Contrairement aux souhaits français, les questions des frontières et de la place de la Turquie ne figurent plus clairement dans le mandat du Groupe de réflexion.
Nicolas Sarkozy avait posé comme condition à la poursuite des pourparlers avec la Turquie la création d’un Comité des sages, destiné à discuter de l’avenir de l’Union européenne à l’horizon 2020-2030, et notamment des frontières de l’Europe. Devenu «Groupe de réflexion indépendant», l’organe a effectivement été créé lors du Conseil européen du 14 décembre. Une création qui a permis d’ouvrir, le 19 décembre, deux nouveaux chapitres des négociations d’adhésion de la Turquie sur «la santé et la protection des consommateurs» et «les réseaux transeuropéens de transport».
Mais son mandat, qui a fait l’objet d’âpres débats entre Etats membres, a été considérablement modifié. Ceux qui, comme la Grande-Bretagne et les pays scandinaves, sont favorables à l’entrée de la Turquie dans l’Union, ont accueilli avec méfiance l’idée du président français : selon eux elle est destinée à bloquer ou à ralentir les négociations d’adhésion. Ils ont fait pression pour réduire le champ de réflexion du groupe d’experts. Celui-ci ne travaillera finalement pas sur les questions institutionnelles et financières mais sur le développement durable, la sécurité internationale, le modèle social européen et la lutte contre le réchauffement climatique. Son président, Felipe Gonzalez, et ses deux vice-présidents, Vaira Vike-Freiberga et Jorma Ollila, nommeront ses membres en mars prochain. Les conclusions du groupe seront rendues en juin 2010.
Des sons de cloches dissonants
Les sages examineront «la meilleure manière d’œuvrer pour la stabilité et la prospérité aussi bien de l’Union que de la région qui l’entoure» (Conclusions du Conseil européen du 14 décembre 2007).
Si la question des frontières n’est pas clairement mentionnée, le mandat reste suffisamment flou pour ne pas l’exclure complètement, comme le souligne Marine de Carné, porte-parole de la Représentation permanente française à Bruxelles : «Le travail du groupe portera sur les finalités de l’Union européenne; le débat sur les frontières sera forcément inclu», explique-t-elle. Même son de cloche chez Angela Merkel : la chancelière allemande considère que «la politique de voisinage fait naturellement partie du mandat». Gordon Brown s’est au contraire félicité de l’absence des questions sur l’élargissement dans le mandat du groupe. Des interprétations pour le moins divergentes.
Bataille sémantique
Pour le moment, sur les 35 chapitres que comptent les négociations d’adhésion, quatre ont été ouverts -«entreprise et industrie», «statistiques», «contrôle financier» et «science et recherche». Un seul a été bouclé -«science et recherche»- depuis l’officialisation de la candidature turque, en octobre 2005. En décembre 2006, Bruxelles a suspendu huit autres chapitres en raison du refus d’Ankara d’ouvrir à Chypre ses ports maritimes et aériens : «libre circulation des marchandises», «droit d’établissement et libre prestation de services», «services financiers», «agriculture et développement rural», «pêche», «politique des transports», «union douanière» et «relations extérieures». Enfin, la France s’oppose à l’ouverture des cinq autres chapitres impliquant directement l’adhésion de la Turquie, comme la politique économique et monétaire, le budget ou les institutions.
«La position de la France n’a pas changé, affirme Marine de Carné. Nous pensons toujours que la Turquie n’a pas sa place en Europe». Cette position explique la bataille sémantique à laquelle s’est livrée la France et à laquelle les 27 ont cédé pour ne pas voir l’ouverture des nouveaux chapitres reportée à 2008. Ainsi, les prochaines sessions de négociation ne seront plus désignées par l’appellation usuelle «conférences d’adhésion», mais par celle, moins explicite, de «conférences intergouvernementales». Cette guerre des mots a provoqué le courroux d’Ankara . Dans un communiqué, le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères a exprimé son «sérieux mécontentement» et a déploré, sans nommer la France, «la position d’un pays membre qui ne fait pas preuve de compréhension».
