C'est la règle, la France assumera le financement des activités liées à sa présidence. 190 millions d’euros ventilés dans le détail. Et des comptes à rendre.
«Ça y est, c’est terminé.» Soulagée, Irina Boulin Ghica. L’auteur du budget de la présidence française en a fini, fin novembre, avec la répartition des 190 millions d’euros alloués par le gouvernement pour financer la présidence.
Elle n’a eu qu’un mois pour ventiler ce pactole entre les postes de dépenses. Il servira à financer les sommets, conférences, rencontres interministérielles, mais aussi les fêtes publiques (voir infographie ci-dessous). Sans parler de l'accueil des chefs d'Etat et de gouvernement, des ministres et de leurs cabinets, des traducteurs, conseillers, techniciens, et journalistes à transporter, loger et nourrir. Lors du sommet européen de Lisbonne de novembre dernier politiques et journalistes représentaient environ 3000 personnes!
Des paramètres qu’Irina Boulin Ghica devait garder en tête lorsqu’elle composait le budget dans l'urgence. Le 20 juin, elle appelle son supérieur direct, Claude Blanchemaison, secrétaire général fraîchement nommé. Mais auprès de lui, aucun bureau n’est disponible. Du coup, difficile d’accéder aux informations, d’autant plus qu’on est en plein été... et qu’elle prépare un budget pour la première fois.
Elle parvient cependant à glâner quelques conseils auprès de la direction financière du Quai d’Orsay. Et rend sa copie dès le 2 août. Mais le 3 septembre, c’est le blocage. Le projet, validé par Matignon et Bercy, est recalé par l’Elysée à quelques jours de l’envoi sous presse des documents.
C'est que la prudence est de mise. Car il y a sept ans, la Cour des comptes a épinglé les comptes de la présidence française, lui reprochant de ne pas avoir centralisé la gestion des dépenses. A l’époque, les dépenses avaient été affectées aux ministères. Seules celles relevant du Quai d’Orsay avaient figuré dans les rapports d'exécution. Cette fois-ci , le secrétariat général centralise tout.
Vingt versions en deux jours
En quarante-huit heures, Irina Boulin Ghica assure avoir dû refaire une vingtaine de versions de son budget. Le 5 septembre: feu vert! et le début une autre étape. Bercy, Beauvau, la chancellerie... tous les ministères sont auditionnés un par un. «Chacun est venu nous présenter ses manifestations, ses conseils informels.» Plus de 150 réunions qui vont du dîner du 14-Juillet organisé à l’Élysée avec les chefs d’État et de gouvernement à la conférence des filières ovines, en passant par des états généraux du plurilinguisme, un colloque sur la biodiversité ou une conférence ministérielle sur les Droits de l’homme.
Chaque audition permet d’affiner le budget, et d’attribuer à chacun une somme rattachée à des événements déterminés. Pas question d’ouvrir un guichet dans lequel chaque ministre pourrait venir piocher au gré de ses projets.
Examen parlementaire
En parallèle, il faut répondre aux questions des parlementaires. Car les critiques fusent. En commission, les sénateurs reprochent au budget d’être trop flou, et trois fois supérieur à celui de la présidence de 2000. «C'est comparer l'incomparable, argumente Irina Boulin-Ghica. Nous sommes passés de 15 à 27 pays, les compétences de l’Union ont augmenté depuis le 11 septembre et enfin il y a eu le passage à l’euro.»
Les parlementaires reprochent également au budget français de dépasser largement celui des autres présidences de l’Union. Irina Boulin Ghica rétorque : «La seule présidence comparable, c’est la présidence allemande. Et eux ont dépensé 180 millions d’euros au niveau fédéral, sans compter les dépenses engagées par chacun des Länder!»
Fin novembre, le défilé des ministères s'achève. «Pour l’instant, c’est bouclé, prévient Irina Boulin-Ghica. Chacun sait ce qu'il peut dépenser. On n’attribue plus d’argent à de nouvelles manifestations. Il y a encore des gens qui viennent nous voir pour organiser des événements. Mais c’est trop tard.» Avant de tempérer : «Des ajustements seront possibles. Exceptionnellement.»
