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Créé le 25 juin 1948, rebaptisé le 17 octobre 2005
Hôtel Matignon, rue de Varennes, Paris 7e
Effectif: variable

Une première : le 6 novembre, le comité interministériel sur l’Europe a été retransmis en direct sur Public Sénat. Au menu, la panne de courant européenne du 4 novembre, la directive sur le temps de travail (en cours de négociation), ainsi que la procédure ouverte par Bruxelles contre la France pour ses déficits excessifs. Depuis l’invention du petit écran, seuls la sécurité routière et le développement durable ont eu droit à un tel traitement. Créée à l’occasion du plan Marshall, cette instance d’arbitrage politique en dernier ressort a connu une existence à éclipses. Lionel Jospin en a fait usage régulièrement, pour cause de majorité plurielle. En juillet 2005, Dominique de Villepin l’a réveillée d’un long sommeil au lendemain du référendum.

La leçon du "non" au référendum

Depuis, le CIE se réunit une fois par mois. La secrétaire générale du SGAE, Pascale Andréani, et le représentant permanent à Bruxelles, Pierre Sellal, y sont présents. « Véritable outil de coordination politique », selon Dominique de Villepin, le Comité ambitionne « d’anticiper les enjeux à venir », de garantir un suivi politique des négociations européennes, de déterminer la position française et d’offrir la possibilité aux ministres de faire connaître leurs propositions. Dans les faits, le CIE est surtout un outil de communication. « Il marque notre volonté de tirer les leçons du 29 mai. […] Les Français demandent davantage d’explication, davantage de pédagogie, davantage de transparence sur l’Europe », a déclaré le Premier ministre à l’ouverture du 12ème CIE. Les décisions continuent de se prendre ailleurs.

Guillaume Guichard

Le décret Villepin du 17 octobre 2005

La rubrique Europe de Matignon

 

 

Au quotidien, le Secrétariat général aux affaires européennes fait constamment le lien entre Paris et Bruxelles, entre les ministères et la Représentation permanente.

1) Choisir qui est concerné par les documents de l’Union européenne
Une communication de la Commission sur la politique de voisinage avec l’Europe orientale et la Méditerranée, par exemple. C’est au secteur "Elargissement" du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), qui la reçoit par l’intermédiaire de la Représentation permanente (RP) française à Bruxelles, de choisir quels ministères sont susceptibles d’être concernés. Affaires étrangères, Justice, Economie et Finances, etc. : le chef de secteur ou l'adjoint l’envoie par courriel aux administrations sélectionnées. Souvent, le panel s’avère assez large. « Il n’existe plus beaucoup de ministères qui échappent à la sphère communautaire », constate Serge Guillon, secrétaire général adjoint.

2) Echanger avec l’avant-garde française à Bruxelles
L’essentiel pour comprendre les possibilités réelles de peser sur un texte, c’est de communiquer avec l’avant-garde sur le terrain. « Mes adjoints parlent avec les correspondants de la RP au moins dix fois par jour », souligne Florence Ferrari, chef du secteur Elargissement. Chacun passe une ou deux heures au téléphone avec son interlocuteur privilégié à Bruxelles, pour discuter des sujets qui passent dans les groupes de travail du Conseil. Sans compter les courriels. Les « bruits de couloir » qui parviennent aux oreilles de la RP apparaissent d’autant plus précieux pour le SGAE depuis l’élargissement de l’Union à dix nouveaux Etats membres en mai 2004. Les personnes à convaincre sont plus nombreuses, la pondération des voix a changé et le poids des nouveaux parlementaires dans le processus législatif doit être pris en compte. Les échanges informels en amont se multiplient à Bruxelles. Toutes ces informations concourent à définir la base de la ligne qui sera défendue plus tard de façon officielle.