Dave Kouliche à Strasbourg
Pas d'emphase sur les relations entre l'Union et l'Afrique. A l'aube de 2008, rien ne va plus. Le blocage majeur concerne les accords de partenariat économique.
Le commissaire européen au développement Louis Michel l'a admis le 17 décembre : le sommet Europe-Afrique de Lisbonne n’a pas permis d’avancer sur les accords de coopérations économiques. L’Union européenne n’arrive pas à convaincre les pays africains, signataires de l'accords de Cotonou, d’accepter un nouveau pacte économique. La première phase de cet accord, qui organise l’Afrique en quatre zones économiques (voir carte) pour négocier plus facilement avec l’Europe, arrive à terme. Les 27 estiment que les tarifs préférentiels accordés aux importations africaines ne correspondent plus aux règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Les pays africains sont divisés sur les nouvelles négociations commerciales au sein même de chaque zone.
Dès le 1° janvier , l’Union peut en effet être mise en accusation devant l'OMC pour discrimination positive en faveur de ses anciennes colonies. La Commission propose donc de libéraliser progressivement les échanges, afin d’intégrer l’Afrique dans la mondialisation.
Les pays en question sont loin d'accepter ce régime, qu'ils jugent moins favorable que les accords de Cotonou ne le promettaient et aucune des quatre régions africaines n’a signé ces nouveaux contrats. Les Etats africains sont inquiets pour leurs produits agricoles qui ne pourraient bientôt plus concurrencer les produits européens subventionnés. Ils craignent, en abaissant leurs taxes douanieres, de perdre l'essentiel des ressources qui alimentent leur budget.
Des pays africains divisés
Faute de consensus, la Commission a choisi de négocier avec les pays africains un par un. Les PMA (Pays les moins avancés) ne sont pas concernés. Ils pourront quoi qu'il arrive exporter vers l'Europe sans droit de douane ni quota dans le cadre du régime «tout sauf les armes». En revanche, les Etats à revenus intermédiaires, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, devront acquitter des droits de douane supplémentaires dès 2008, à moins de se mettre en conformité avec les règles de l'OMC qui s'appliquent à tous leurs homologues.
Cette mise en demeure vient de pousser ces deux pays à négocier des accords provisoires avec l’Union en urgence, afin de préserver leurs facilités d’exportation.
A ce jour à peine une dizaine de pays (étoiles sur la carte) sur les 52 membres de l’Union africaine ont signé un accord intérimaire de partenariat économique.
Tandis que les relations euro-africaines se tendent, la Chine pénètre à grande vitesse les marchés africains dont elle vise sans se cacher les matières premières.
Une situation qui explique la discrétion de Paris sur les nouvelles ambitions de l'Eurafrique.
Catherine Roussin
Le projet français avance et se précise malgré les levées de bouclier. Revue de détails
La petite équipe vient à peine de poser ses cartons au ministère des Affaires étrangères. Sa mission : porter le projet d’Union de la Méditerranée (UM). A leur tête, Alain Leroy, ambassadeur de France fraîchement débarqué de Madagascar et qui vient de terminer une première tournée diplomatique des capitales de la Mare Nostrum. Il lui faut «vendre, défendre et construire le projet», résume sa collaboratrice et porte-parole, Laurène Gimenez. Ils rendent aussi des comptes à l’Élysée. Plus particulièrement au conseiller spécial du Président, Henri Guaino, le penseur du projet. L’équipe s’apprête à publier les principes de base de la future organisation internationale et à les diffuser auprès des chancelleries.
A l’origine de l’Union de la Méditerranée, un constat de l’Élysée : alors que les Etats-Unis réalisent 20% de leurs investissements au sein de l’Alena (Association de libre-échange nord-américaine) et le Japon 25% dans l’Asean (Association des nations de l’Asie du sud-est), l’Europe manque de passerelles économiques vers son sud (l’Afrique du Nord) où elle ne réalise que 2% de ses investissements extérieurs. D’où l’idée de créer une banque d’investissement et une agence des PME de la Méditerranée.