Début décembre, 80% des sommes étaient débloquées. Les 20% restants seront disponibles en avril. En signant sa convention, chaque ministère s’est engagé à faire un point mensuel avec le secrétaire général sur l’avancée des manifestations.
D'ici là, le premier examen parlementaire a finalement été passé avec succès. Le budget de la présidence française, inclus dans la loi de finances pour 2008, a été adopté le 18 décembre par l’Assemblée nationale.
Loup Besmond, à Paris
Programmation, réservations, ventilation. Sans oublier, surtout, la mobilisation des collectivités territoriales et des composantes de la société civile organisée. Dans la panique quotidienne d'une présidence pas si tranquille. Régisseur en chef: Claude Blanchemaison.
Secrétaire général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, il programme depuis juin toute sa logistique. Un homme occupé.
Il est le régisseur en chef. Claude Blanchemaison est à la tête du secrétariat général pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne (SGPFUE). Nommé en Conseil des ministres le 15 juin, il doit planifier toutes les manifestations qui auront lieu en France pendant six mois. Budget: 190 millions d’euros. Moyens humains: 22 personnes.
A lui la tenue de l’agenda des 4 sommets entre UE et pays tiers, comme de chacun des événements qui se dérouleront sur le territoire national: une vingtaine de réunions informelles entre ministres des 27, mais aussi des dizaines d'agitations culturelles, colloques, et autres assises. A chaque fois, il faut envisager la présence d’un ou plusieurs ministres du gouvernement, et ses conséquences en termes d'intendance. «Chaque ministre veut son conseil informel», explique-t-il. Et chaque village veut son ministre.
Partenariats privés-public
Depuis juin, mails, lettres et coups de fil affluent vers son bureau, en provenance de présidents de région, conseillers généraux, députés ou maires de toutes couleurs. Tous veulent le convaincre d’organiser un petit quelque chose chez eux. Mais le vrai casse-tête, ce sont les sommets. «Là, c’est encore plus compliqué. On doit consulter tous les pays tiers et attendre leur accord avant de valider le planning.»
Son équipe tient les cordons de la bourse. et exerce le monopole d'attribution du label «présidence française» à une quarantaine de manifestations publiques, dont certaines organisées par des ONG ou des grandes entreprises. Elle multiplie donc les rencontres avec les chefs d’entreprise pour les sensibiliser aux prestiges de la présidence... et conclure des partenariats financiers. Areva est prête à participer. Pour Accor en revanche, pas question de mettre gratuitement des chambres à disposition.
«Je ne sais pas comment on va faire»
Début décembre, ils étaient 16 à seconder Claude Blanchemaison. A terme, l’équipe devrait compter 22 personnes. Trop peu, comparé au secrétariat général portugais (1) qui emploie plus de 70 permanents? «Pas du tout, se défend Claude Blanchemaison. Ici, c’est un état-major. Nous, on n’a pas vocation à réserver des chambres d’hôtel et des salles pour les conférences. .» Cette tâche subalterne sera déléguée aux ministères.
Les collaborateurs du SGPFUE ont été répartis sur neuf pôles : questions financières, justice et immigration, société civile, éducation et recherche, collectivités territoriales, écologie et développement durable, culture, questions agricoles et questions sociales. Pendant la présidence, ils seront chargés de coordonner les rendez-vous thématiques. Dans l’idéal, ils devraient être présents partout sur le terrain. Difficile à imaginer lorsque l'on jette un oeil sur la programmation: 150 réunions en six mois à Angers, Avignon, Strasbourg, Paris, Annecy, Cannes, Bordeaux, Nice... ou Kourou. «Les Portugais ont sept coordinateurs mais la majorité des réunions se tenaient à Lisbonne», confesse un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères. «Nous, je ne sais pas comment on va faire.»
Deux immeubles éloignés pour une même équipe
Et puis il y a les navettes quotidiennes entre les deux QG parisiens. L’un se situe rue La Pérouse, près de l’Etoile, l’autre rue de Lille, dans le quartier des ministères. Impossible de trouver 22 bureaux dans le même bâtiment à Paris. «Ça a été très difficile. A un moment, j’ai même failli recourir à des locaux privés, comme si je vendais des savonnettes !»
