À la Robertsau, des rues et des stèles honorent les victimes de la guerre. Des débats politiques se mêlent aux enjeux de mémoire.
Jacques Knecht a 18 ans quand il est incorporé de force dans la Wehrmacht avec son frère René. Originaires d’une famille de jardiniers installée à la Robertsau, ils sont rapidement séparés. Jacques entend parler de la Résistance et rejoint les Forces françaises de l’intérieur entre avril et juillet 1944. Lors de la bataille de Cheylard où il commande une trentaine de déserteurs de l’armée allemande, il est blessé et capturé, avant d’être fusillé le 21 février 1945.
Depuis juin 2020, les frères Knecht sont honorés par l’inscription de leur nom sur une plaque commémorative. Cette stèle installée au cimetière Saint-Louis, le plus vieux de Strasbourg, rend hommage aux 103 habitants de la Robertsau morts pour la France depuis 1939. Qu’ils soient soldats, civils ou Malgré-nous, il y a eu une “nécessité de les identifier pour lutter contre l’oubli”, insiste Jean Chuberre, président de comité local de l’association du Souvenir français.
À droite, Jean Chuberre, président du comité local du Souvenir français et au centre, Marc Hoffsess, adjoint référent de la Robertsau lors des commémorations du 11 novembre 2021. ©Anthony Jilli
Cette démarche n’est pas nouvelle. En 2016, les noms des 74 victimes internées dans le camp alsacien de concentration nazi du Struthof et inhumées au crématorium de la Robertsau, sont dévoilés au cimetière Nord sur une plaque. Le résultat d’un travail de recherche mené par le Souvenir français afin de les “sortir de l’anonymat”. Trois ans plus tard, ce sont les 258 victimes du quartier tombées lors de la Première Guerre mondiale qui sont réinscrites sur le monument aux morts - la première liste de ces Robertsauviens avait disparu lors de l’Occupation.
Ces installations visent à enseigner et transmettre le patrimoine mémoriel du quartier, alors que s’effacent les derniers témoins de la période 1939-1945. Cette lutte contre l’oubli se maintient en 2019 avec la création d’un “sentier du souvenir” numérique. Il retrace l’histoire du quartier à travers 27 sites identifiés sur deux panneaux, place du Corps-de-Garde et près de l’église protestante. Le parcours recense les rues nommées en hommage à d’illustres habitants, dont Jacques Knecht. “Notre objectif est de restituer la Robertsau dans l’histoire de France”, précise Nicole Dreyer, ancienne adjointe du quartier engagée dans les questions mémorielles et aujourd’hui bénévole de l’association. À l’initiative de ces projets, le comité local du Souvenir français s’occupe, en parallèle, du nettoyage et de l’entretien des sépultures dans les cimetières Nord et Saint-Louis, avec l’accord du conseil municipal et des familles. Des actions réalisées grâce aux cotisations annuelles des 90 adhérents, d’un montant minimum de dix euros.
Pour l'opposition, il faut consolider le travail de mémoire
En arrivant au pouvoir en mai 2020, la nouvelle maire EELV Jeanne Barseghian n’a pas désigné de référent au patrimoine mémoriel. Une rupture par rapport à ses prédécesseurs. L’association pouvait jusque-là compter sur un élu dédié, comme le colonel Aziz Meliani, adjoint en charge des anciens combattants et de l’intégration entre 1995 et 2001. Il est resté son interlocuteur privilégié en tant que conseiller municipal à la mémoire et la défense jusqu’à sa retraite en 2020.
“Il y a aujourd’hui un flou autour de ce référent, qui se distinguait sous les mandatures précédentes”, déplore Jean Chuberre. Un sentiment partagé par le conseiller municipal d’opposition Pierre Jakubowicz qui estime que le travail de mémoire doit être consolidé. En septembre 2021, l’élu du parti Agir a déposé une résolution intitulée “Raviver la flamme de la mémoire et de la citoyenneté à Strasbourg”. Il s’inquiète de la valorisation de ce patrimoine par la mairie actuelle et le manque de communication autour des commémorations. Marc Hoffsess, adjoint en charge de la transformation écologique du territoire et référent du quartier de la Robertsau, répond que “la Ville est très attachée à la mémoire, car cela reste une mission d’intérêt général”.
Un autre débat s’est installé lorsque le Souvenir français a recensé les Robertsauviens morts pour la France durant la Seconde Guerre mondiale. La présence de noms d’habitants tués sous l’uniforme allemand et reconnus comme étant Malgré-nous a fait polémique. En dépit des divisions, la plaque a été inaugurée le 9 juin 2020 en présence de Roland Ries, maire de 2008 à 2020.
En ce 11 novembre 2021, une gerbe de fleurs est déposé devant la stèle commémorant les victimes de la Grande guerre. ©Anthony Jilli
Depuis juillet 2021, l’association mène un nouveau projet intitulé “La vie à la Robertsau durant la Seconde Guerre mondiale”. Les bénévoles recueillent les témoignages d’habitants concernant l’exode, les Malgré-nous ou les formes de résistance. La Ville se dit prête à soutenir l’initiative.
Anthony Jilli et Joffray Vasseur
©Anthony Jilli et Joffray Vasseur