Même si, officiellement, le projet ne vise pas à gérer les migrations du sud vers le nord, une telle organisation économique pourrait, comme les maquiladoras (entreprises américaines implantées au Mexique), favoriser les investissements au sud pour contenir l’immigration. Selon une étude du Bureau international du travail (BIT), il faudrait créer 40 millions d’emplois au sud de la Méditerranée d’ici vingt ans pour maintenir un taux de chômage stable.
Vingt-cinq membres
«Tous les pays du pourtour méditerranéen ont vocation à intégrer l’Union», explique Laurène Gimenez. Et la porte-parole d’ajouter qu’Israël et la Turquie seront présents en juillet prochain à Paris, lors du sommet fondateur de l’UM. Aux 22 pays ayant une façade maritime méditerranéenne, s’ajoutent trois pays qui participent déjà à des projets de type Euromed (1) ou « 5+5 » (2) : la Mauritanie, le Portugal et la Jordanie.
« Un secrétariat de projets » à géométrie variable
Mais tous les pays du pourtour n’ont pas vocation à travailler ensemble. «Il est peu probable que la Libye et Israël travaillent sur un même projet», explique Laurène Gimenez. C’est, dit-elle, une différence majeure avec Euromed où tous les membres doivent participer à l’ensemble des projets. Les inventeurs de l’UM la voient davantage en «secrétariat de projets», avec des réunions informelles de type G8 et des coopérations renforcées sur des projets qui se veulent concrets : mise en place d’un fonds carbone, implantation d’énergie solaire au sud, organisation d’une coopération entre les ports, mutualisation des universités et des centres de recherche.
Union de la Méditerranée et Union européenne
Mais ce projet froisse l’Allemagne. « Si, à côté de l’UE, les Etats riverains de la Méditerranée devaient constituer une deuxième Union, cela risquerait de constituer une épreuve difficile pour l’Europe », déclarait la chancelière Angela Merkel le 7 décembre 2007 lors du sommet franco-allemand. « L’Allemagne a pris la main en Europe sous l’ère chiraquienne, maintenant elle s’inquiète de voir la France revenir en force », rétorque-t-on au Quai d’Orsay.
L'ouverture aux pays du Nord
Reste que Nicolas Sarkozy a dû accepter d'ouvrir son Union méditerranéenne aux pays du Nord : tout membre de l’UE pourra intégrer l’UM s’il le souhaite. La Commission, elle, sera de droit le 26e membre. Une décision très intéressée pour certains : il sera ainsi plus facile de demander des financements à Bruxelles. Laurène Gimenez s’en défend : « Le financement va essentiellement reposer sur des fonds privés et sur des institutions internationales». Au quai d’Orsay où ce projet à figuré pour un temps dans les priorités de la présidence française de l’UE, on ne parle plus que d’une coïncidence de calendrier.
(1) Le partenariat Euromed ou processus de Barcelone a été mis en place en 1995 à l’initiative de l’UE et de dix pays du sud de la Méditerrannée (Algérie, Autorité Palestinienne, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie). Ses objectifs sont aussi bien politiques - normalisation des rapports israélo-palestiniens-, qu’économiques - création d’une zone euro-méditerranéenne de libre-échange d’ici 2010.
(2) Le dialogue « 5+5 » est une coopération politique entre 10 pays de la Méditerranée occidentale (Espagne,France, Italie, Malte, Portugal/Algérie, Lybie, Mauritanie, Maroc, Tunisie- soit les cinq membres de l'Union du Maghreb arabe) qui ambitionnent de consolider Euromed.
(3) Au total, 22 pays du pourtour méditerranéen plus le Portugal, la Mauritanie et la Jordanie sont pressentis pour faire partie du club. La Commission européenne est invitée, comme tout pays membre de l'Union . L'Allemagne s'est déclarée "intéressée".
Matthieu Poissonnet
à Paris
Nicolas Sarkozy a déclaré le 24 août 2007 lors de la conférence des ambassadeurs que «les réformes engagées en 2005 dans le système des Nations Unies vont dans le bon sens. Ce qui a manqué jusqu’à présent, c’est la volonté politique de les mener à terme.» Et il laisse entendre que les pays émergents auront plus de pouvoir au sein des organisations internationales s'ils acceptent de se conduire comme des pays démocratiques. Un double discours selon Philippe Moreau-Defarges, chercheur spécialisé dans les questions européennes à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Nicolas Sarkozy a expliqué qu’il souhaitait l’élargissement du Conseil de Sécurité de l’ONU pour les membres permanents et pour les membres non-permanents. Les nouveaux membres permanents devraient être l’Allemagne, le Japon, l’Inde et le Brésil. Qu’en pensez-vous ?