Le secrétaire général se dit serein. «Je ne suis pas un homme pressé. Tout est question d’organisation», assure-t-il. Avant de vous expédier courtoisement: « Pardon, on est un peu pressé ce matin. Ça sort et ça rentre sans cesse dans ce bureau. Un vrai moulin. » Car c’est l’homme d’un instant.
Le SGPFUE disparaîtra trois ou quatre mois après la fin de la présidence française. Le temps de quelques rapports d’exécution et de régler les dernières factures.
Loup Besmont, à Paris
(1) Le Portugal a exercé la présidence de l’Union européenne de juillet à décembre 2007.
Depuis septembre, Paris et Bruxelles ont affirmé de concert la nécessité de poursuivre la réforme de la Politique agricole commune (PAC) afin de préparer l’après-2013. Le désaccord est en revanche flagrant sur le futur, et la place que pourrait alors y tenir la préférence communautaire.
Le 11 septembre, veille du jour où la Commission devait lancer sa consultation sur le bilan de santé de la PAC, Nicolas Sarkozy appelait à Rennes à "une nouvelle ambition pour l'agriculture en France et en Europe". Il y avançait quatre principes fondamentaux pour une PAC renouvelée: assurer l'indépendance et la sécurité alimentaire de l'Europe, contribuer aux équilibres alimentaires mondiaux, préserver les équilibres des territoires ruraux, participer à la lutte contre les changements climatiques et à l'amélioration de l'environnement.
Il y réclamait notamment un renforcement de la protection communautaire contre "le dumping environnemental, le dumping social, le dumping fiscal, et maintenant le dumping monétaire". Une exigence répétée, depuis, par Michel Barnier , le ministre de l’Agriculture et de la Pêche,.et qui devrait être réaffirmée à l’issue de la deuxième phase des Assises de l’Agriculture, en janvier prochain.
Vigilance à l'OMC
La Commission martèle de son côté qu’elle ne compte pas renforcer la préférence communautaire au sens où l’entendent les Français. Michael Mann, porte-parole de la Commission pour l’agriculture et le développement rural, estime que «l’établissement de barrières protectionnistes, que réclame la France, est contraire aux intérêts des agriculteurs européens, qui pourraient plus difficilement acheter des matières premières et écouler leurs production hors Europe».
Pour Jean-Christophe Legris, délégué adjoint aux affaires agricoles de la représentation permanente de la France à Bruxelles, «la préférence communautaire, qui était à la base de la PAC, est un concept que la Commission a perdu, notamment Peter Mandelson [commissaire au commerce, ndlr], qui ne défend pas assez la souveraineté alimentaire de l’Europe dans les négociations avec l’OMC. La France doit rester vigilante».
En mai 2008, sous présidence slovène, les mesures envisagées par la Commission pour le «bilan de santé» de la PAC, qui préconisent entre autres la suppression des quotas laitiers, donneront lieu aux premières propositions législatives. Elles seront discutées dès le début de la présidence française.
L'ambition est d'aboutir aboutir à une série d'accords politiques sur ces propositions avant la fin décembre.
Roman Bernard, à Bruxelles
La révision à mi-parcours des perspectives financières 2007-2013 sera un des grands enjeux de la Présidence française. Mais elle ne se conclura pas avant 2010.
«Le système de ressources propres de l’Union européenne n’est ni clair ni juste, clame Alain Lamassoure, il encourage les égoïsmes nationaux et son esprit est anti-communautaire». Pour le président de la commission des budgets du Parlement européen «une réforme est nécessaire et urgente». Sylvie Goulard, ancienne conseillère de Romano Prodi à la Commission européenne, abonde dans son sens : «L’Europe en est encore à la préhistoire au niveau budgétaire».
