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Classée réserve naturelle l'an dernier, la forêt de la Robertsau a encore du chemin à faire pour redevenir l'écosystème qu'elle a été. L'Eurométropole entend réinonder la zone afin de préserver son caractère alluvial. 

Le sol est spongieux, les chaussures tachées de boue. Dans la réserve naturelle nationale de la Robertsau et de La Wantzenau, roselières et mares parsèment les 710 hectares de forêt. Attirées par l’humidité, les lianes telles que les clématites s’enroulent autour des troncs. Les promeneurs les plus chanceux peuvent apercevoir la sterne pierregarin, un oiseau migrateur proche de la mouette inféodé aux milieux aquatiques. Or, selon eaufrance.fr, deux tiers des terrains submersibles ont disparu à l’échelle nationale. L’Office des données naturalistes du Grand Est (Odonat) tirait déjà la sonnette d’alarme en 2019: avec seulement une centaine de couples dans la région, il s’agit d’un nicheur menacé.

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Les instances associatives et préfectorales ont exploré la zone début novembre pour cartographier les cours d'eau du secteur. © Léo Bagage

“Ramener de l’eau vise à recréer un biotope favorable à certaines espèces”, explique Thierry Seibert, représentant de l’association Alsace Nature au sein du comité consultatif pour la réserve naturelle. Située dans l’une des zones inondables du Rhin, cette particularité lui confère une richesse biologique propre aux forêts alluviales. Le dépôt de sédiments comme la vase enrichit le sol grâce à ses éléments minéraux. Un apport indispensable aux arbres pour survivre en période de sécheresse.

Afin de préserver cet écosystème, le Premier ministre a signé un décret en juillet 2020 classant la zone en réserve naturelle nationale. Après l’île du Rohrschollen en 1997 et le massif de Neuhof-Illkirch en 2012, également des forêts alluviales, le poumon vert de la Robertsau est devenu le troisième site strasbourgeois à bénéficier de ce statut.

Retour des inondations: un projet qui peine à émerger

En 1991, le professeur Roland Carbiener, enseignant en écologie végétale et membre fondateur d’Alsace Nature, militait pour le retour des inondations dans les forêts alluviales rhénanes. L’objectif est indissociable de la redynamisation des cours d’eau qui les traversent, condition nécessaire à la restauration de ces milieux si particuliers. 

Les travaux de canalisation du Rhin menés aux XIXe et XXe siècle ont en effet isolé du fleuve certains bras, les privant de leur apport hydrique naturel. Actuellement, la forêt de la Robertsau ne dispose plus que d’une seule entrée d’eau provenant du canal. Mais l’Eurométropole pilote une étude de faisabilité pour la réalisation de nouveaux ouvrages de prises d’eau sur le Rhin. L’injection d’un débit suffisant permettrait de reconnecter les différents cours entre eux. Le but est ensuite similaire à celui du projet LIFE+ opéré sur l’île du Rohrschollen entre 2010 et 2015. L’aménagement d’une prise d’eau et le creusement d’un chenal avaient permis de rétablir un régime de crues basé sur le rythme hydrologique du Rhin. Six à huit fois par an, la vanne s’ouvre et garantit en moyenne cinquante jours de submersion.

Un défi à relever

Toutefois, les particularités de la forêt de la Robertsau en font un environnement plus difficile à appréhender que celui de l’île située au milieu du Rhin. “On a tout d’abord beaucoup de contraintes liées aux réseaux de gaz et d’électricité, puis il y aussi la présence de la station d’épuration (cinquième plus grande de France, NDLR)… C’est pourquoi la perspective de réinonder la zone reste compliquée”, précise Samuel Dehan, responsable du pôle hydraulique chez Artelia, société en charge de l’étude de faisabilité du projet. S’y ajoute la problématique de la fréquentation, puisque la forêt de la Robertsau accueille plus de 400 000 visiteurs par an. Une population importante à prévenir en cas d’inondation: “Cela demanderait de faire beaucoup de sensibilisation auprès du public, c’est une démarche qui prendra nécessairement du temps”, poursuit l’ingénieur.

Deux impératifs majeurs s’opposent: la nécessité de réguler les crues du fleuve dans une optique de sécurité et la préservation de l’identité alluviale de la réserve, qui implique de renouveler régulièrement les inondations. Ce casse-tête explique le temps long qui entoure ce dossier. Les études hydrographiques ont débuté il y a plus de trois ans, sous le mandat de l’ancien maire Roland Ries. En place depuis un an et demi, l’équipe municipale écologiste aura la charge de relever ce défi. Une réunion du comité consultatif de la réserve est programmée le 7 décembre.

 

Apprivoiser le Rhin, plus d’un siècle de manœuvres

Les aménagements hydrauliques successifs réalisés sur le fleuve ont engendré la disparition des crues dans les forêts. L’endiguement du Rhin commence en 1817 et se termine en 1840, à l’aval de Strasbourg. À l'époque, trois raisons motivent cette décision: protéger les villages limitrophes, libérer de nouvelles terres cultivables, fluidifier la navigation et le commerce.

Depuis cette date, la construction de différents ouvrages a progressivement diminué la surface des zones humides dans la région. Achevée en 1840 grâce aux travaux de l'hydrologue allemand Johann Tulla, la digue des hautes eaux, visible  le long de la route du Glaserswoerth, réduit le “lit majeur” du fleuve. Il s’agit des zones potentiellement inondables lors des crues. Lorsque le débit augmente, il se heurte à la digue. Le Rhin étant un fleuve transfrontalier, les gouvernements français et allemands ont coopéré pour contenir son flux, notamment via des accords signés entre 1969 et 1982. 

 

Milan Busignies et Léo Bagage

Réserve naturelle de la Robertsau. ©Léo Bagage et Milan Busignies

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Lieux inondables de Strasbourg. Carte du XVIIIe actualisée. ©Léo Bagage et Milan Busignies

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