Son discours, c’est du vent. Il y a trop de pays occidentaux au Conseil de Sécurité : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France face à la Russie et à la Chine. Pour équilibrer les rapports entre les pays du monde, la France pourrait proposer d’abandonner son siège de membre permanent. Ce qui n’est pas le cas. Donner plus de place aux pays émergents, cela implique que la France accepte de perdre un peu de pouvoir au sein des institutions internationales. Il est clair que Nicolas Sarkozy ne le veut pas.
Quels changements sont envisageables à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ?
Les 27 pays de l’Union disposent d’une voix chacun tandis que la communauté économique européenne a un rôle d’observateur. Comme l’Union a des règles communes pour le commerce international, les 27 Etats membres devraient être rassemblés sous la seule voix de l’Union. Là non plus, la France n’est pas du tout prête à abandonner son siège.
Et en ce qui concerne le Fonds monétaire international (FMI) ?
Le FMI comprend 185 pays membres, chacun a un vote proportionnel à sa participation financière au sein de l’organisation. Il y a deux problèmes majeurs. Premièrement, la Chine est très défavorisée par rapport aux pays occidentaux. Deuxièmement, la zone euro n’est pas membre du FMI, ce qui pose un vrai problème pour négocier. Là aussi, la France ne veut pas céder sa quote-part au profit de la zone euro.
Propos recueillis par Catherine Roussin
Le projet de réforme de la Convention européenne des Droits de l’homme, le Protocole n°14, a été rédigé comme un premier pas indispensable pour résoudre les difficultés de la Cour européenne des droits de l’homme. Grâce à ce texte, «la productivité de la Cour devrait augmenter de 25%», estime Patrick Titiun, le directeur de cabinet du président Jean-Paul Costa. Explication des principales mesures.
Filtrage des requêtes
90% des affaires traitées sont déclarées irrecevables. Pour accelérer leur filtrage, un juge unique pourra rejeter un dossier manifestement dénué de fondement. Le travail de ce juge sera préparé par des équipes de rapporteurs non judiciaires, dont certaines sont déjà en activité depuis deux ans. Des comités de trois juges pourront aussi rendre des arrêts sur les affaires répétitives.
Exécution des arrêts
Quand un Etat refusera d’appliquer un arrêt (cf arrêt Ilascu), le Comité des ministres du Conseil de l’Europe pourra saisir la Grande Chambre de la Cour pour effectuer «une pression politique supplémentaire».
Allongement du mandat des juges
Les 47 juges, élus par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), voient leur mandat passer de 6 à 9 ans mais celui-ci ne sera pas renouvelables, un moyen de préserver leur indépendance.
Ouverture vers l'UE
La porte sera ouverte à une adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, possibilité prévue, côté européen, par le Traité de Lisbonne. Conséquence : un citoyen pourra déposer une requête contre une décision de l’UE.
Pierre Demoux
C’est l’un des arrêts les plus célèbres et les plus contestés de la Cour européenne des droits de l’homme. L’arrêt Ilascu, du nom d’Ilie Ilascu, un dirigeant politique moldavo-roumain qui militait pour l’unification de la Moldavie avec la Roumanie après l’effondrement de l’URSS, a été prononcé en juillet 2004 mais n’a jamais été appliqué par la Russie, l’un des deux Etats mis en cause.
L’affaire
En 1992, Ilascu et trois de ses compagnons sont arrêtés par des soldats russes en Transnistrie, une région séparatiste de Moldavie soutenue par la Russie et alors en pleine guerre civile. Accusés, entre autres, d’activités anti-soviétiques et d’assassinats, ils sont livrés à un tribunal uniquement reconnu par les dirigeants transnistriens. Ilascu est condamné à mort et ses camarades à des peines de prison.