A l’origine basé essentiellement sur les droits de douanes perçus aux frontières extérieures de l’Union, le budget communautaire a dû évoluer et faire de plus en plus appel aux contributions nationales. Aujourd’hui, seulement 15% des recettes sont assurées par les droits de douanes et droits agricoles, le reste des fonds provenant de prélèvements nationaux. D’une part des prélèvements sur le revenu national brut (RNB) à un taux uniforme théorique de 0,73%, et d’autre part, des prélèvements sur la TVA perçue dans les Etats membres. Mais le montant des contributions nationales est constamment l’objet d’âpres négociations. Avec la question sensible du «chèque britannique», rabais obtenu en 1985 par Margaret Thatcher, le système est devenu «très complexe» pour reprendre les mots de Michaël Christophe, adjoint au chef de la cellule de la présidence française de l’Union européenne. «Aujourd’hui, avec ce système, nous avons autour de la table non pas une Madame Thatcher mais vingt-sept» déplore Alain Lamassoure.
En finir avec le «poison du juste retour»
Le réexamen des perspectives financières (2007-2013), qui interviendra au second semestre 2008 sous présidence française, sera l’occasion d’aborder cette délicate question des recettes de l’UE. Si Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il fallait contribuer plus au budget de l’Union, peu d’Etats membres sont au diapason du président français.
Pour Alain Lamassoure, par ailleurs secrétaire national de l’UMP en charge des questions européennes, il faut en premier lieu s’attaquer au mode de financement du budget commun. Et ce, pour deux raisons. Tout d’abord parce que les finances publiques nationales sont en déficit. Aucun gouvernement n’est ainsi prêt à augmenter ses impôts ou son endettement pour financer les politiques communautaires. Ensuite, car le système actuel encourage les calculs égoïstes. Ce que Jacques Le Cacheux, professeur d’économie au Collège des Hautes Etudes Européennes, qualifie de «poison du juste retour». Selon lui, les Etats déterminent leurs contributions au budget en fonction de ce qu’ils peuvent recevoir en retour de l’Union, dans une logique purement comptable.
Pas d’accord global avant 2010
Aujourd’hui, comme l’explique Michaël Christophe, le consensus semble donc acquis autour de la nécessité de réformer le mode de financement du budget européen. Suite à sa consultation publique lancée en septembre, la Commission européenne publiera un rapport en 2008. Côté français, la présidence de l’Union sera l’occasion d’impulser des pistes pour une réforme.
Mais pas question pour Alain Lamassoure de parler d’impôt européen. Il envisage une réforme en deux phases. Dans un premier temps, clarifier le système actuel en revenant à un seul critère d’évaluation des richesses nationales, le PIB, et inviter les Etats à payer la même proportion de leur PIB, sans exception ni rabais. Dans un second temps, il s’agirait de trouver de nouvelles ressources à affecter directement au budget européen et ne transitant pas par les budgets nationaux. Une des options serait de piocher dans des impôts nationaux existants pour transférer tout ou partie de ces impôts au budget européen. Pour le député européen, il pourrait être envisageable de prélever sur les impôts que payent les sociétés. En contrepartie, les contributions nationales disparaîtraient progressivement.
Le débat sera véritablement lancé à partir du mois d’avril lorsque la consultation publique sur le réexamen du budget sera close et que la Commission esquissera ses propositions. Mais le processus de réforme sera long, comme l’explique Alain Lamassoure : «La présidence française devrait être en mesure de lancer le débat politique, mais sur un sujet aussi délicat, il ne faut pas s’attendre à un accord global avant la mise en place du nouveau Parlement et de la nouvelle Commission, donc au plus tôt début 2010, pour une application en 2013».
Fabien Benoit
Les think tanks s'y intéressent
CEPS - son étude «Rethinking the EU Budget: Three Unavoidable Reforms» publiée fin novembre est considérée par beaucoup comme une référence.
CENTER FOR EUROPEAN REFORM - fondé en 1999, basé à Londres. Son programme de travail est orienté vers sept thèmes : l’Euro et les réformes économiques, l’élargissement, la réforme institutionnelle, la politique extérieure et de défense, les relations transatlantiques, l’espace de justice et de sécurité intérieure, et les relations avec la Russie et la Chine.
WILTON PARK - fondé en 1946, siège à West Sussex, Royaume-Uni. Il organise des conférences et des recherches dans les domaines politique, economique, et de securité. Il a été conçu par Winston Churchill il y a 60 ans comme un forum de construction de la démocratie et de réconciliation.