3) Désigner un ministère « chef de file »
Pas toujours évident de désigner le ministère « chef de file », a priori le plus concerné par telle proposition de la Commission. Même si parfois deux « chefs de file » peuvent être désignés sur un sujet, comment déterminer par exemple celui d’une proposition de directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles ? C’est important car il peut peser un peu plus dans la négociation interministérielle, avant le Conseil. En général, c’est lui qui étudie l’impact du texte proposé sur le droit français. Il doit aussi prendre en compte ses effets potentiels sur les activités professionnelles, les collectivités locales... Leur consultation n’est pas vérifiée par le SGAE, mais pour les sujets sensibles, les chefs de secteur et les secrétaires généraux adjoints peuvent avoir des contacts informels avec des associations, des organisations syndicales et patronales, etc., pour recouper les informations des ministères. Ce qui fut le cas avec les notaires sur la directive services par exemple.

4) Définir une ligne
Dans le secteur Elargissement, qui traite l’une des priorités européennes de ce semestre, les ministères peuvent disposer de trois jours à quelques heures pour définir leur position initiale sur les projets de la Commission ou les compromis de la présidence. Une fois précisé ce qu’ils pensent de la proposition, le chef de secteur décide éventuellement de les réunir, notamment en cas de désaccord. Même si parfois certains ne répondent pas à l’invitation, décidant que le texte en question ne les concerne pas. « Pour la dernière réunion que j'ai présidée, on disposait d’une position consolidée et signée du ministère de l’Agriculture, moins formelle mais par écrit du ministère des Affaires étrangères, non écrite de Bercy, moins concerné par le sujet, raconte Florence Ferrari. J’ai réuni mes deux adjoints pour mettre en commun nos informations et voir la ligne vers laquelle on pouvait se diriger. » Le secrétaire général adjoint Serge Guillon résume: « Le SGAE doit définir des priorités de négociations, identifier ce qui pose problème, les points sur lesquels la France peut céder ou non… Parce que les ministères ont tendance à présenter tout comme prioritaire, ils n’ont pas de vision horizontale comme nous. »

5) Confronter
Représentation permanente et ministères La visioconférence est une manière d’instiller une culture du communautaire et du compromis dans l’administration française. Le système a des avantages, notamment pour le SGAE qui se trouve au cœur d’un réseau de contraintes. « Cette méthode de travail est intéressante pour tout le monde, affirme Lionel Rinuy, chef du secteur Espace judiciaire européen. Les experts parisiens s’informent sur le souhait de la présidence d’aboutir ou non sur tel texte, le contexte dans lequel une réunion a lieu, etc. Et les conseillers RP, moins spécialisés, car ils traitent par exemple à la fois du droit civil et du pénal, bénéficient de l’expertise de leurs collègues parisiens sur le sujet traité. » Ils entendent également les préoccupations des ministères, en direct.

6) Préparer les consignes de négociation
Après une réunion interministérielle, le projet d'instructions est en général rédigé par un adjoint du chef de secteur. Ces fiches indiquent l’objectif recherché par la réunion et suggèrent des arguments. Elles se divisent en général en deux parties : l’état du dossier, les « éléments de langage » à utiliser. Une relecture, éventuellement une confirmation par le secrétaire général adjoint, et le chef de secteur les envoie à la RP par courriel. Voire par téléphone juste avant la réunion, ou si elle a déjà commencé et que des précisions semblent nécessaires. « En sachant que dans la pratique, la RP est toujours en copie dans les échanges donc elle a une idée de ce à quoi vont ressembler les instructions», précise Florence Ferrari.

7) Les transmettre officiellement
Même si pour des sujets sensibles, la secrétaire générale Pascale Andréani peut relire les instructions, elles sont toujours signées par ses adjoints. Ceux-ci les envoient par télégramme diplomatique codé, dans une petite salle à l’accès réservé. « Ce degré de formalisme est nécessaire pour fixer la position française, et pour les archives », estime la chef du secteur Elargissement.