L’arrêt de la Cour
Saisie en 1999, la Cour européenne des Droits de l’homme condamne la Moldavie pour n’avoir pas tenté de faire libérer les quatre hommes car la Transnistrie se trouve, en théorie, sous son autorité. Mais elle condamne aussi la Russie, estimant qu’elle exerçait «une influence décisive» en Transnistrie et «une politique de soutien et de collaboration avec le régime» : «Dès lors, les requérants relèvent de la juridiction de la Russie et la responsabilité de celle-ci est engagée». En clair, la Transnitrie n’étant pas un Etat reconnu, la Cour a condamné la Russie pour son influence auprès du régime transnistrien.
La polémique
Ce verdict a suscité des réserves, même parmi les juges de la Cour, sur la question de la juridiction russe. Si la Russie a participé activement à l’indépendance de fait de la Transnistrie, il est difficile de dire si, à l’énoncé de l’arrêt, ses dirigeants étaient toujours téléguidés par Moscou. Le Kremlin a refusé de faire libérer le «groupe Ilascu», considérant qu’il s’agissait d’un arrêt politique plus que juridique. Malgré une pression régulière, le Conseil de l’Europe n’a jamais pu l’obliger à agir.
Vers une nouvelle affaire Ilascu
Aujourd’hui, les quatre hommes ont été libérés après avoir effectué leurs peines -la condamnation à mort d’Ilie Ilascu avait été commuée en peine de prison- mais ils ont déposé une nouvelle requête pour non-exécution de l’arrêt. La Cour devra trouver une porte de sortie pour conserver la crédibilité du système. En théorie, la Russie pourrait être suspendue, voire exclue du Conseil de l’Europe. Une hypothèse peu probable.
Pierre Demoux
Depuis 2004, l'Union dispose de la majorité au Conseil de l'Europe. L'élection du prochain président de l'assemblée parlementaire va tester la solidarité des 27 face à la Russie.
Le 21 janvier, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) élira son prochain président. Un scrutin décisif pour l'avenir du Conseil de l’Europe puisque le favori désigné est un parlementaire russe. A 43 ans, le sénateur Mikhaïl Margelov est un proche de Vladimir Poutine, avec qui, selon plusieurs voix au sein du Conseil de l’Europe, il partage un passé commun au sein des services secrets. Mais si sa candidature pose problème, c'est moins pour sa personnalité qu'à cause de sa nationalité : la Russie est contestée pour son rapport ambigu à la démocratie et bloque depuis un an une réforme salutaire de la Cour européenne des Droits de l’homme.
Chaque jour, la Cour basée à Strasbourg reçoit des dizaines de lettres, fax et e-mails réclamant une audience. En l’espace de quelques années, les demandes ont explosé : 103 950 requêtes étaient en attente de jugement au 1er décembre 2007. Submergée, l’institution est victime de son succès et de l’adhésion au Conseil de l’Europe (1), dans les années 1990, des anciens pays de l’Est, principaux «fournisseurs» d’atteintes aux Droits de l’homme : à eux seuls, la Russie (23,5%), la Roumanie (11,9%), l’Ukraine (8,4%) et la Pologne (5,7%) représentent la moitié de l’activité de la Cour. Pour éviter que le système ne sombre complètement, la Cour et Conseil de l’Europe -le «tuteur» de la Cour- ont planché sur une refonte des mécanismes. La réflexion a donné naissance, en 2004, à un projet de réforme, le Protocole n°14 (voir ci-dessous). «Il ne résoudra pas tout mais c’est un premier pas indispensable», estime Florence Benoît-Rohmer, présidente de l’Université Robert-Schuman à Strasbourg et responsable de la web-revue «L’Europe des liberté». «Aujourd’hui, la Cour survit. Sans réforme, elle risque de mourir».