Feuille de route 2008
JANVIER : Position de la France sur le bilan de santé de la Politique agricole commune (PAC)
8 JANVIER - Bruxelles : L'Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l'Europe organise au sein du Parlement européen un séminaire sur le sujet «Donner à l'Europe les moyens de se développer - le réexamen du budget : réformer ou remodeler ?»
3 et 4 AVRIL - Bruxelles : Conférence universitaire «Les finances publiques dans l'UE.»
5 AVRIL : Clôture de la consultation intitulée «réformer le budget, changer l'Europe», lancée le 12 septembre 2007. Les contributions seront publiées sur le site web dédié
MAI : propositions de la Commission sur la «simplification» de la PAC.
Publication par la Commission d’un rapport sur les différentes options de réforme budgétaire.
3ème TRIMESTRE : révision de la législation existante sur la TVA à taux réduit.
DÉCEMBRE : Accord du Conseil des ministres de l’Agriculture sur la réforme de la PAC.
Propositions de la Commission sur la révision du cadre financier de l’Union.
Les deux innovations majeures sont la disparition de la notion de dépenses obligatoires et la reconnaissance juridique de la pratique de décider à l'avance, et pour au moins cinq ans, d'un cadre financier pour le budget.
Disparition des dépenses sanctuarisées
Le Parlement a désormais le dernier mot sur toutes les dépenses du budget. En faisant disparaître la distinction entre dépenses obligatoires et non obligatoires, l’article 314 (TFUE) balaie le sanctuaire de la politique agricole- près de 40% du budget- où le Conseil se réserve jusqu’ici la décision. Parallèlement, les eurodéputés accèdent aussi à la codécision sur la PAC. C’est donc la fin de 50 ans de résistance française.
Des recettes solidement plafonnées
Autre innovation, l’inscription dans le traité de l’adoption du cadre financier pluriannuel, qui «vise à assurer l’évolution ordonnée des dépenses de l’Union» (article 312 TFUE). Une pratique datant de l’époque Delors, qui fixe à l’avance les montants des plafonds annuels de recettes alloués à chaque rubrique budgétaire. Établies pour une période «d’au moins cinq années», ces perspectives financières sont adoptées à l’unanimité par le Conseil après l’approbation de la majorité des membres du Parlement. Le premier peut aussi décider, à l’unanimité, de faire basculer cet exercice dans la procédure ordinaire de codécision. Une hypothèse fort improbable. Dans les faits, cette négociation sous haute tension implique directement le Conseil européen, où chacun entend tenir fermement les cordons de la bourse.
Roman Bernard
L'Union a décidé de remettre à plat les choix budgétaires qu'elle a arrêtés jusqu'à 2013. De l'argent, pour quels buts communs? Nicolas Sarkozy a ses idées sur les préférences collectives, reste à les faire partager. Alain Lamassoure est un allié clef au Parlement européen.
L’eurodéputé est l'auteur d'un rapport sur la réforme des ressources propres de l'Union adopté par le Parlement européen en vue du réexamen du budget en 2008-2009. Un des dossiers chauds de la présidence.
C’est l’un des artisans du Traité de Lisbonne : l’eurodéputé Alain Lamassoure, 63 ans, était le «Monsieur Europe» du candidat Sarkozy. Pendant la campagne présidentielle, cet ancien ministre des gouvernements Balladur et Juppé, originaire de Gascogne, a mis en musique le projet de traité simplifié du futur chef de l’Etat : «J’ai proposé à nos partenaires allemands, puis aux autres, d’élaborer ce traité, non pas avec un stylo mais avec des ciseaux, en conservant toutes les innovations juridiques qu’apportait le projet constitutionnel par rapport aux traités précédents et en changeant la présentation et le vocabulaire.»
Une mission officieuse qui lui a permis de gommer en partie le souvenir de mai 2005, lorsqu’il avait été «assommé» par la victoire du «non» au référendum sur le Traité constitutionnel. Pendant 18 mois, il avait contribué à son élaboration au sein de la Convention européenne. Alain Lamassoure a ensuite connu une nouvelle désillusion après l’élection de Nicolas Sarkozy. Il n’est pas entré au gouvernement, ni dans une équipe en charge d’assurer le suivi des affaires européennes. «Je l’aurais mieux compris si mon travail avait été mis à la corbeille. Au contraire, le traité simplifié a été validé unanimement. J’aurais au moins apprécié d’être invité à assister à la signature du Traité à Lisbonne… Même cette ambition est apparue démesurée», confie-t-il.
