Alors que le gouvernement a simplifié l'embauche des réfugiés, des entreprises peinent à recruter. Certains Ukrainiens sont dans la nécessité de trouver du travail, d’autres ne souhaitent pas subir de déclassement social et préfèrent attendre que la situation de leur pays s’améliore.
Lorsqu’on passe la frontière de Sighetu Marmației, par le pont de la Tisza qui relie l’Ukraine et la Roumanie, une ribambelle de peluches orne la balustrade. Les enfants qui ont fui la guerre voisine avec leur famille en ont bien besoin. Une fois la passerelle franchie, de grandes tentes blanches se dressent devant eux. À l'intérieur, des produits de première nécessité et des conseils juridiques sont offerts aux réfugiés. Dès leur arrivée, les Ukrainiens doivent indiquer s'ils veulent rester en Roumanie ou partir. Il leur faut s’enregistrer pour pouvoir bénéficier de la protection temporaire mise en place par les États membres de l’Union européenne.
Au fond d’une des tentes blanches, un tableau passe presque inaperçu. Il porte l’inscription «Jobs for Ukraine». Juste en dessous, une liste avec une vingtaine d’offres d’emploi. À Sighetu Marmației, ville de 40 000 habitants, une dizaine d’entreprises ont ouvert des postes. Le magasin Lidl cherche un ou une vendeuse, niveau d’étude exigé : l’école primaire. L’hôtel Buti, dans le centre-ville, recrute un ou une réceptionniste. Des ouvriers en bâtiments et couturiers sont aussi recherchés. Mais Alexandra Bota, bénévole au poste frontière, l’assure : « Le travail ? Ce n’est pas la première chose à laquelle pensent la plupart des Ukrainiens lorsqu’ils arrivent.»
Ioan, coordinateur de l’association Caritas à Sighetu Marmației donne des cours d’anglais et de roumain pour que les réfugiés s’insèrent professionnellement. Grâce à Ioan, trois réfugiés ont trouvé un travail. © Camille Bluteau
Des associations comme Caritas aident ceux qui veulent trouver un travail. « J’ai accompagné des réfugiés aux entretiens d’embauche. C’était important pour moi d’être là pour les épauler », souligne Ioan, coordinateur de l’association à Sighetu Marmației. Trois des personnes qu’il a aidées ont été embauchées dans un hôtel de la ville. Ioan donne également quelques cours d’anglais et de roumain : « Ça leur permet d’avoir des bases et de s’intégrer plus rapidement. Leur chance d'obtenir un travail est multipliée. »
Plus de 4 000 offres d’emploi dans le pays
Avec un taux de chômage de 6 % et alors que la Roumanie fait face à une pénurie de main-d'œuvre, le gouvernement, tout en aidant les réfugiés, a simplifié les formalités d’embauche pour les Ukrainiens. Le 8 mars 2022, l’État a mis en place une ordonnance d’urgence qui « permet aux employeurs roumains d’embaucher, sans permis de travail, des Ukrainiens entrés légalement en Roumanie », explique Mihaela Nitu, avocate spécialisée en droit du travail à Bucarest.
À l’échelle du pays, plus de 4 000 offres d’emploi sont vacantes et ouvertes aux Ukrainiens, selon l’agence nationale d’intérim, Anofm. Des millions de Roumains étant partis travailler en Europe de l’Ouest, les entreprises espèrent recruter une main-d'œuvre moins exigeante. L’entreprise d’assemblage médical Millennium Utility, située à Sighetu Marmației, cherche des Ukrainiens. Alors que le salaire moyen en Roumanie est de 722 € net, l'entreprise offre 500 € par mois. « Ce salaire n'attire pas les Roumains », concède Florina Cornestan, chargée des ressources humaines qui « espère que les Ukrainiens seront plus intéressés » car le revenu moyen est tout de même trois fois plus élevé qu’en Ukraine. Mais pour l’instant, elle n’a reçu aucune candidature. Même son de cloche à l'hôtel Buti, dans le centre-ville. La gérante, Hajdu Kinga, a mis une annonce dans la grande tente blanche au poste frontière. Sans succès. « Ils ne viennent pas car ils vont travailler en Allemagne, là où les salaires sont plus élevés », peste-t-elle. Depuis le début de la guerre, seulement onze Ukrainiens se sont inscrits à l’agence d’intérim de Sighetu Marmației. « Cette frontière est seulement un point de passage. Les réfugiés passent leur chemin », explique Carmen Petrus, conseillère emploi à Anofm.
Un tableau avec des offres d’emploi pour les Ukrainiens est installé dans une des tentes qui accueillent les réfugiés à la frontière. Dans toute la Roumanie, plus de 4 000 offres sont ouvertes aux Ukrainiens pour combler le manque de main d'œuvre. © Camille Bluteau
Sighetu Marmației n’est pas seulement un sas vers l'Ouest. Certains Ukrainiens hautement qualifiés préfèrent attendre là plutôt que d'exercer un travail sous-qualifié. C’est le cas de Svitlana Spektor, journaliste et mère de deux enfants. « Je n’ai pas cherché du côté de la garde d’enfants ou de l’usine. Pour moi ce serait synonyme de déclassement social car j’ai fait de longues études », soupire-t-elle. Pour l’instant, elle vit de ses économies, d’une collecte de fonds organisée par un bénévole et d’une aide financière de la Croix-Rouge. La journaliste, pour qui il est « impensable de faire un job sous-qualifié », espère trouver des opportunités dans le journalisme. Dès que la situation le permettra, elle souhaite rentrer dans son pays. Et de conclure en anglais : « There is no place like home », tout en sanglotant.
Cluj-Napoca, une ville de transit ou ville-refuge
À 130 kilomètres, Cluj-Napoca est une ville de transit pour les Ukrainiens. Tous les trains venant de la frontière s’y arrêtent. Quand Evhen, 29 ans, est descendu du train en provenance de Iași, il a été accueilli par les bénévoles du centre d’accueil de la gare. La famille de cet informaticien travaillant dans une boîte américaine l’attend en Finlande. « Pas de panique. Je gagne assez pour que toute ma famille se porte bien », rigole-t-il.
Tous n’ont pas le luxe de choisir leur nouveau travail. Après sept ans en tant que comptable à Odessa, Lesia, 31 ans, se sent « très mal depuis [qu’elle est] devenue femme de ménage à Cluj ». « Je gagne deux fois moins par rapport à ce que je gagnais en Ukraine », se lamente-t-elle. Zlata, 43 ans, était technicienne de laboratoire dans le secteur minier en Ukraine. Elle était payée 1,45 € de l’heure. Arrivée à Cluj le 16 mars, elle garde des enfants trois jours par semaine et fait des ménages les deux autres jours. Elle travaille environ quatre heures par jour pour 3 € de l’heure. « En Roumanie, le salaire est un peu plus élevé, mais le coût de la vie aussi. En Ukraine, je payais une coupe de cheveux 4,80 €, ici c’est 22 € », illustre-t-elle. Si Zlata travaille, c’est par nécessité. « J’ai quitté l’Ukraine seulement avec des vêtements d’hiver. Maintenant, mon fils de 18 ans et moi avons besoin de vêtements d’été », confie la mère de famille en espérant un retour rapide dans son pays natal.
Camille Bluteau