8) Obtenir un retour
Le jour même de la réunion du groupe de travail, du Coreper ou du Conseil, le SGAE reçoit le compte-rendu par courriel et par télégramme diplomatique. La RP l’écrit de manière hiérarchisée, avec beaucoup de précision. Celui-ci est également adressé au ministère des Affaires étrangères, avec copie aux postes diplomatiques et ministères concernés. Comme certains ministères n’ont pas l’habitude de recevoir des télégrammes diplomatiques, qui mettent parfois des jours à arriver au bon interlocuteur, le SGAE envoie par courriel à la personne qui suit le dossier les parties qui la concernent.

Jeanne Cavelier

 

Une journée à créer du compromis

Jeudi matin, Sandrine Gaudin reçoit comme d’habitude la revue de presse du centre d’information du Secrétariat général des affaires européennes, composée d’articles sur l’Union européenne (UE) et plus particulièrement sur la politique commerciale, son domaine. 9h30. Rendez-vous à la salle de réunion du 1er étage. Ses partenaires habituels sont là : des représentants du ministère de l’Agriculture, de l’Economie et des Finances, des Affaires étrangères. Et la Représentation permanente (RP), visible sur un écran depuis Bruxelles. Il s’agit de préparer le puissant comité 133, qui veille dans les négociations commerciales à ce que la Commission respecte le mandat donné par les Etats. C’est un représentant du ministère de l'Economie, flanqué d’un conseiller de la Représentation permanente, qui siégera demain à Bruxelles. La France veut faire entendre sa voix sur deux sujets : le dumping chinois et les discussions difficiles avec l’Inde et les Etats-Unis concernant le cycle de Doha à l’OMC. En une heure, les ministères tombent d’accord sur les amendements qui seront défendus par la délégation française au comité 133. A l’issue de la réunion, le projet d’instructions pour la négociation est rédigé, les amendements mis en annexe. En principe, ceux-ci sont présentés oralement, mais une version écrite sera donnée à la présidence finlandaise, pour lui faciliter le travail. Sandrine Gaudin envoie le tout par courriel aux ministères. Après une réunion de service, présidée à 11h30 par la Secrétaire générale Pascale Andréani, Sandrine Gaudin déjeune avec la conseillère juridique de l’ambassade de Suisse. Pour discuter des accords entre l’UE et son pays, et dissiper un malentendu : au même titre que ceux de l’UE, les ressortissants suisses ont accès à tous les concours de la fonction publique française.

Le blues des petits soucis

L’après-midi est ensuite ponctuée de soucis divers, entre deux dépêches d’agences de presse de son secteur et autres messages. D’abord, s’occuper des problèmes techniques survenus lors de la visioconférence du matin. Elle échange des courriels avec le service informatique, situé au rez-de-chaussée, pour qu’il les règle et qu’il produise un mode d’emploi plus clair. C’est d’autant plus important dans son secteur que les visioconférences se font simultanément avec les conseillers de la Représentation permanente à Bruxelles et avec celle de Genève, auprès de l’OMC. Elle doit aussi s’occuper du départ de l’un de ses adjoints, en janvier. Un coup de téléphone et rendez-vous est pris pour préparer son remplacement. Autre souci : le Parlement français doit être consulté sur une proposition de modification d’un accord entre l’UE et l’Argentine. Sandrine Gaudin souhaiterait que ce processus soit terminé avant le Conseil de lundi. L’Assemblée nationale n’a fait aucune objection, mais le texte n’a toujours pas été examiné par le Sénat, qui l’a inscrit à son ordre du jour de mardi prochain. Un coup de téléphone au secteur Parlements, qui règle le problème: le texte passe finalement demain. Sandrine Gaudin informe la Représentation permanente qu'elle peut rassurer la présidence finlandaise : le texte peut être mis à l’ordre du jour du Conseil. Si jamais le Sénat adopte quand même une résolution, le ministre la prendra en compte et pourra indiquer au Conseil qu’il a une déclaration à faire. Quelques coups de téléphone et courriels plus tard, elle constate qu’en vue de la réunion du comité 133 du lendemain, aucun arbitrage n’est nécessaire, les désaccords entre ministères ne concernent que des détails de formulation. Coordonner la position française a été aujourd’hui une mission aisée. La journée n’est pas terminée, le soir et sa relative tranquillité sont propices au travail sur le fond des sujets.