Un débat «sans tabou»
Président de la délégation française du Parti populaire européen et des Démocrates européens (PPE-DE) et secrétaire national de l'UMP en charge des questions européennes, Alain Lamassoure est aussi membre de la commission parlementaire des budgets et de celle, temporaire, chargée des perspectives financières 2007-2013. Or, le réexamen des finances de l’Europe à 27 fait partie des dossiers importants des mois à venir. En 2006, les chefs d’Etat et de gouvernement s’étaient mis d’accord sur une renégociation de ces perspectives en 2008-2009 afin de déterminer les prochaines priorités politiques et les lignes directrices du budget. Le 12 septembre 2007, le président de la Commission José Manuel Barroso a lancé un débat «sans tabou» sur les orientations de dépenses de l’UE en ouvrant une consultation publique qui s’achèvera le 15 avril 2008. Le point le plus délicat de cette révision, à mi-parcours, sera le montant des subsides accordées à la politique agricole commune (PAC) qui représente aujourd’hui 44% du budget de l’UE (55 milliards d’euros). Etape importante : le 20 novembre, la Commission a rendu public son bilan de santé de la PAC.
L’impôt européen n'est pas pour demain
Avant les initiatives de la Commission, Alain Lamassoure avait présenté un rapport sur la réforme des ressources propres, fruit de longues négociations avec les parlements nationaux, adopté par le Parlement européen en mars 2007. Ses conclusions : l’impôt européen n’est pas prêt de voir le jour car la quasi-totalité des Etats membres en rejettent l’idée.
Alain Lamassoure est l’un des rares hommes politiques français à privilégier une carrière européenne plutôt que nationale. «La plupart des grands choix politiques qui conditionnent l’avenir de la France ne se décident plus à Paris mais avec nos partenaires à Bruxelles», avance-t-il. «Trop peu de nos compatriotes en sont conscients.» L’ancien ministre ne sait pas encore s’il se représentera aux élections européennes en 2009. Néanmoins, il ne le cache pas : «Je serais passionné par un mandat de Commissaire…»
Guilhem Martin Saint Léon, à Strasbourg
La France et l’Europe souhaitent mieux réguler et rendre plus transparent le système de titrisation. Cette technique financière née aux Etats-Unis au début des années 1970 permet à une entreprise de transformer des actifs peu liquides (une grosse somme) en valeurs plus facilement cessibles comme des obligations (petites sommes), pour accéder à de nouvelles sources de financement. Les banques, qui réalisent de nombreux prêts aux particuliers (des prêts immobiliers par exemple), font couramment appel à ce type de financement.
Le risque majeur révélé par la crise des subprimes, est que les emprunteurs deviennent insolvables et ne remboursent plus leur emprunt. Du coup, toute la chaîne est menacée d'effondrement.
Risque aggravant: la pratique de la Special purpose company (SPC). En s’interposant entre le cédant et l’investisseur, celle-ci fait écran : les investisseurs (entreprises, banques...) ne vérifient pas l’origine du titre, et se trouvent sans le savoir directement exposés en cas d’insolvabilité des emprunteurs . C'est précisément ce qui 'est produit avec la crise des subprimes.
«Pas prêts de réguler»
Nicolas Sarkozy l’a dit et répété lors d’un discours commun avec la chancelière allemande Angela Merkel en novembre dernier, il faut plus de transparence sur les marchés financiers.
Concrètement? Les dirigeants veulent une règlementation plus soutenue du contrôle de l’origine des titres pour éviter qu’une nouvelle crise des subprimes ne touche les marchés européens. Mais certains financiers et avocats de la titrisation s’étonnent des ambitions du président français.
