées d’extrême-droite américaine. Suprématie blanche, climato-scepticisme, positions pro-russes, anti-avortement… tout y passe. 

De Fox News à Twitter 

Et ça fait de l’audience. Trois millions de téléspectateurs par jour pour son ancienne émission à succès : “Tucker Carlson Tonight”, émission-phare de la chaîne Fox News à l’époque. Pendant le Covid-19, Tucker Carlson multiplie les prises de position contre le port du masque, contribuant alors à radicaliser une partie de la population américaine. 

Certains lui attribuent même une part de responsabilité dans l’attentat raciste de Buffalo survenu le 14 mai 2022 dans une supérette de la ville de l’Etat de New York. Pendant son émission, il développe régulièrement les théories du grand remplacement. L’auteur de la tuerie l'avait brandi dans le manifeste qu’il a laissé après avoir causé la mort de dix personnes. 

En avril 2023, Tucker Carlson annonce brutalement quitter Fox News pour lancer sa propre émission sur X. Toutes les semaines, il publie une interview, enchaînant les invités plus sulfureux les uns que les autres. Les derniers en date, Russel Brand, acteur britannique qui a viré au complotisme ces dernières années, ou encore Chaya Raichik, derrière le compte “Libs of Tiktok” ouvertement anti-LGBT. Le succès est immédiat : son compte dénombre aujourd'hui plus de 12 millions d’abonnés. Et l’émission consacrée à Poutine cumule déjà plus de 80 millions de vues sur X.

Julie Lescarmontier et Eva Pontecaille

Edité par Zoé Dert-Chopin

Pendant les quatre années d’activité du camp de concentration, cinq commandants SS se succèdent. Seul le troisième, Joseph Kramer, a véritablement résidé dans la villa Ehret. « Le bâtiment a été aménagé pour intégrer son logement ainsi qu’un centre de communication. Malgré sa proximité avec le camp, elle restera toujours en dehors de ses murs », raconte Guillaume Simon, archéologue et guide au Cerd depuis deux ans, qui organise la visite ce matin-là. 

“L’objectif était d’humilier les déportés au-delà de la mort”

Depuis la maison typiquement alsacienne en forme de losange, on ne voyait pas la cheminée, mais on sentait les effluves de la cheminée du four crématoire. À quelques dizaines de mètres, ils brûlaient les corps des déportés achevés par le travail forcé. « Une fois les corps calcinés, les cendres des non germaniques étaient jetées dans la fosse aux cendres, reprend le guide. Une fosse commune où se déversaient également les eaux usées du camp. L’objectif était d’humilier les déportés au-delà de la mort. » Leurs cendres étaient récupérées par des prisonniers pour être utilisées comme engrais dans le potager de la kommandantur, près de la villa. 

Sa vie a été récemment mise à l’écran par le réalisateur Jonathan Glazer dans son film La zone d’intérêt. Pendant près deux heures, le spectateur découvre le quotidien de la famille Höss : un mari, une épouse, trois filles, deux garçons et un chien. Une vie sans histoire, si ce n’est un mur qui les sépare du génocide des juifs, des tziganes et autres ennemis du régime nazi. Le spectateur est aveugle, l’horreur n’a pas de visage mais elle s’entend. Hurlements, coups de feu, de fouet, râles d’agonie, ronflement des cheminées, des fours crématoires et des trains.

Une auberge à quelques mètres de la chambre à gaz

Avant la guerre, le Struthof était connu pour ses pistes de ski. En 1940, après la déroute de l’armée française, l’Alsace est annexée et les nazis découvrent sur place une importante réserve de grès rose. Ils décident d’y établir un camp de travail, réquisitionnent la villa et l’auberge attenantes. « Plus de 200 soldats d’une garnison SS et 80 personnels administratifs étaient présents ici, confie sur place un guide du Centre européen du résistant déporté du Struthof (Cerd). Si la plupart sont logés dans le camp des gardiens, à l’emplacement de l’actuel mémorial et de la nécropole, quelques-uns étaient logés dans l’auberge voisine de la chambre à gaz expérimentale, construite en contrebas du site principal. »

Imaginez une maison alsacienne, à la frontière des Vosges, à une soixantaine de kilomètres de Strasbourg. Lovée contre les pins à 800 mètres d’altitude, elle est bordée d’un riche potager où fruits, légumes, fleurs et tubercules poussent à foison. Le matin, le chant des oiseaux vous réveille. La journée commence, vous poussez les volets. À droite, l’eau bleue de la piscine. À gauche, un mirador et une double rangée de barbelés électriques veillent. Ils s’assurent que les 6 000 prisonniers du Konzentrationslager (KL - camp de concentration) Natzweiler-Struthof restent dans l’ombre, à l'abri des regards. 

Ce quotidien, c’est celui de Joseph Kramer, commandant du Struthof - seul camp de concentration construit sur le territoire français - d’octobre 1942 à mars 1944. Comme d’autres « Lagerkommandant » (commandant du camp), Kramer a établi l’une de ses résidences au plus près du camp qu’il administrait, au cœur des horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Rudolf Höss, concepteur du camp d’extermination d'Auschwitz, a fait la même chose. 

Le film de Jonathan Glazer, La zone d’intérêt, raconte la vie de famille paisible du commandant d’Auschwitz, en bordure du camp d’extermination. Cette proximité glaçante se retrouve au camp du Struthof, en Alsace, où une villa avec piscine côtoyait l’horreur absolue.

Posté devant le Kremlin, Tucker Carlson nous promet que l'interview qu’il a enregistrée le 6 février sera « sincère ». Jeudi 9 février au soir aux Etats-Unis, l’ex-vedette de Fox News a diffusé sur son compte X (ex-Twitter) un entretien avec le président russe. Si l’affiche de l’émission annonçait un duel tendu, le premier accordé à un journaliste « occidental » depuis le début de la guerre en Ukraine, le doute n’a pas plané longtemps. Pro-russe assumé, Tucker Carlson n’a cessé de brosser Vladimir Poutine dans le sens du poil.

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