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Lieu de prédilection de nombreux maraîchers et horticulteurs depuis le début du XIXe siècle, la Robertsau a vu ces métiers disparaître peu à peu après la Seconde Guerre mondiale. Du florissant passé maraîcher et horticole du quartier, il reste une fête célébrée chaque année par des centaines de participants.

“Avant, il n’y avait que ça, des maraîchers: rue Mélanie, rue Himmerich, rue de la Carpe Haute, chemin Goeb, il n’y avait pas de maisons, que des champs partout”, soupire Bernadette Koepf, ancienne maraîchère de la Robertsau, plongée dans ses souvenirs. Accoudée à la table de son séjour, elle fixe longuement la barre de nouveaux logements s’érigeant désormais au milieu des parcelles qu’elle cultivait. Une métamorphose du paysage que confirme Bernard Irrmann, historien amateur et auteur de deux livres sur le passé robertsauvien: “En 1927, à l’âge d’or, il y avait 130 maraîchers et horticulteurs avec plus de 200 salariés: ça faisait 220 hectares de surfaces agricoles.” Plus d’un huitième de la superficie du quartier était dévolu à la culture des fruits et des légumes. Certaines familles comme les Cammisar, les Koepf ou les Würtz faisaient pousser chrysanthèmes et pensées en complément.

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Bernadette Koepf, ancienne maraîchère, vit toujours dans sa maison mauve, au milieu des champs qu'elle cultivait. ©Lisa Ducazaux

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De vieilles photos de la Saint-Fiacre figurent parmi les archives de l'historien amateur. ©Lisa Ducazaux

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Surperficie dédiée au maraîchage et à l’horticulture de l’âge d’or à aujourd’hui, en hectares. ©Lisa Ducazaux et Louise Llavori

La terre des maraîchers

La Robertsau a longtemps été envahie par les marécages. Asséchés au début du XIXe siècle, ces marais ont laissé derrière eux des terres particulièrement fertiles. “Le sol est sableux, c’est super pour le maraîchage et pour la fleur”, explique Laure Devivier, propriétaire d’une parcelle de libre cueillette de fleurs chemin du Grand Belzwoerth. “À 1,50 mètre sous le sol il y a la nappe phréatique, celle d’Alsace est la plus grande d'Europe!”,  se réjouit-elle. Ces terres sont aussi connues pour leur riche teneur en calcaire. “Ici, le loess permet de retenir l’eau”, expose Bernadette Koepf. Cet équilibre entre terres drainantes et argileuses a notamment permis la culture du poireau, emblème du quartier.

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Bernard Irrmann possède une impressionnante collection de photos sur le passé robertsauvien. ©Lisa Ducazaux 

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Du passé agricole, il ne reste désormais plus que les noms des rues. ©Lisa Ducauzaux et Louise Llavori

Une confrérie fondée en 1751

Chaque deuxième dimanche de septembre à l’église catholique Saint-Louis, la Robertsau célèbre encore sa tradition horticole lors de la Saint-Fiacre. Cet hommage rendu au patron des maraîchers fut longtemps “l’événement de la rentrée”, selon Jean Grieneisen, actuel président de la confrérie Saint-Fiacre. Fondée en 1751, celle-ci regroupait les plus grands jardiniers de la ville. “Ses membres se réunissaient pour promouvoir le maraîchage, les fruits, les légumes et les fleurs par différentes manifestations”, ajoute-t-il. “La fête de la Saint-Fiacre, c’était le grand moment, c’était vraiment quelque chose de très solennel”, se souvient Bernadette Koepf. Elle y a d’ailleurs rencontré Charles, son mari, dans les années 60, après y avoir participé toute son enfance. “On portait les petits paniers, on tirait les chariots, on poussait les brouettes”, raconte-t-elle, amusée.

Une profession en déclin

En l’absence de ses principaux protagonistes, la fête de la Saint-Fiacre se résume aujourd’hui à une messe annuelle suivie d’un vin d’honneur. La célébration a attiré 200 participants en 2019, dont la plupart ne sont plus du métier. “Aujourd’hui, comme il y a beaucoup moins de maraîchage, tout le monde peut être membre, même ceux qui n’ont pas de jardin”, admet Jean Grieneisen. Ils ne sont en effet plus que deux maraîchers et deux horticulteurs installés dans le quartier le plus septentrional de Strasbourg

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Cueillette des tulipes chez les Horn, au 63 rue Himmerich. ©collection Thérèse Clerc, retouche Bernard Irrmann

Rachat des parts d’héritage à la fratrie, soumission aux tarifs des grossistes et flambée des prix du foncier ont eu raison de dizaines d’exploitations après la Seconde Guerre mondiale. Dans La Robertsau, côté village, Bernard Irrmann l’assure: “Planter des légumes sur des terrains de cette valeur relève quasiment de l'héroïsme", quand il serait si rentable de les vendre. Si l’on peut encore savourer quelques poireaux du terroir, impossible en revanche d’acheter une tulipe ou un dahlia robertsauviens chez les nombreux fleuristes du quartier. Une situation que regrette Marie Leleu, gérante de la boutique Au gré du vent: “On adorerait faire plus de local, d’autant qu’il y a de plus en plus de demande.”

Lisa Ducazaux et Louise Llavori

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