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Cela fait presque vingt ans qu'une paisible ville roumaine de 118 000 habitants a été officieusement renommée « Hackerville ». Dans les années 2000, Râmnicu Vâlcea a été la base de lanceurs d'arnaques sur le web. Depuis, la réputation de capitale des pirates du net perdure.

« Est-ce qu'on demanderait à la Sicile pourquoi elle est la région de la mafia ? » ironise Ninel-Eusebiu Veţeleanu, le numéro deux de la commune de Vâlcea, une pointe de lassitude dans la voix. Depuis 2008, l'équipe municipale a vu défiler bon nombre de journalistes nationaux et internationaux, toujours au même sujet : la cybercriminalité locale. Simona Iliescu, de la Direction pour le développement local, insiste : « On est une très jolie municipalité et la presse internationale vient surtout nous voir pour nous parler de cybercriminalité et de hackers, afin d'en écrire des récits très sombres. » 

Deuxième ville la plus propre de Roumanie, voilà un titre qui semble - au premier abord - mieux convenir à Vâlcea : difficile d'imaginer que la petite cité enfoncée dans les montagnes verdoyantes des Carpates serait un haut-lieu du cybercrime. Quelques zones industrielles accueillent les voyageurs en lisière de la ville. Viennent ensuite des barres d'immeubles grisâtres puis un centre-ville ramassé où la mairie, le tribunal et le commissariat central se font face, séparés par du mobilier urbain immaculé et quelques cafés proprets : l'archétype de la ville moyenne.

Pourtant, la réputation cybercriminelle colle tellement à la peau de Vâlcea que l'on peut la situer en saisissant seulement « Hackerville » sur Google Maps. Une appellation qui a aussi permis à la cité d'exister en dehors du département : « Quand je dis que je viens de Râmnicu Vâlcea aux gens que je rencontre, la plupart ne connaissent pas, raconte Bianca, étudiante en langues à Cluj-Napoca. Alors, je leur dis que je viens de Hackerville, et là, ils me répondent toujours "ah oui, bien sûr". » 

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Ninel-Eusebiu Veţeleanu, le numéro deux de la commune de Vâlcea et Simona Iliescu, de la Direction pour le développement local, à la mairie de Râmnicu Vâlcea. © Laure Solé

« Tout le monde a un voisin hacker »

À la racine du mythe, le démantèlement de plusieurs réseaux cybercriminels en 2008. Même le FBI s'est installé pour quelques mois dans la commune pour veiller au grain. Un feuilleton tellement rocambolesque qu'il a inspiré une série télévisée pour la chaîne américaine HBO, sous le même nom de « Hackerville ».

L'âge d'or du cybercrime à Vâlcea a laissé un souvenir vivace dans l'esprit des habitants de la ville. Une image est citée à de nombreuses reprises : on pouvait apercevoir des enfilades de voitures de luxe au pied des appartements miteux. Notamment à Ostroveni, un ancien quartier ouvrier du sud de la ville, toujours l'un des plus pauvres aujourd'hui. 

Pour Daniel, garagiste de 18 ans qui habite le quartier et squatte les halls d'immeubles avec ses amis : « Tout le monde a un voisin hacker. Hackerville est encore Hackerville. On le sait car ils sont riches sans sortir de chez eux. » Chaque habitant vous raconte, après avoir jeté un regard aux alentours, l'histoire d'un voisin un peu trop ermite, un peu trop secret, avec de belles voitures ou des vêtements de marque. 

Pourquoi les jeunes de l'époque se sont-ils passionnés pour les arnaques en ligne ? Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette vocation : chômage, crise du logement, ennui, manque de perspective pour la jeunesse, isolement géographique… « Quand on est sortis du régime communiste, les jeunes générations voulaient à tout prix accéder à la consommation, aux standards de vie de l'Ouest », avance Sorin Nedescu, habitant historique de Vâlcea. Une bonne connexion Internet, un peu d'imagination - souvent l'appui d'un réseau criminel - et à eux le rêve américain. Mieux encore : le rêve, mais financé par des Américains crédules ! 

Le temps des Ferrari est révolu à Hackerville

Sorin Nedescu, en bon ancien, semble connaître tout le monde. Il aime raconter l'histoire de hackers qu'il aurait un jour côtoyés - l'un est au Mexique et vend des distributeurs de billets bidouillés, l'autre se cache des autorités à Londres. « Ils sont tous partis à l'étranger ou dorment en prison », conclut-il. 

Sa ville n'est plus celle des hackers. D'ailleurs, si on prend l'appellation à la lettre, elle ne l'aurait jamais été : « Il n'y a jamais eu beaucoup de vrais hackers à Hackerville. » Le mot « hacker » a été associé à la va-vite à cette petite délinquance en ligne, une fabrique à arnaques calibrées pour les Occidentaux. Le vrai « hacking », lui, est une discipline complexe qui consiste à pénétrer des systèmes informatiques protégés. « La plupart des criminels du net de l'époque étaient en fait des personnes qui achetaient des bases de données sur le Darkweb puis qui envoyaient des mails d'escroquerie et créaient des fausses pages web. » 

Aujourd'hui, pas de Ferrari en bas des bâtiments : quelques berlines mais, surtout, de « traditionnelles » Dacia roumaines. On s'attend à une ville toute en contrastes, on trouve une cité moyenne, tranquille, avec des parterres fleuris. Un peu trop de bureaux de transferts d'argent Western Union, peut-être. 

Emma Bougerol et Laure Solé 

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