Pascale Andréani, un parcours dans les hautes sphères

Depuis 2002, Pascale Andréani définit à Paris les grandes lignes de la politique européenne de la France. A 51 ans, elle est à la tête du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et conseiller auprès du Premier ministre pour les affaires européennes. Diplômée de Sciences Po et de l’ENA, un DEA de droit communautaire en poche, cette diplomate commence sa carrière en 1982 comme secrétaire des affaires étrangères à New York, à la mission permanente de la France auprès des Nations-Unies. Après quatre ans au service de la coopération économique du ministère des Affaires étrangères, elle devient en 1988 conseiller des affaires étrangères, avant de retourner un an à la direction des affaires économiques. C’est en 1990 qu’elle entre pour la première fois au Secrétariat général du comité interministériel pour la coopération économique européenne (SGCI, ex-SGAE), en tant que secrétaire générale adjointe. Une fonction qu’elle cumule avec le poste de secrétaire générale de la mission interministérielle pour l'Europe centrale et orientale.

Madame Europe de Jacques Chirac

De 1993 à 1997, elle accède à la sphère politique en devenant directeur de cabinet d'Alain Lamassoure, alors ministre délégué aux Affaires européennes puis au Budget, et porte-parole du Gouvernement. Puis elle passe deux ans à l’Elysée comme chargée des affaires européennes de Jacques Chirac. Durant l’année1999, Pascale Andréani devient ministre-conseiller à l'ambassade de France en Grande-Bretagne. Enfin, entre 2000 et 2002, avant sa nomination au SGCI, elle occupe au ministère des Affaires étrangères le poste de directeur de la coopération européenne. Au nom de Dominique de Villepin, c’est elle qui, entre 2002 et 2004, représente le gouvernement français à la Convention puis à la Conférence intergouvernementale préparant une constitution pour l’Europe. Après 25 ans d’un parcours sans faute, elle pourrait prétendre aux postes les plus convoités du ministère des Affaires étrangères : une ambassade de premier plan, par exemple.

 

58 ans de loyaux services

25 juin 1948 : Robert Schuman crée le Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI). Celui-ci doit assurer la coordination entre les administrations pour gérer les fonds du plan Marshall.
3 septembre 1952 : Le comité interministériel fixe la position française au Conseil des ministres de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Le SGCI, dont le secrétaire général est issu du ministère des Finances, prépare ses délibérations et veille à leur exécution.
10 juillet 1954 : Pierre Mendès-France, président du Conseil, délègue au ministère des Finances ses attributions pour les affaires et les services relevant du SGCI.
1957 : Le Traité de Rome conduit le SGCI à élaborer les positions de la France sur les questions communautaires et à coordonner les institutions publiques françaises avec les institutions européennes.
1958 : Le général de Gaulle fait du SGCI une administration d’état-major assurant l’interface entre le politique et l’administratif. Il espère ainsi éviter la concentration du pouvoir à Bruxelles.
20 septembre 1977 : Raymond Barre met fin au monopole du ministère des Finances sur le poste de Secrétaire général du SGCI. Ce dernier est désormais nommé par décret du Conseil des ministres.
18 octobre 2005 : Dominique de Villepin rebaptise le SGCI, qui devient le Secrétariat général des affaires européennes. Celui-ci assure le secrétariat du Comité interministériel sur l’Europe, présidé par le Premier ministre.