Le Trésor français travaille en effet en ce moment même à la refonte du cadre législatif de la titrisation. Le Parlement français doit, d’ici juin 2008, voter une loi d’habilitation pour que le gouvernement légifère par ordonnance sur le sujet. Mais la nouvelle loi, selon Alexandre Bordenave, avocat spécialiste de la titrisation chez GIDE, libéraliserait encore plus la titrisation française, déjà régulièrement assouplie depuis vingt ans (lois de 1996, 1998, 2003 et 2004 notamment). «Il a fallu attendre 1996 pour que la loi française officialise l’existence de la titrisation alors qu’elle existait depuis 30 ans. Vous imaginez bien qu’elle n’est pas prête de réguler», conclut-il.
Fanny Lothaire, à Paris
Intervenir, oui, mais comment? Le 14 décembre 2007, les dirigeants européens réunis à Lisbonne ont jugé «indispensable d’exercer une surveillance constante sur les marchés financiers et l’économie, car des incertitudes subsistent». Déjà, le 10 septembre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy réclamaient «plus de transparence des marchés financiers et plus de responsabilité pour les agences de notation et les fonds à effet levier». Même Gordon Brown, premier ministre britannique, et protecteur obligé de la City de Londres, s’est prononcé pour une intervention politique. Mais la question du mode d’intervention reste en suspens, entre les partisans d’un gendarme européen et ceux de l’autorégulation.
Hedge funds et agences de notation montrés du doigt
Confrontés à la tempête qui frappe les marchés financiers depuis l’été 2007, la majeure partie des dirigeants politiques et des analystes ont pointé du doigt la responsabilité des hedge funds (fonds spéculatifs) et des agences de notation dans la crise des «subprimes mortgages» (crédits hypothécaires à haut risque). Une crise qui a poussé la Banque centrale européenne, la banque d’Angleterre et la Réserve fédérale américaine à injecter massivement des liquidités afin de stabiliser le système et garantir un minimum de liquidité dans les tuyaux financiers.
En investissant massivement dans les subprimes américains, des produits risqués et proches de l’implosion, puis en répartissant ces investissements dans d’autres secteurs, les hedge funds ont contribué a propager l’instabilité et l’opacité des marchés. Même si, paradoxalement, leur rôle dans l’équilibre de l’économie mondiale est jugé positif par la plupart des analystes.
De leur côté, les agences de notation, chargées de délivrer des notes aux entreprises (de AAA pour les premiers de la classe à D pour les faillitaires), ne sont pas non plus dans les petits papiers de la chancelière allemande: «Si l’on regarde comment s’est déroulée la crise du crédit immobilier, on a souvent constaté que ce qui était très bien noté se révélait beaucoup plus instable». Manque de sérieux? La critique est plus profonde. Les agences de notation seraient coupables de conflit d’intérêt, étant rémunérées par les mêmes entreprises qu’elles évaluent.
Le code de conduite? «C'est du pipeau!»
Solution avancée par les politiques: la "régulation". Mais quel type de régulation et qui pour la faire appliquer? «Faut-il de nouvelles normes ou un code de bonne conduite pour les hedge funds? Faut-il un code de bonne conduite ou de nouvelles normes pour les agences de notation? Je ne sais pas pour l’instant. Une chose est sûre, le marché n’est pas assez transparent», confesse François Pérol, conseiller spécial du président français, en charge des questions économiques.
«Le code de bonne conduite, c’est du pipeau !», s’exclame la française Pervenche Berès, eurodéputée socialiste et présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, le vrai problème de transparence dans ces segments des marchés financiers vient du fait qu’il n’y a pas de gendarme européen pour faire appliquer les règles.» Un gendarme que réclame le ministre italien de l’économie, Tommaso Padoa-Schioppa, dans une lettre adressée le 26 novembre 2007 à la Commission européenne.
Pour le moment, les marchés sont contrôlés au niveau européen via le CESR, un comité composé de représentants de chaque institution de réglementation nationale, à l’instar de l’Autorité des marchés financiers en France. Une situation qui semble suffire, à quelques améliorations prêt, à l’Allemagne comme à la Grande-Bretagne, partisans d’une régulation indirecte via un meilleur contrôle prudentiel des banques d’investissement et un simple code de bonne conduite.
Antoine Krempf à Paris