Au point mort
En mai 2004, le Protocole 14 a été ouvert à la ratification de chacun des parlements qui composent le Conseil de l’Europe. Tous les Etats l’ont approuvé sauf la Douma, qui a repoussé le texte en décembre 2006, estimant qu’il «ne correspond pas aux principes fondamentaux de la Convention européenne des Droits de l’homme». En réalité, ce refus est apparu comme un moyen de paralyser une Cour accusée par Vladimir Poutine de mener une action politique contre la Russie. Une critique qui revient régulièrement dans les affaires liées à la Tchétchénie et à l’évocation de l’arrêt Ilascu, prononcé en juillet 2004 (voir ci-dessous) mais que la Russie a refusé d’appliquer. Aujourd’hui, malgré des appels réguliers lancés à la Russie par les institutions et les diplomates, l’avenir du Protocole 14 à Moscou est toujours au point mort.
C’est dans ce contexte qu’interviendra l’élection du prochain président de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Un accord entre les partis sur une présidence tournante promet le siège au Groupe des démocrates européens (GDE). Or, le président du GDE et probable candidat à l’élection (2) est donc Mikhail Margelov, le numéro deux de la délégation russe. Soutenue haut et fort par l’actuel président, le Néerlandais René Van der Linden (PPE-DC), la candidature de ce sénateur du parti Russie Unie fait tousser. «La Russie n’a pas appliqué un seul des engagements pris lors de son adhésion au Conseil de l’Europe et en retour, celui-ci est prêt à lui offrir la présidence de l’APCE», critique l’eurodéputé lituanien Vytautas Landsbergis (3), signe que la question parcourt les institutions européennes.
«Si Margelov est élu, il y aura des problèmes. S’il ne l’est pas, ce sera pire»
Margelov possède plusieurs atouts : «Il est polyglotte, assez ouvert et il a une certaine influence au Kremlin», note un observateur russe. Il pourrait ainsi pousser à la ratification du Protocole 14 et favoriser une ouverture démocratique dans son pays. Mais il est russe. Et pour certains, son élection ôterait tout crédit au Conseil de l’Europe. Reste à trouver un candidat assez consensuel pour casser l’équilibre politique de l’assemblée. Le nom du député suisse Dick Marty (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe), auteur du rapport remarqué sur les activités illégales de la CIA, revient régulièrement, mais il n’a, pour le moment, ni confirmé, ni démenti la rumeur. «S’il se présente, Margelov sera élu car l’accord entre les partis sera majoritairement respecté», parie Bruno Gain, Représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe.
Avec 27 délégations -sur 47-, les membres de l’Union européenne auraient pourtant les moyens de le contrer. Seulement, à l’instar du Parlement européen, l’APCE fonctionne sur une dynamique de groupes politiques. Difficile d’édicter une position commune alors qu’au sein même de chaque parti, la question divise. «Si on va au clash avec la Russie, on risque de se retrouver avec une Union européenne bis sans grand intérêt», avance le député français Armand Jung (Groupe socialiste), dont le choix n’est pas encore fait. Car la Russie appartient au groupe des principaux contributeurs au budget de l’institution. Elle est un partenaire indispensable pour l’UE. Le secrétaire d’un parti résume la situation en une formule : «Si Margelov est élu, il y aura des problèmes. Mais s’il ne l’est pas, ce sera pire». Une hypothèse du moindre mal pourrait voir le jour : élire Margelov en janvier et s’il déçoit, ne pas renouveler son mandat pour les deux années suivantes, comme le voudrait l’usage.
Le Conseil de l’Europe regroupe les 47 Etats signataires de la Convention européenne des Droits de l’homme.
(2) Il n’a pas encore déposé sa candidature officielle. Jusqu’à 48 heures avant le vote, un candidat peut se présenter avec l’appui de 10 parlementaires.
(3) The Baltic Times, le 3 décembre 2007.
Pierre-Julien Demoux
à Strasbourg
Les think tanks s'y intéressent
EUR-IFRI - fondé en 2005, basé à Bruxelles. C’est une branche de l’Institut français des relations internationales (Paris). Ce bureau accorde une place importante dans ses travaux à la politique extérieure de l’UE. Tous les mardis, il organise à son siège un débat sur une question à l’agenda de l’Union. Par exemple, dans les semaines à venir, l'un des sujets sera «L’élargissement de l’espace Schengen».