Le Secrétariat général des affaires européennes

A l’angle du boulevard Diderot et du quai de la Rapée, à Paris, se dresse un bâtiment dans le style Art déco, l’antre du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). C’est là que quelque 120 fonctionnaires triés sur le volet, répartis sur sept étages dans une vingtaine de secteurs, préparent la position de l'exécutif français au Conseil de l’Union européenne. 80 personnes les assistent. Tout échange avec Bruxelles doit passer entre leurs mains, hormis la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), gérée par le Quai d’Orsay. Au sixième, le bureau de la Secrétaire générale, Pascale Andréani, n’est pas souvent occupé. Sa fonction de conseiller aux affaires européennes auprès de Dominique de Villepin la retient à Matignon une grande partie de la semaine. C’est ce qui donne une légitimité politique au travail du SGAE, un service administratif rattaché au Premier ministre. Trois secrétaires généraux adjoints, Nicolas Quillet, Serge Guillon et Raymond Cointe, les « SGA » comme on les surnomme dans les bureaux, font tourner la maison au quotidien.

Des réunions par visioconférence

Sous leur autorité, les chefs de secteur et leurs adjoints coordonnent et hiérarchisent les positions des ministères, pour que le gouvernement français parle d’une seule voix tout au long des négociations avec ses partenaires européens sur les propositions de la Commission. Deux principes les guident : exhaustivité — formuler une position dans tous les domaines — et anticipation — réfléchir le plus tôt possible sur les sujets à venir. Pour remplir cette mission sur les sujets consensuels il peut suffire de quelques courriels. Mais l’instrument de prédilection, ce sont les réunions interministérielles. Ils en ont organisé 1113 dans les dix premiers mois de cette année. Elles se tiennent dans l’une des salles équipées pour des visioconférences, la grande au 1er étage avec deux écrans, ou la petite au 4e. Grâce à cet outil, la Représentation permanente, chargée à Bruxelles de négocier en appliquant les instructions du SGAE, a assisté à 539 réunions interministérielles. 95% des arbitrages se concluent ici. Si l’accord n’est pas trouvé à ce niveau, notamment pour les sujets politiquement sensibles, le cabinet du Premier ministre tranche, après une nouvelle réunion, à Matignon. Parallèlement, le secteur Parlement, après tri du Conseil d’Etat, et par l'intermédiaire du Secrétariat général du gouvernement, transmet pour avis à l’Assemblée nationale et au Sénat les propositions de la Commission qui relèvent du domaine de la loi. Pour les aider, le SGAE réclame aux ministères des fiches d’impact, qui décrivent les implications potentielles d’un texte européen sur le droit français. Un processus qui ne fonctionne pas aussi bien que les parlementaires le souhaiteraient : d’après le rapport Philip de juillet 2006, sur 34 propositions de directives transmises entre le 1er juillet 2005 et le 1er juin 2006, 23 seulement ont été complétées par une fiche d’impact.

Communiquer pour s'informer

Une fois les directives et règlements européens adoptés, le SGAE veille à leur transposition, et à leur exécution administrative. Un exercice où la France n’excelle pas. Mais depuis quelques mois, le conseiller juridique, Jean-Philippe Mochon, dresse un tableau de suivi des transpositions en droit français, avant chaque Comité interministériel sur l’Europe. La pression politique semble efficace. En décembre, le pays devrait selon le conseiller juridique franchir la barre de 98,5% de directives transposées, l’objectif fixé par la Commission. Toutes ces missions amènent les conseillers du SGAE, les yeux rivés sur leurs écrans et l’oreille collée au téléphone, à beaucoup communiquer entre eux mais aussi avec les directions générales des ministères, les conseillers de la Représentation permanente à Bruxelles, et parfois les délégations de l'Union européenne du parlement français ou même la Cour de justice des communautés européennes. Le fruit de leurs échanges est conservé au deuxième étage, le centre de documentation, où dix-sept personnes répondent aux questions des fonctionnaires. Chaque année, ce centre reçoit 100 000 documents venant du Conseil, de la Commission, des ministères, de la Représentation permanente, etc. Des étagères remplies de dossiers s’emboîtent les unes derrière les autres. Au bout d’une dizaine d’années, ils sont rangés dans des cartons. Direction : les Archives nationales.

