À la Robertsau, le patrimoine maraîcher subsiste grâce à deux exploitations: Le Jardin de Marthe et celle de Jean-Pierre Andrès.
Au Jardin de Marthe, chemin Goeb, on plante, on récolte et on vend en circuit court. Troisième génération de producteurs, Laetitia Hornecker et son frère David, trentenaires, ont repris l’exploitation familiale en 2015. Ils sont, avec Jean-Pierre Andrès, les deux derniers représentants de la tradition maraîchère à la Robertsau.
Sur leurs 4,5 hectares de terrain, les Hornecker cultivent tout au long de l’année 50 types de légumes différents. Ils produisent aussi des pommes, poires, pêches et abricots dans leur verger de 1200 arbres. “On a vu le retour d’une envie d’alimentation locale et de saison”, explique Laetitia. Leurs radis noirs, choux chinois ou céleris-raves trônent sur les étals aux côtés du vrac, du pain ou du lait d’amande bio fournis par d’autres producteurs locaux du secteur.
La demande croissante du bio
En mars dernier, ils ont agrandi leur espace de vente directe. L’ancienne cabane de 20 m² a cédé sa place à une nouvelle boutique de 60 m². À l’intérieur, Zoé, la vingtaine, évolue entre les rayons un sac de randonnée sur le dos. “Avec mon copain, on a quasiment arrêté d’aller au supermarché pour acheter des légumes”, confie-t-elle, en soulignant la bonne qualité des produits. “Ils sont moins chers que dans des enseignes comme Naturalia”.
D’après Laetitia, le bio est “un point central” pour des clients “toujours plus exigeants” quant à la qualité et l’origine des produits. “On sait d’où vient ce qu’on mange”, affirme une habituée originaire de la Robertsau, avec de quoi faire une fondue de poireaux dans son panier.
Chez Andrès, “on est sûr de ce qu'on achète”
À un kilomètre de là, rue de l’Afrique, la famille Andrès travaille la même terre depuis 1928. Quatrième génération de maraîchers, Jean-Pierre Andrès, 57 ans, a repris l’exploitation familiale de 4,5 hectares il y a quinze ans. De manière traditionnelle, il pratique une agriculture “raisonnée”. “On traite au cas par cas, et si c’est vraiment nécessaire”, explique son épouse, Isabelle, qui tient le magasin situé juste à côté des serres et des champs.
À l’intérieur de la boutique, poireaux, navets, courges de toutes sortes et même les dernières tomates sont vendus directement du producteur aux particuliers. Laurence, venue faire ses courses de la semaine, retrouve chez les Andrès le côté familial du potager de ses parents. “Les légumes ne sont pas toujours beaux, mais ce sont de vrais légumes. Rien à voir avec la grande surface. C’est de très loin meilleur.” Nombre de clients sont des habitués de très longue date. Michelle, habitante de la Robertsau, vient quasiment toutes les semaines depuis dix ans. “On est sûr de ce qu’on achète, c’est de saison et de qualité”, affirme-t-elle en examinant les aubergines.
Cette fidélité n’empêche pas Jean-Pierre Andrès d’être pessimiste: “Le métier est beau, mais pour les petits producteurs, il n’y a pas de futur. On n’est pas soutenus.” Il déplore la mauvaise répartition des aides agricoles: “Le mec qui a 500 hectares de maïs, on lui donne un tracteur par an s’il le faut.” Au point qu’il se dit soulagé qu’aucun de ses enfants ne prenne sa relève.
À l'intérieur, Laurence, en grande discussion avec Isabelle à la caisse, termine de ranger navets et poivrons dans son sac. Si elle vient chez Andrès, c’est aussi pour “encourager les maraîchers qui fournissent ce travail à continuer”.
Isalia Stieffatre et Dorian Mao
Dans le quartier de Strasbourg le plus fourni en jardins familiaux, Céline et Ednalva perpétuent la tradition de faire pousser leurs légumes.
Derrière les haies qui la séparent de l’allée centrale, rue de la Fourmi à la Robertsau, en plein cœur des jardins familiaux de l’Ameisenkoepfel, Céline s’active au ramassage des feuilles de son cognassier. La jardinière s’en sert pour pailler ses plantations pour l’hiver, afin d’éviter la pousse de mauvaises herbes. Avec 1057 parcelles, la Robertsau est le quartier le plus doté de Strasbourg en jardins familiaux. Ici, il faut attendre “plus de trois ans et demi en moyenne” pour en obtenir un, selon la municipalité.
“J'en ai trop pour moi toute seule”
Dans son potager aux couleurs de l’automne, Céline doit encore ramasser ses deux dernières courges. Là où il n’y a plus rien à récolter, elle a déjà retourné la terre en prévision de l’hiver. “On a eu 50 kilos de potimarron cette année!”, se réjouit-elle. Habitante du centre de la Robertsau, elle loue sa parcelle depuis huit ans et y passe environ dix heures par semaine avec son mari. Betteraves, haricots verts, pommes de terre, radis, navets, rhubarbes, pommes, poires, prunes, la liste est longue. S’occuper de cet espace de 300 m² lui permet d’être autosuffisante en légumes “pendant deux à trois mois après l’été”.
De l’autre côté de la Robertsau, au cœur de la Cité de l’Ill, Ednalva aussi utilise son jardin comme source principale de fruits et légumes: “[En été], je ne mange que ce que je fais pousser ici. J’en donne parfois à mes voisins, car j’en ai trop pour moi toute seule.” Elle explique s’être débrouillée en tâtonnant et en “faisant des expériences”. Témoins de l’arrivée de l’hiver, ses planches de cultures sont elles aussi recouvertes de feuilles mortes. Seuls les kiwis, camouflés dans leurs dernières feuilles, attendent patiemment d’être cueillis. Pour Ednalva, ce jardin est aussi un moyen de faire des économies: ce qu’elle produit en légumes, elle n’a pas besoin d’aller l’acheter au marché du mercredi au pied de la tour Schwab. Comme Céline, elle passe du temps à entretenir ses plantations, jusqu’à une heure et demie par jour en été. “Ça demande beaucoup de travail, mais c’est un travail qui fait du bien.”
Isalia Stieffatre et Dorian Mao
Spécificité de Strasbourg, les Potagers urbains collectifs (Puc) sont pensés comme un compromis entre jardin familial et jardin partagé. Après un lancement prometteur en 2014, celui situé à la Cité de l’Ill s'essouffle, victime de la perte d’intérêt des habitants. “Nous avons remarqué que les potagers collectifs servent de transition vers les jardins familiaux”, affirme Olivier Moreuil, membre d’Éco-conseil, l’association en charge des six Puc de la ville. “Le hic, c’est de faire marcher la dimension collective. On est plus tranquille chez soi qu’avec d’autres”, explique-t-il en pointant les ronces et les orties qui se sont répandues sur les parcelles en friches. Devant l’échec du projet, l'Eurométropole compte réhabiliter le terrain en un espace de maraîchage bio. Une transformation prévue d’ici les deux prochaines années.
Localisation des différents jardins dans le quartier de la Robertsau. ©Isalia Stieffatre et Dorian Mao