EPC – EUROPEAN POLICY CENTER - fondé en 1996, basé à Bruxelles. Il est dédié principalement à trois domaines : intégration européenne, politiques économiques et l’Europe dans le monde. Il produit des recommandations pour les institutions européennes afin de rendre les politiques plus efficaces.
FRIDE - Fundación para las relaciones internacionales y el diálogo exterior - fondé en 1999, basé à Madrid. Son travail se concentre surtout autour des thématiques suivantes : paix, sécurité, droits de l’homme, promotion de la démocratie, aide humanitaire. Fride, en accord avec avec la Fondation Ortega et Gasset, a créé le centre international pour la paix à Toledo, qui a comme objectif de contribuer à la prévention et à la résolution des conflits dans le monde.
EUROPEAN COUNCIL ON FOREIGN RELATIONS - fondé en octobre 2007, il dispose de 7 antennes à travers l’UE : Paris, Londres, Berlin, Madrid, Rome, Varsovie et Sofia. Promeut une politique étrangère plus intégrée pour l’Europe. Ce groupe a été fondé par un conseil d’anciens et actuels ministres et parlementaires, académiciens, chefs d’entreprises et journalistes. Il est soutenu par la fondation Soros.
Feuille de route 2008
21 JANVIER : élection du président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
23 au 27 JANVIER : réunion annuelle du forum économique mondial à Davos, en Suisse.
28 et 29 MARS : réunion informelle des ministres des Affaires étrangères sous la présidence slovène.
12 et 13 AVRIL : réunion du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale à Washington, aux Etats-Unis.
JUIN : premier sommet de l'Union de la Méditérranéenne.
3 et 4 JUILLET : conférence ministérielle Euromed sur le commerce à Marseille.
7, 8 et 9 JUILLET : G8 au Lac Toya à Hokkaido, au Japon.
5 et 6 SEPTEMBRE : Gymnich en Avignon.
3 et 4 NOVEMBRE : conférence des ministres des Affaires étrangères du partenariat euroméditerranée.
20, 21 et 22 NOVEMBRE : Journées européennes du Développement à Strasbourg.
DECEMBRE : nomination du Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité.
A partir de 2009
1er JANVIER : entrée en vigueur prévue du Traité de Lisbonne et prise de fonction du Haut représentant de l’Union et de son service européen pour l’action extérieure.
Parler d'une seule voix sur la scène internationale. C'est l'objectif majeur en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Pour y parvenir, trois grandes mesures sont prévues par le traité.
Un visage
Un Haut représentant conduira la diplomatie de l'Union européenne dès l'entrée en vigueur du traité (article 18 TUE). Ce ministre des affaires étrangères sans le nom naîtra de la fusion entre le poste de Commissaire aux Relations extérieures de Benita Ferrero-Waldner et celui de l'actuel Haut représentant pour la PESC, occupé par Javier Solana.
Nommé à la majorité qualifiée par le Conseil européen avec l'accord du président de la Commission et l'approbation du Parlement, il représentera l'UE à l'éxtérieur. Il sera à la fois vice-président de la Commission et président du Conseil des Affaires étrangères -qui regroupe les ministres des Affaires étrangères : en clair, il participera à l'élaboration de la PESC, notamment en matière de budget, tout en étant chargé de son exécution. Cependant, son action restera soumise à la règle de l'unanimité pour les principales décisions de politique étrangères.
Un service
Un service européen pour l'action extérieure (SEAE) réunira la plupart des moyens humains et budgétaires aujourd'hui répartis entre la Commission et le Conseil, et sur l'usage desquels le Parlement exerce des pouvoirs différenciés. Des diplomates des Etats membres, dont la proportion n'est pas précisée, viendront le renforcer, à Bruxelles et dans les délégations de l'Union à l'étranger. Ce SEAE sera en quelque sorte le «ministère» du Haut représentant même si, pour le moment, on ignore comment il fonctionnera concrètement (article 27, paragraphe 3 TUE).
Une personnalité juridique
L'UE sera dotée d'une personnalité juridique, ce qui lui permettra d'être membre d'une organisation internationale et de signer des conventions internationales (article 37 et 47 TUE et article 216 TFUE).
Pierre-Julien Demoux