Jeanne Cavelier

 

SGAE
2, boulevard Diderot, Paris 12e
Créé le 25 juin 1948 sous le nom de Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne(SGCI) et rebaptisé Secrétariat général des affaires européennes le 18 octobre 2005.
Effectif : environ 200 fonctionnaires

La France n'est pas passée entre les mailles du filet

Quinze ans de bataille judiciaire, et la France sort enfin la tête de l’eau. Le contentieux avec la Commission européenne sur les « merluchons », qui lui a coûté près de 78 millions d’euros, ne fera plus de remous. Ainsi en a décidé la Commission : elle a mis fin, jeudi 23 novembre, à l’astreinte semestrielle qui pesait sur notre pays depuis le 12 juillet 2005. Ce qui a déclenché la tempête : la pêche de jeunes merlus n’ayant pas encore participé à la reproduction de leur espèce, notamment au large des côtes bretonnes et de l’Atlantique nord-est.
Au début des années 80, les experts de la Commission envoient des signaux. Si rien n’est fait, la pêche à outrance des poissons dits « sous taille » risque d’entraîner l’extinction de plusieurs espèces. La protection des ressources halieutiques est érigée en intérêt général de la Communauté européenne. En tant qu’Etat membre, la France participe aux négociations qui aboutissent en 1982 au vote d’un règlement sur le contrôle des pêches.
Mais face à la mer, l'exécutif s’enlise. Les circulaires de mise en conformité tardent. Les irrégularités se multiplient sur le terrain. La faiblesse des contrôles et le laxisme en matière de sanctions aux pêcheurs fraudeurs perdurent et les merluchons continuent d’être présents sur les étals des poissonneries. Le gouvernement hésite. Entre le sort des poissons et celui des pêcheurs, son cœur balance. Malgré un premier arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) en 1991, les problèmes persistent. Les rapports des inspecteurs de la Commission font des vagues : insuffisance des contrôles sur la taille des mailles des filets, sur les poissons pris « par hasard » dans les filets des pêcheurs, sur la vente de poissons « sous-taille » et manquements à l’obligation de poursuite des infractions. La Commission a l’impression que la France la mène en bateau. Ses mises en demeures répétées restent lettres mortes.
Le 12 juillet 2005, la France touche le fond. La CJCE décide d’infliger au pays récalcitrant une sanction historique : 20 millions d’euros d’amende et 58,85 million d’astreinte, renouvelée tous les six mois jusqu’à mise en oeuvre de la réglementation européenne. C’est la première fois qu’un Etat écope d’une double sanction et avec une somme aussi lourde. Cinq ministères s’en partageront le paiement. Explications.

Jeanne Cavelier / Adelise Foucault

 

