Joël Dimblé et son collègue retirent des aiguilles en prévision des pluies. ©Amjad Allouchi
Rempart contre les crues à Strasbourg depuis 1842, le barrage à aiguilles de la Robertsau sera remplacé en 2022 par une version automatisée.
Fin d’une ère. Après 180 ans de bons et loyaux services, le barrage à aiguilles de la Robertsau, dernier de son espèce en Alsace et l’un des rares restant en France, sera remplacé dès 2022 par une version automatisée. À 20 mètres de là se situe une maison en bois où réside depuis 2014 la famille de Joël Dimblé, agent barragiste en charge du dispositif. La disparition de la structure coïncide avec son départ à la retraite, au terme de 30 années de travail pour Voies navigables de France (VNF).
Un savoir-faire en voie de disparition
Passionné, Joël Dimblé connaît tous les secrets du fonctionnement de l’ouvrage, qui se situe au nord du pont Zaepfel, juste derrière la Cour européenne des Droits de l’Homme. Le principe est simple: des aiguilles en bois abaissées dans l’Ill régulent son niveau et son débit, leur nombre variable permettant à un volume d’eau plus ou moins important de quitter la ville. Un travail réalisé entièrement à la main, chaque jour, par les agents de VNF. L’avantage de ce système est sa précision: “Vous pouvez régler le niveau de l’eau au millimètre près”, développe Joël Dimblé. Il présente cependant un inconvénient: l’effort physique à fournir et le niveau de savoir-faire à acquérir. Joël Dimblé, lui, le maîtrise sur le bout des doigts. Tout juste après s’être aventuré sur le barrage pour retirer trois mètres d’aiguilles, soit 15 pièces, il explique qu’il "faut vraiment tirer d’un coup. Si on s’arrête, l’aiguille va être prise dans le courant et vous tirer vers l’avant”. D’où un équipement adéquat, composé d’un harnais de sécurité et d’un gilet de sauvetage en cas de chute. “Je ne sais pas si c’est à cause de ça que j’ai mal au dos”, sourit le barragiste.
Cet ouvrage ingénieux et ce savoir-faire artisanal sont voués à disparaître au profit d’une structure automatisée, un barrage à clapets contrôlé à distance par ordinateur. Un aménagement plus sécurisé et qui nécessite moins de main-d'œuvre. Le chantier, qui doit débuter en avril ou mai 2022, bénéficie d’un budget prévisionnel de trois millions d’euros.
L'enjeu de la sauvegarde
Ce patrimoine a une chance d’être partiellement sauvegardé. Laure Mauny, responsable de la communication de la direction strasbourgeoise de VNF, affirme qu’une "réflexion sur la mémoire du barrage est prévue et il est probable qu’une partie en soit conservée”. Il est donc envisageable qu’une section de la structure soit exposée sur la berge après son remplacement. Une perspective que Joël Dimblé souhaite voir se concrétiser “pour que les gens voient comment c’était avant”. Avant que le pragmatisme n’emporte ce bout d’histoire de Strasbourg.
Amjad Allouchi
Le barrage de la Robertsau et ses 750 aiguilles, vus de la berge côté Wacken. ©Amjad Allouchi
La maison en bois de la famille Dimblé se trouve à 20 mètres du barrage. ©Amjad Allouchi
Une infrastructure à taille humaine
Le barrage, long de 50 mètres, est composé de 750 piquets en pin des Vosges taillés dans un atelier tout près de la berge. Il laisse passer plus ou moins d’eau en fonction du nombre d’aiguilles en place. L’installation et le retrait des pièces de bois sont un travail très physique et entièrement manuel qui requiert le concours de deux à six personnes, jusqu’à dix en cas de crue. Dans ce cas, il devient nécessaire de démonter tous les éléments du barrage pour l’abaisser sous la rivière. Un exercice intense qui peut demander six heures d’efforts à une équipe complète.
Le barrage à aiguilles régule l’eau passant par les écluses sud, 51 et de la Petite-France. ©Amjad Allouchi