Un merlu qui coûtait presque 78 millions d'euros

29 juin 1982 : Les stocks de poissons diminuent. Au Conseil pêche de l’Union Européenne, la France avalise un règlement qui limite sévèrement les captures autorisées, et s’engage, avec les autres Etats membres, à contrôler les activités de pêche: inspections, sanctions à l’égard des violations des règles, et enfin, contrôle efficace à terre, avec un registre des captures sur les bateaux de 10 mètres ou plus.
1982-1991 : La France traîne des pieds dans la mise en œuvre des clauses du règlement. La Commission multiplie les rappels à l’ordre, en vain. Finalement, elle porte l’affaire devant la Cour de justice des communautés européennes (CJCE).
Juin 1991 : La CJCE condamne la France pour manquement à ses obligations. Ses pêcheurs persistent à capturer les jeunes poissons dits « sous taille » (moins de 27 centimètres), dont les petits merlus, sans sanctions véritables. Paris est sommé de prendre des mesures plus strictes de contrôles. Son attention doit notamment se porter sur le maillage minimal des filets, fixé à 80 mm. Le filet à mailles carrées doit être privilégié.
1991-1996 : Les inspecteurs de la Commission ne constatent aucun progrès sur les côtes françaises.
17 avril 1996 : Après une mise en demeure de respecter l’arrêt de la Cour resté lettre morte, la Commission émet un avis motivé.
6 juin 2000 : Certaines espèces, tel le merlu, s’épuisent de manière inquiétante. Nouveau signal d’alarme des experts : la Commission émet un second avis motivé.
Août 2002 : La Commission saisit une seconde fois la CJCE. Elle lui demande d’imposer à la France une astreinte journalière de 316 500 euros.
12 Juillet 2005 : La CJCE condamne la France à payer une somme forfaitaire de 20 millions d’euros doublée d’une astreinte de 57,8 millions d’euros renouvelable chaque semestre. Cette double sanction est une première historique. Inquiets, seize Etats membres ont soutenu la France face aux réquisitions de l’avocat général, jugées trop sévères. Et se sont élevés, en vain, contre le cumul des sanctions.
1er mars 2006 : Avec deux mois de retard, la Commission constate des progrès. Mais la France n’a pas encore pris toutes les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt. Elle encaisse donc l’astreinte qui est versée au budget communautaire.
23 novembre 2006 : La Commission reconnaît les efforts réalisés et lève l’astreinte française. Pour elle, la France a indéniablement progressé sur : les manuels de procédure des services chargés des contrôles, le dispositif définissant le niveau de risque d’infractions aux règles selon les ports et les navires, le renforcement de la compétence des inspecteurs nationaux. Elle a modifié sa législation début 2006 et mis en place un système efficace de sanctions contre les contrevenants.

Trois questions à Mireille Thom, porte-parole de la Commission européenne pour la pêche

Mireille Thom explique comment entre mars et octobre 2006, la Commission a enquêté sur les filets de pêche.

Le 23 novembre dernier, la Commission a décidé que la France avait rempli ses obligations. Comment l’a-t-elle vérifié ?



Les Etats membres sont responsables de la mise en œuvre des directives… Pour le vérifier, nous disposons de ce que l’on appelle le “Petit inspectorat”. Il comptait environ 25 inspecteurs avant l’élargissement, peut être un peu plus aujourd’hui. Accompagnés d’inspecteurs nationaux, nos inspecteurs se déplacent sur le terrain, en mer et à la rencontre des pêcheurs. Ils peuvent soit annoncer leur arrivée, soit venir à l’improviste. Par ailleurs, l’envoi par les Etats membres de documents, sur l’évolution des contrôles, les modifications législatives, etc., permet de suivre l’application des mesures communautaires. Ces différentes informations servent de base à nos analyses.



La décision de la Commission quant à la levée de l’astreinte devait intervenir le 12 octobre dernier. Elle a été plusieurs fois reportée... Pourquoi ?



La rentrée a été relativement chargée. C’est pourquoi la Commission vient juste de se prononcer. Pas de doute donc sur la situation de la France. Elle aurait pu, comme il arrive parfois, demander un petit délai. Mais cela n’a pas été le cas.



La France n’est pas le seul pays à connaître des problèmes dans l’application de la réglementation européenne. Dans le domaine de la pêche, l’Espagne accuse aussi un certain retard. Pourquoi est-elle la première à être sanctionnée aussi durement?



La Communauté européenne est une communauté de droit. Et le droit ne peut être enfreint impunément. La situation de la France est un cas particulier. C’est un cas grave. Le premier arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) date de 1991. Depuis, la France a ignoré les différents avis de la Commission. Ayant épuisé les recours habituels, la Commission a donc décidé d’appliquer l’article 228, introduit par le traité de Maastricht : saisir une seconde fois la CJCE et faire condamner l’Etat récalcitrant à une amende forfaitaire et/ou une astreinte. La CJCE a décidé d’une condamnation plus lourde. L’Espagne, en matière de pêche, n’a pas atteint le stade de la France, pour le moment elle ne risque donc aucune sanction. Mais si les Etats membres ne respectent pas les mesures communautaires, ils savent désormais qu’ils s’exposent à une astreinte.

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